En 1953, lorsque Charles Erwin Wilson, le président de General Motors, était entendu par le Sénat sur la question de possibles conflits d'intérêts entre ses fonctions au sein du constructeur automobile et son futur poste de Secrétaire à la Défense, il répondu qu'il pensait que les deux emplois servaient à défendre des intérêts communs, les intérêts de General Motors apparaissant comme coincider avec l'intérêt général. A l'époque, l'entreprise était la plus grande du pays. Les trois grands constructeurs automobiles de Detroit sont depuis des décennies des entités colossales, dont la vie rythme la vie de l'Amérique. Charles Erwin Wilson n'est d'ailleurs pas le seul dirigeant de groupe automobile américain à être appelé à faire partie d'une administration, son homologue au sein de Ford, Robert McNamara, étant lui-même devenu Secrétaire à la Défense dans les années 60. Ford, justement, est une entreprise qui a marqué l'histoire économique, développant une méthode de travail ensuite transformée en modèle, le fordisme. Il a été question pendant de très nombreuses années de favoriser la demande en payant bien les employés, souvent en les augmentant proportionnellement à l'augmentation des bénéfices. C'est, après tout, une vision tout à fait légitime. Mais au fil des années, les salariés de General Motors, Ford et Chrysler ont fini par pouvoir compter sur de confortables avantages (bons salaires, bonne retraite, bonne couverture santé, etc.), et ce qui était la juste rétribution de leur travail a formé une forte différence avec de nouveaux venus, les constructeurs japonais.

Ceux-ci ont débarqué en Amérique dans les années 80, et ont proposé des voitures moins coûteuses et de meilleure qualité. Ils y sont arrivés grâce à des frais de personnel maîtrisés et surtout une meilleure organisation de travail. Les Japonais ont même réussi à proposer des modèles prenant mieux en compte les attentes de la clientèle américaine.

Samedi dernier, le sénateur américain John Kerry était à Poznan, en Pologne, à l'occasion de la conférence sur le climat organisée par les Nations Unies. Pendant le déjeuner, il a expliqué devant la secrétaire d'Etat française au développement durable, Nathalie Kosciusko-Morizet, qu'il regrettait que les constructeurs automobile américains n'aient pas su anticiper ou même réagir aux enjeux de préservation de l'environnement, en continuant de ne proposer que des voitures imposantes et en conséquent polluantes. Les grandes voitures ont toujours eu les préférences des Américains, et donc les Big Three n'ont fait que répondre à la demande. Mais elles auraient pu améliorer l'attractivité de leurs véhicules s'ils avaient réussi à proposer des moteurs moins polluants, plus économes en pétrole, et des voitures plus respectueuses de l'environnement. Il a fallu que ce soit à nouveau Toyota qui se distingue en proposant les premières voitures hybrides au grand public, rebondissant ainsi sur la préoccupation grandissante de la défense de l'environnement. Puis, lorsque le prix de l'essence étaient à des niveaux jamais atteints, les véhicules trop lourds se sont révélés être des handicaps pour les automobilistes américains. Mais les constructeurs n'avaient rien à proposer à ce niveau-là.

Les difficultés financières des constructeurs automobiles américains sont anciennes. Voilà plusieurs années que les milieux économiques s'inquiètent de leur possible chute du fait des énormes engagement financiers auxquels ils doivent faire face pour payer les retraites d'une génération d'ouvriers baby-boomers. La crise économique actuelle semble être le coup de grâce à des entreprises déjà très mal en point. Les appels à l'aide des intérêts privés fusent auprès de l'Etat américain, faisant remarquer, que la faillite des conglomérats de Détroit nuirait gravement aux Etats-Unis. Une sorte de rappel de l'idée d'intérêts partagés. Les administrations Bush puis Obama seront tentées de réagir. Quitte à créer des distorsions de concurrence, forçant par enchaînement à ce que tous les constructeurs automobiles soient aidés par leurs pays respectifs. Si leur faillite serait moins grave que celle des banques, le secteur n'en est pas moins important pour les différentes économies. Mais dans le cas de General Motors, Ford et Chrysler, au-delà de chacun de leurs cas particuliers, on peut regretter avec John Kerry le manque de clairvoyance fatal quant aux produits, et voir ainsi s'échapper une porte de sortie.

La leçon vaut pour tous, y compris de ce côté-ci de l'Amérique. Et relancer la production en passant par le secteur automobile a une certaine pertinence, dans la mesure où les voitures ne peuvent être fabriquées trop loin de leurs zones de vente et impliquent toute une chaîne de fournisseurs. Mais au moins faut-il veiller à ce que cette relance profite surtout aux voitures les plus écologiques possible.