Réflexions en cours

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mardi 21 septembre 2010

La croisade de Thilo Sarrazin envers les sarrasins

Le livre de Thilo Sarrazin, Deutschland schafft sich ab, fut au centre de l'actualité allemande ces dernières semaines. Le propos de l'auteur est assez inhabituel dans ce pays. Il s'en prend en des termes très durs aux immigrés habitant en Allemagne. Mais le plus spectaculaire fut la réaction que ce livre entraîna. Une réaction à la fois défavorable et favorable. Défavorable, c'est le moins que l'on puisse dire. Tout le paysage politique a condamné dans les termes les plus sévères Thilo Sarrazin. Il était jusqu'à présent membre du SPD, il en sera exclu. Il était administrateur à la Bundesbank, il en est viré. C'est néanmoins compréhensible lorsque l'on découvre les propos qu'a tenus Thilo Sarrazin dans son livre, et lors d'un entretien avec un magazine pour en faire la promotion. Sur de nombreux sujets, c'est du grand n'importe quoi : les immigrés, notamment musulmans, sont accusés d'abêtir l'Allemagne et d'être fondamentalement faignants et violents, il produit des statistiques rejetées par les experts sur les sujets qu'il aborde, et il tient tout un discours invraisemblable sur les différences génétiques entre les ethnies. Pourtant, malgré ses propos délirants et la condamnation massive des élites, le livre rencontra un grand succès, se plaçant directement en tête des meilleures ventes et étant rapidement en pénurie. Selon des sondages faits par la suite, une bonne partie des Allemands (jusqu'à 20 % environ) approuverait d'une façon ou d'une autre le discours de Thilo Sarrazin.

Cela ne veut pas forcément dire que ces Allemands sont subitement devenus racistes. Lorsqu'on les écoute, il s'avère qu'ils rejettent pour la plupart tous les excès de l'auteur, mais se reconnaissent dans une thèse centrale du livre : l'échec de l'intégration des immigrés par l'Allemagne, qui serait due en grande partie à ces derniers. Et tout d'un coup, on s'aperçoit qu'il y a de la place en Allemagne pour un parti d'extrême droite, comme il y en a dans pratiquement tous les pays qui l'entoure. C'est surprenant, car l'Allemagne avait très bien évité cela depuis l'après guerre. Il faut dire que le nazisme l'a vacciné contre les aventures dans ce sens. Mais le débat se pose en fait dans les même termes qu'en France. Comme de ce côté du Rhin, l'Allemagne a cru un instant à la réussite de l'intégration de ses immigrés. La coupe du monde de 1998 pour la France, celles de 2006 et de 2010 pour l'Allemagne, ont à chaque fois laissé planer l'idée de pays réconciliés avec eux-mêmes, au-dessus de ce genre de problème. Mais à chaque fois, la question de l'intégration n'est pas résolue, elle est seulement temporairement oubliée.

En Allemagne comme en France, le désarroi de l'échec des populations immigrés se traduit par une anxiété du reste de la population. Et cette anxiété se transforme en rejet, favorable aux idées d'extrême droite. Même si l'Allemagne n'a pas de parti fort la représentant, cela ne veut pas dire que personne ne souhaite recourir à cette voie. Ce serait une mauvaise solution. Les résurgences des partis extrémistes sont à chaque fois le signal qu'une inquiétude n'est pas bien traité par les partis traditionnels. C'est à eux d'oser attaquer les dossiers les plus difficiles. Ici, le problème est culturel : c'est la différence entre cultures qui est mal vécue. Et c'est pourquoi des politiques favorisant l'assimilation des populations d'origine étrangère doivent être amenés en France et en Allemagne, plutôt que de se draper dans un rejet motivé par de mauvaises raisons.

dimanche 12 septembre 2010

Roms, hypocrisie et perspectives d'actions

La France a l'habitude des polémiques pénibles et interminables. Celle concernant les Roms en est un bon exemple, et l'un des derniers en date. Le gouvernement français fait face à des torrents d'opprobre depuis deux mois pour les expulsions de Roms, et à force de manier l'invective, on en oublie rapidement de quoi il est question. Il est difficile de ne pas reconnaître qu'à l'origine, ce sont le Président de la République et le gouvernement qui sont à l'origine de cette polémique. En se servant de la grosse caisse médiatique pour annoncer l'expulsions des Roms vivant dans des camps illicites de France, les autorités se sont condamnées à entendre bourdonner la résonance de cette même grosse caisse dans leurs oreilles. Que ce soit la presse, l'opposition ou divers organisations internationales, personne n'a manqué au grand concert des protestations outrées. Le fait que ces expulsions ne se fassent pas toujours de façon très aimable n'a pas aidé non plus. Et Brice Hortefeux aura beau mettre en avant des faits, tels que la sur-représentation des Roms (à travers les Roumains) dans la délinquance francilienne, il ne pourra être qu'accusé de "stigmatisation". Il faut dire que dans le prétexte d'origine, l'attaque d'une gendarmerie par des gens du voyage français, ils n'étaient nullement impliqués.

Mais toute cette folie médiatique repose sur une grande hypocrisie. Si le discours politique fut plus fort, les actes n'ont pas changé. La politique menée envers les Roms est la même qu'avant l'été. Elle repose notamment sur le retour volontaire accompagné d'un pécule. Déjà, les années précédentes, diverses associations mettaient en avant le fait que l'essentiel des expulsions d'étrangers de France visaient les Roms, renvoyés en Roumanie. De fait, des limitations à libre circulation des populations roumaines et bulgares avaient été expressément mises en place à l'adhésion de ces deux pays, et ce par la volonté de la majeure partie des pays d'Europe occidentale. Ces limitations étaient directement motivées par la peur de voir venir un flux notable de Roms à l'Ouest sans rien pouvoir faire.

Au bout du compte, il semble bien que personne ne souhaite les accueillir. Même ceux qui se lamentent sur le sort réservé aux Roms par le gouvernement français ne les traitent pas mieux. En France, les collectivités locales socialistes ne sont pas les dernières pour demander les expulsions de camps illicites. Martine Aubry, en tant que présidente de la communauté urbaine de Lille, pouvait donc combattre les expulsions sur la scène nationale tout en en faisant faire près de chez elle. Dans les autres pays tels que l'Allemagne ou la Suède, on expulse comme on le faisait en France précédemment : discrètement. La Roumanie peut protester face aux discriminations réservées à ses ressortissants, elle est le pays qui traite le plus mal ces populations quand elles y restent. Nous sommes donc une gigantesque tartufferie, ou chacun peut se donner bonne conscience à bon compte, en fermant les yeux sur ses propres actions.

Mais au delà des polémiques ridicules, que faut-il faire ? La politique du retour volontaire accompagné d'un pécule partait d'une bonne intention. Il donne la possibilité aux populations de retour dans leur pays d'origine de poser de nouvelles bases, en permettant un investissement qui améliorera leurs conditions de vie. Malheureusement, cela provoque un effet pervers. Il crée une incitation à venir en France chercher ledit pécule, et même à retourner à plusieurs reprises. Avec l'entrée de la Roumanie dans l'Union Européenne, les Roms ne peuvent être empêchés de revenir en France. Et il y a non seulement la question du pécule, mais aussi de nombreux avantages à vivre en France. Ces populations le reconnaissent sans difficulté :

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"En France, je faisait la manche", dit Aurora en Roumanie. "Je m'asseyais dans la rue, avec une petite boîte, je tendais la main et les Français me donnaient de l'argent. Je pouvais gagner jusqu'à 10 euros par jour" (contre 10 euros par mois d'allocations en Roumanie). "Moi je veux retourner en France" poursuit-elle. "Il y a plein d'avantages sociaux. Je touche les allocations familiales, j'étais couverte par l'assurance maladie, et il y avait des associations qui nous aidaient. Ici, il n'y a rien de tout cela." On ne saurait mieux définir le mécanisme de l'appel d'air. Et il n'est donc pas étonnant que les familles roms souhaitent si ardemment revenir en France, malgré toute l'inhumanité que l'on attribue facilement aux Français et à leur gouvernement.

De toute façon, même si les expulsions se font dans un cadre parfaitement légal, cela ne résout en rien le problème à long terme. Il arrivera bien un moment où les Roumains obtiendront la liberté de circulation totale dans l'Union Européenne, à l'instar des autres pays. Quoi qu'on puisse dire, les Roms sont largement mieux traités en France que dans leur pays d'origine, pourtant membre de l'Union Européenne. Se repose à nouveau la question des moyens d'actions. La perspective de voir se développer des bidonvilles insalubres en France n'a rien d'attrayante. Certains pourraient déclarer qu'il faut leur donner des logements, mais la France en manque déjà, et les listes d'attentes des HLM sont longues. Il n'y a pas vraiment de raisons pour lesquelles les Roms devraient avoir une priorité. Au bout du compte, la vraie question qui se pose, c'est de savoir si la France peut additionner l'échec de l'intégration des minorités en Roumanie à l'échec de l'intégration des minorités en France.

Comme toujours, l'immigration est une possibilité. En l'occurrence, pour des populations issues de l'Union Européenne, ce serait plus simple que pour d'autres à terme. Mais comme toujours également, il faut qu'il être vigilant pour que cela se passe bien. Pour éviter les chocs, certaines précautions doivent être prises. Il faut que cette immigration soit mesurée, et surtout, éviter tout communautarisme. Autant le dire clairement : aucun endroit ne peut accueillir une communauté entière. On doit davantage veiller à ce que des familles nucléaires s'installent en étant éloignées les unes des autres, au milieu du reste de la population. L'expérience nous a appris que de ne pas respecter cette condition annihilerait pratiquement leurs chances d'assimilation. Cette politique exigeante limite de fait le nombre de Roms qu'il sera possible d'accueillir. Il faudra donc certainement remettre en cause les avantages de ceux vivant dans les bidonvilles, afin de les inciter à retourner durablement en Roumanie. Et c'est là-bas que doit se trouver le dernier volet de l'action politique. L'Union Européenne a déjà versé de larges subventions à la Roumanie pour qu'elle mette en place des politiques d'intégration des populations Roms. Ces sommes d'argent ont jusqu'à présent été peu ou mal utilisées. Il faudra donc inciter davantage la Roumanie à prendre en charge son problème, en contrôlant l'utilisation de ces aides, et par exemple en réorientant l'action des associations aidant les Roms à l'Ouest pour qu'elles les aident désormais dans leur pays d'origine.

Photo : Pierre Le Masson

vendredi 3 septembre 2010

Miliband contre Miliband

En France, nous aurons bientôt un affrontement ex-mari/ex-femme lors des primaires socialistes à la présidentielle. Mais en Grande Bretagne, c'est l'affrontement entre frères qui a cours actuellement. L'ancien ministre des affaires étrangères travailliste David Miliband (connu en Europe pour avoir été un temps pressenti au poste de super diplomate de l'Union Européenne) affronte ainsi Ed Miliband, son frère cadet, pour être à la tête du Labour. Certes, ce ne sont pas les seuls candidats, il y en a trois autres. Mais ce sont les deux favoris. Tous deux députés, ils n'ont visiblement pas envie de s'entraider, comme l'avaient fait les frères Kaczynski en Pologne. Ce sera donc le duel, et comme toujours en politique, l'échange de vacheries.

Il a bien fallu qu'ils se trouvent une différence pour justifier cette double candidature. En l'occurrence, David est perçu comme plus centriste, plus sensible à la révolution du New Labour telle qu'elle avait été théorisée par Tony Blair après des années de vache maigre. Ed se veut plus à gauche, de façon plus traditionnel. Dans un cas comme dans l'autre, il n'est pas vraiment question de renouvellement idéologique intense. C'est dommage. Et cela ne suffira peut-être pas. Etre dans l'opposition est justement une opportunité pour adapter ses idées aux nouveaux enjeux. C'est le travail qui avait été fait par Margaret Thatcher dans les années 70. Cela a permis aux tories de rester 18 années au pouvoir avant d'être finalement épuisés. Le New Labour avait suffisamment de souffle pour rester 13 ans en charge du destin britannique. Et si l'Histoire récente est une indication, s'opposer par principe ne suffira pas.

En 2001, William Hague, le leader des tories d'alors, s'était montré extraordinairement virulent contre les travaillistes, se contentant de proposer les vieilles recettes du conservatisme en guise de programme. Sa défaite fut monumentale. Aujourd'hui, William Hague est le nouveau ministre des affaires étrangères de David Cameron. La politique proposée de ce dernier, faite de décentralisation et de réduction des dépenses publiques, n'a rien d'extrêmement novateur. Mais face à un gouvernement travailliste lessivé par la crise économique et la guerre en Irak, sa première tâche fut de présenter le parti conservateur comme un recours respectable et dynamique.

Le gouvernement de David Cameron pourra légitimement affirmer qu'il ne fait qu'hériter des problèmes survenus pendant le règne d'autres. Les travaillistes doivent donc se remettre au travail pendant ce temps. Pour l'instant, un thème est presque complètement absent des débats, comme toujours à vrai dire : l'Europe. Voilà un sujet qui mérite une implication nette des deux Miliband.

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