En janvier dernier, l'industrie cinématographique sortit de sa deuxième guerre de formats. La première avait eu lieu à l'apparition des magnétoscopes, et avait vu s'affronter les cassettes VHS et celles Beta-max, chacune soutenues par des groupements industriels différents. Ces dernières années, c'étaient le HD DVD qui faisait face au disque Blu Ray pour la vente de programmes audiovisuels dans le commerce. Cette guerre de format était considérée comme nuisible au développement des deux offres, pensaient les industriels, tant il était évident qu'il n'y avait de la place que pour un seul format, et qu'en conséquence, investir dans l'un sans avoir la garantie qu'il serait exploité par la suite était risqué. Au final, c'est le Blu Ray qui a prédominé. Mais 2008, contrairement aux attentes de l'industrie, n'a vu aucun boom des achats de lecteurs Blu Ray et des disques associés. Les ventes sont considérées "décevantes", et cela semble étonner tous ceux qui préparaient ce changement technologique depuis plusieurs années. La victoire du Blu Ray s'est accomplie parce que la dernière console de Sony, la Playstation 3, en disposait par défaut. Tous ceux qui ont donc voulu acheter la console ont donc disposé du lecteur de disque avec, garantissant donc une plus grande distribution que le HD DVD. Mais aujourd'hui, il s'avère que si la Playstation 3 est le lecteur de Blu Ray le plus répandu, elle est aussi une console qui a moins de succès que ses concurrentes et que les modèles précédents de Sony. Et ce pour une raison simple : le prix.

Les dirigeants des industries cinématographiques et électroniques s'étaient retrouvés avec une belle unanimité sur l'étape suivant le succès du DVD : l'avenir serait aux programmes en haute définition, cela justifiait une nouvelle technologie, un nouveau format de disque, de nouveaux lecteurs, et un prix plus élevé. Visiblement, personne ne s'est posée la question des véritables attentes des clients en la matière. Il ne s'agissait plus de répondre aux demandes des clients, mais de justifier une augmentation des marges par l'exploitation d'une nouvelle technologie. Or celle-ci a les mêmes arguments de ventes que celle qui la précédait. La transition entre les cassettes VHS et les DVD est encore très récente. Elle date d'une dizaine d'années environ, et l'on trouve encore des appareils lisant les VHS dans le commerce. La technologie DVD s'est imposée en promettant une image et un son parfaits, une bande son et des sous-titres en de nombreuses langues, ainsi que des bonus s'ajoutant à chaque programme.

Or voilà que pour le Blu Ray, l'on explique au consommateur qu'il disposera d'une image et d'un son parfaits, ainsi que des bonus pour chaque programme. Si celui-ci avait bien remarqué la qualité de l'image offerte par le DVD, il n'est pas en revanche pas certain que l'on puisse vraiment faire mieux. L'argument des bonus exclusifs se révèle même miné dans la mesure où la promesse a en fin de compte été assez peu tenue pour les DVD. Quant aux différentes langues, elles ont très vite été réduites au stricte minimum. Il est dès lors facile de penser que les films Blu Ray sépareront eux aussi les éditions collector disposant des bonus promis des éditions normales. Il y a même une incertitude sur la durée de vie du nouveau format : si le DVD devient périmé si vite, combien de temps durera le Blu Ray avant que ce matériel ne soit lui aussi considéré comme obsolète par les industriels ?

Au bout du compte, la valeur ajoutée promise par le Blu Ray apparait bien faible. La grande capacité de stockage du disque peut paraître intéressant pour de l'archivage de données, ou pour mettre par exemple plus d'épisodes d'une série télé par disques, mais la philosophie du "plus que parfait" n'intéresse que les plus exigeants des cinéphiles. Et visiblement, ils ne semblent déjà pas suffisamment attirés pour acheter le nouveau système en masse. S'il n'y a pas d'hostilité franche des consommateurs au principe de la haute définition, l'engouement ne peut se faire aux niveaux de prix actuels. Au final le principal atout des lecteurs Blu Ray est leur rétrocompatibilité : ils lisent les disques DVD, ce qui fait que les consommateurs n'auront pas besoin de racheter ou transformer les disques qu'ils possèdent déjà, comme ils avaient été poussés à le faire au moment du passage de la VHS au DVD. Mais il faut maintenant que le prix des lecteurs Blu Ray descende franchement. Dans deux ans, dans cinq ans ou dans dix ans, les lecteurs Blu Ray auront le même prix que les lecteurs de DVD actuels. Lorsque ceux-ci tomberont en panne, les consommateurs pourront les changer sans que cela ne les handicape au niveau du budget. On peut alors penser que les Blu Ray se généraliseront, mais si c'est avec des lecteurs et des disques au mêmes niveaux de prix que pour les DVD, la valeur ajouté du nouveau système pour les industriels se révèlera quasi-nulle.

Même répandu, le Blu Ray serait alors dans une situation synonyme d'échec. En effet, les nouveaux produits traversent habituellement une première phase où les foyers s'équipent en masse, puis une deuxième phase où ce n'est plus qu'un marché de remplacement. Si le Blu Ray devient directement un produit de remplacement du DVD, les gains escomptés par ses promoteurs ne s'accompliront pas. Et d'ores et déjà, se profile l'idée que la dématérialisation des programmes audiovisuels pourrait à terme remplacer tous types de disques. Les perspectives sont donc sombres pour une nouvelle technologie, coupable au final d'être trop peu utile.