Quand on créé une administration, elle doit se trouver une raison d'être. Et cette administration essaiera par la suite de justifier son existence en essayant de prendre part à un nombre croissant de dossier, favorisant bureaucratie et processus alambiqués. C'est comme ça que le CSA aimerait voir ses prérogatives s'amplifier, récupérer l'ARCEP pour pouvoir "réguler" télécoms et Internet. Le seul contrôle des programmes télés ne lui suffit pas, il faut qu'il puisse contrôler le destin de la télé en France, et aussi régulièrement que possible. On a déjà vu qu'il multipliait dans cette optique les changements de normes de diffusion. Malheureusement, il continue de travailler dans cette voie. Dans un rapport publié en début de mois, le CSA demande au Parlement de changer encore les diffusions de normes à travers une politique ubuesque à courte vue.

Le premier grand tort du CSA fut d'avoir voulu que la Télévision Numérique Terrestre se fasse au format de compression MPEG-2. On savait alors que le format MPEG-4 était plus performant et permettait la haute définition, mais il était alors considéré comme plus facile et plus rapide de passer au MPEG-2. C'est ainsi que la TNT fut lancée sous cette norme, et une longue, pénible et coûteuse campagne pour la transition entre l'analogique et cette TNT fut mis en route.

Quand il fallut décider comment utiliser les canaux libérés par l'extinction de l'analogique, le CSA décida de lancer six nouvelles chaînes... exclusivement en MPEG-4. Donc inaccessibles à ceux qui venaient tout juste de s'équiper en matériel compatible uniquement en MPEG-2. L'intérêt de ces nouvelles chaînes est d'ailleurs bien discutables : elles font doublon par rapport aux chaînes déjà existantes de la TNT (pas toutes utiles), et celle consacrée aux documentaires a même eu l'autorisation de diffuser des programmes radios nullement documentaires le matin.

Dans son nouveau rapport, le CSA découvre donc qu'il faudrait qu'il y ait plus de chaînes en HD. Pour commencer, avant d'en lancer de nouvelles, il aurait d'abord fallu permettre aux anciennes d'être toutes en HD. Pour le CSA, cela implique de laisser tomber le MPEG-2 et de forcer la conversion en MPEG-4. Il veut donc une nouvelle transition avec tout le fatras de la dernière fois dès 2015... et la nécessité pour les gens de changer à nouveau de matériel. Tout cela sera encore coûteux, puisque le CSA veut encore une aide financière pour aider les gens à changer de téléviseurs. L'Outre mer est passé directement de l'analogique au MPEG-4, mais pour la métropole, il faudrait donc faire deux fois ce qui aurait pu être fait en une seule fois. Quel gâchis ! Et 12 chaînes ne seraient pas encore en haute diffusion, même après tout ça.

Mais cela ne s'arrête pas là ! Le CSA veut également qu'une fois la norme MPEG-4 généralisée, on fasse encore un changement qui implique un rééquipement complet des appareils audiovisuels, avec les normes DVB-T2/HEVC. Le CSA pointe qu'il faudra rendre ce changement attractif pour que le public ne trouve pas cela totalement scandaleux. Or c'est là bel et bien un scandale. Ces changements de normes ne profitent qu'aux fabricants de produits audiovisuels. Le rapport du CSA reprend ainsi benoîtement leurs arguments de ventes : les normes DVB-T2/HEVC seront nécessaires pour diffuser de l'"Ultra Haute Définition", qui sera, oh, oui, beaucoup mieux qu'avant, qui était déjà la perfection.

"Selon ces experts [du secteur de la télévision], les avancées en termes de qualité d’image de la télévision en ultra-HD s'apparenteront à celles vécues lors du passage de la télévision analogique à la télévision en haute définition. La qualité ultra-HD s'accompagne d'une meilleure restitution de la couleur et le nombre d'images par seconde est plus élevé que dans les systèmes de télévision en vigueur aujourd'hui. Elle offrira des images d'un réalisme saisissant pour la plus grande satisfaction du téléspectateur."

Mais... qui donc se plaint de la qualité d'image des téléviseurs existants ? Est-ce vraiment le téléspectateur qui est satisfait de devoir changer tout son équipement régulièrement ?

Revenons en arrière. A l'époque des tubes cathodiques, la qualité d'image n'était déjà pas un problème. La vraie limite, c'était la taille de l'écran. Le tube cathodique prenait de la place derrière l'écran, et une diagonale d'écran élevée faisait des appareils proportionnellement volumineux en profondeur. La vraie innovation, ce fut donc les écrans plats, pas tant sur la place qu'ils permettaient de gagner que sur l'augmentation de tailles d'écrans qu'ils permettaient sans accroissement de l'emprise derrière. Or avec la définition utilisée dans les normes analogiques, cela rendait mal sur les écrans de tailles aussi grandes (plus de 70 cm). D'où l'introduction de la haute définition. Et upscaling ou pas, un signal basse définition rend mal sur un écran haute définition. C'est pour ça que la transition au numérique basse définition était une belle imbécilité. Voilà où on en est actuellement.

Ces dernières années, les constructeurs de téléviseurs sont en désarroi : tout le monde a fini par s'équiper en écran plat et les prix de ceux-ci, grâce à la concurrence, se sont effondrés. Ils cherchent donc de nouveaux relais de croissance, des nouveautés qui forceront les gens à changer de télé encore une fois. Auparavant, ils croyaient fort dans la 3D. Seulement, le public n'est pas intéressé par le fait de devoir porter des lunettes pour regarder la télé quotidiennement. Il s'agit donc d'un échec cuisant. Leur nouvel espoir est donc dans l'Ultra HD, avec beaucoup plus de pixels. Vu qu'il fallait déjà des écrans d'une belle taille pour que les bénéfices de la HD se fassent percevoir, quel est l'intérêt de la UHD ? Il y a deux possibilités :

La première est que cette meilleure résolution permettra de se rapprocher de l'écran. Mais à part les écrans d'ordinateurs et de tablettes, bénéficiant déjà d'excellentes résolutions, quel intérêt pour une télé ? S'imagine-t-on les gens rapprocher leur télé de leur canapé, ou l'inverse ? Généralement, cela dépend de la configuration des pièces uniquement.

La seconde possibilité est que cette meilleure résolution permette de fabriquer des écrans encore plus grands. Pour qu'on voit la différence avec la HD simple, il faudra des écrans de 2 mètres. A tout hasard, combien de personnes s'imaginent avoir un écran de 2m chez soi ? Pour ce "home cinema", il faudrait avoir vraiment avoir une grande pièce dédiée, et ne pas avoir peur de tourner la tête pour voir tel ou tel élément. Il peut y avoir un marché pour de tels monstres, mais il ne pourra concerner la majorité d'entre nous. Seuls les plus riches seront concernés.

Le CSA peut bien expliquer que des petits écrans existent déjà, ils ne serviront à rien du tout ! La seule perspective qu'on nous laisse, ce sont des murs écrans... ce qui nous envoie directement à l'anticipation faite par Ray Bradbury dans Fahrenheit 451 : des écrans envahissant l'espace et les vies, et dont l'acquisition devient la seule ambition d'une population décérébrée. C'est ce qu'on voudrait nous vendre, mais la limite sera quand même atteinte. Le CSA s'est planté sur le MPEG-2, la Radio Numérique Terrestre, la Télévision Mobile Personnelle, les industriels sur la 3D... Il est désormais question de remettre ça avec l'Ultra Haute Définition. Cela commence à bien faire. Le CSA devrait arrêter de suivre chaque mode pour se rappeler que l'intérêt du consommateur n'est pas le gâchis en matière d'électronique.