Le groupe pétrolier Total supprime 555 emplois, peu de temps après avoir annoncé 14 milliards de bénéfices. Il suffit de dire cela pour savoir ce qui suit : une inévitable énorme polémique. La plupart des gens ne comprennent pas très bien ce qui justifie des suppressions d'emplois lorsqu'une entreprise fait des profits. Cela se voit dans chaque situation, et encore plus lorsque l'entreprise est importante et célèbre, et sa santé excellente. Il suffit de se rappeler des exemples passés de Danone ou Michelin. Sur la base de cette incompréhension, l'extrême gauche matraque continuellement son idéologie marxiste, à base de lutte des classes, de spoliation de la plus-value et de volonté de faire interdire les licenciements. Même si la majorité reconnaît ce discours comme extrémiste et caricatural, la France reste un pays qui considère le capitalisme avec suspicion, et donc cette petite musique perdure et fait son œuvre dans les esprits.

Les annonces du groupe Total semblent donc tomber à propos pour clouer le cercueil d'un capitalisme devenu fou. La réussite de Total n'est pas la conséquence d'une quelconque brillante stratégie d'entreprise basée sur l'innovation, bien au contraire : ses profits sont étroitement corrélés aux cours du pétrole, et la création de valeur pour les actionnaires dépend donc essentiellement de la rareté de cette ressource sur le marché mondial. Et au vu des hausses passées, et de la fusion Total/Fina/Elf, l'entreprise n'a donc aucun mal à être la première capitalisation de la Bourse de Paris, et d'avoir des profits gigantesques en comparaison des autres firmes du CAC 40. Après des variations vertigineuses du cours du baril de pétrole, celui-ci s'est stabilisé à un niveau quand même plus élevé que les cours constatés au cours de la décennie précédente. Total n'a donc aucun souci à se faire, et pourrait, par exemple, se servir de ce trésor de guerre pour se positionner franchement dans les énergie alternatives. Au lieu de cela, l'investissement est utilisé pour supprimer des emplois dans une raffinerie, alors que le chômage est déjà fortement en hausse.

Le symbole est terrible. Et il vient après une série de scandales (Erika, AZF, Birmanie) où Total était le principal protagoniste, et refuse de se remettre en question. L'entreprise n'a pas l'air de comprendre ce qu'on lui reproche. Son secrétaire général, Jean-Jacques Guilbaud, affirme même que le plan est exemplaire, puisqu'il prévoit des changements de poste et des pré-retraites, et non des licenciements. Mais les délocalisations d'entreprises, même au sein du même pays, sont bien un drame pour les familles, et les pré-retraites nuisent à l'économie, notamment par leurs effets sur les systèmes d'assurance sociale.

Ce que des entreprises comme Total doivent comprendre, c'est qu'elles ont aussi un rôle à jouer dans la société, une responsabilité à assumer en faveur de l'intérêt général. C'est une simple question de morale. Tant qu'elles écartent ces questions d'un revers de main, elles favorisent la méfiance envers elles, et plus généralement envers le capitalisme. En somme, si le groupe Total avait voulu faire campagne pour le Nouveau Parti Anticapitaliste d'Olivier Besancenot, il ne s'y serait pas pris autrement. C'est triste évidemment, mais cela peut également être lourd de conséquences.