Le groupe Carrefour a de nouveau changé de dirigeant. Le suédois Lars Olofsson a été remplacé par Georges Plassat, auparavant dirigeant de Vivarte. Lars Olofsson n'aura pas été à la tête de Carrefour très longtemps, n'y étant arrivé qu'en 2009, à la suite de l'Espagnol José Luis Duran, lui même remplaçant en 2005 la figure marquante qu'était Daniel Bernard (resté 12 ans à ce poste). Pour un poste de dirigeant d'un si grand groupe, cela dénote quand même d'une certaine instabilité. Mais le groupe Carrefour était à la peine en France, ses hypermarchés ayant même connu une baisse d'activité en 2011. Il faut dire qu'il rencontre plusieurs problèmes stratégiques.

Son premier problème est son positionnement. José Luis Duran avait voulu une stratégie agressive de prix bas, plus ou moins bien suivie concrètement. Lars Olofsson avait surpris en réorganisant ses surfaces de ventes sous trois enseignes principales : Carrefour City, Carrefour Market (ancien Champion) et Carrefour Planet. Renommer les supermarchés Champion en Carrefour Market n'a pas eu de grand bouleversement sur la structure de ces magasins. En revanche, le passage des hypermarchés en mode "Planet" s'est accompagné d'importantes modifications dans les magasins, avec beaucoup d'efforts faits sur la présentation des produits. Les lumières, les linéaires, les sons d'ambiance... on trouve même des artisans sushi à temps plein dans les rayons poissonnerie de certains des Carrefour Planet. Avec tout cela, on se croirait dans un grand magasin, et moins dans un hypermarché.

Le but de ce concept était de "réenchanter l'hypermarché", ce qui donnerait davantage envie d'acheter. Seulement, tous les signaux envoyés sont clairement ceux de la montée de gamme. Et pour la grande majorité des consommateurs, le terrain qui compte, c'est celui des prix. Ils n'ont alors pas envie de se fournir dans un cadre luxueux, car ils savent que ce sera répercuté dans le ticket de caisse. Quand tous ses concurrents faisaient la guerre des prix, Carrefour a voulu se démarquer sur la présentation. Paradoxalement, c'est mal connaître le marché, et il est étonnant que des spécialistes aient pu faire ce genre d'erreurs. La formule n'a pas les effets escomptés, et demande trop d'immobilisations, d'investissements. Ce n'est pas vraiment une surprise.

Le deuxième problème de Carrefour en France est son organisation. Certains de ses concurrents comme Leclerc, Intermarché ou Système U opèrent selon des systèmes de franchise ou de coopératives. Cela leur permet plus facilement des initiatives locales, au plus proche des attentes de leurs clients. La montée en puissance des "drive", ces magasins où le panier est préparé suite à une commande sur un internet, et est directement chargé dans le coffre de l'automobile du client, est d'abord le fait de propriétaires, et non de directeurs salariés. Pour Carrefour, cela nécessite de remonter la chaîne de direction pour qu'une décision soit prise, d'où une réactivité moindre. Mais Carrefour n'est certes pas le seul groupe à opérer d'abord comme un grand groupe intégré.

Le troisième problème lui est plus spécifique : c'est son actionnariat. Par rapport à ses concurrents français, le capital de Carrefour est beaucoup moins stable, avec une part majoritaire d'actions "flottantes". Cela a permis à Bernard Arnault et à Colony Capital de monter jusqu'à 16 % du capital (et 22 % des droits de vote). Mais ce n'est pas là un placement de long terme, ils veulent que l'investissement soit rentable au plus vite... alors que l'action baisse nettement. C'est comme ça que Carrefour a du subir un débat en temps normal invraisemblable, sur la vente des murs de son immobilier. Le but est alors de profiter des rentrées d'argent venant de ces sessions, tout en sachant que l'acquéreur se remboursera sur les loyers qu'il touchera. A long terme, c'est évidemment une mauvaise opération. La filiale gérant l'immobilier des grandes surfaces a vu sa mise sur le marché suspendue, mais les murs de 97 supermarchés ont bien été vendus.

Au bout du compte, la structure de l'actionnariat influe sur chacun de ces problèmes. Qu'une grande entreprise soit contrôlée par des actionnaires instables est trop souvent une mauvaise chose. Les grands propriétaires familiaux sont vilipendés pour leur richesse, mais eux peuvent se permettre de voir à long terme pour leurs actifs. Cela donne une certaine sécurité en soi. En période de développement, la recherche de capitaux pour investir est certes moins évidente, mais les avantages des entreprises familiales ne sont pas négligeables.