Réflexions en cours

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mardi 17 juillet 2007

La division de l'île de Chypre

La question chypriotte reste au coeur des relations diplomatiques entre l'Union Européenne et la Turquie. Ou plutôt, elle reste une pierre d'achoppement qui les trouble. L'île est historiquement peuplée par des Grecs et des Turcs, deux peuples qui se sont longtemps combattus par le passé, et la situation demeure une question assez classique de domination territoriale. En l'occurrence, au vingtième siècle, la population chypriotte était en grande majorité d'origine grecque. Alors que le territoire fut pendant quelques décennies sous administration britannique, son rattachement à la Grèce ou à la Turquie était encore hors de question. Mais lorsque l'île prit son indépendance, il y eut très vite une volonté forte de réaliser l'enosis, l'union avec la Grèce dont elle était si proche culturellement. La présence d'une minorité turque était un obstacle évident à l'opération, et en éloignait la perspective. Ainsi, quand en 1974 un coup d'Etat fut organisé pour forcer le rattachement de Chypre à la Grèce, la Turquie répliqua en envahissant la partie nord de l'île pour empêcher l'enosis. Si la République de Chypre demeura indépendante, l'armée turque n'en a pas moins continué d'occupper le nord de l'île, créant de fait une partition de l'île. Cette partition a perduré au cours des décennies suivantes, transformant la division géographique en une division ethnique, avec une République de Chypre composée de citoyens d'origines grecques, reconnue par la plupart des pays à travers le monde, et une administration turque qui s'occuppe des chypriotes turques, dont une bonne part de Turques venus en colons pendant cette période, passant ainsi outre la Convention de Genêve sur la non-colonisation des territoires occuppés. Cette administration turque n'est de ce fait reconnue que par le gouvernement turque.

Or depuis le 1er mai 2004, Chypre en tant qu'Etat est devenue l'un des membres de l'Union Européenne. Si la petite île n'est pas géographiquement en Europe, cette adhésion fut surtout l'occasion de faire un ersatz d'enosis pour la Grèce, en faisant incorporer Chypre au même ensemble qu'elle. Paradoxalement, des négociations d'adhésion ont été ouvertes entre la Turquie et l'Union Européenne. Cela peut sembler d'autant plus surprenant que la Turquie ne reconnaît pas l'un des membres de cette Union, en refusant d'admettre la souveraineté de la République de Chypre. Ainsi, l'Union Européenne est en train de discuter adhésion avec un pays qui nie l'existence d'un de ses membres. Evidemment, le poids d'une armée très nationaliste pèse en Turquie dans le débat sur la concession que serait une reconnaissance de la Chypre grècque. Tout cela forme une situation inextricable. Certes, ce n'est pas la seule avec la Turquie. Mais cela représente tout de même une gêne indéniable, et à vrai dire invraisemblable.

Dès lors, le véto de Chypre à l'adhésion de la Turquie à l'Union Européenne serait tout à fait naturel. Il serait même juste que ce véto provienne de l'ensemble des pays qui constituent cette Union, tant le mépris de la Turquie envers Chypre est incroyable. Encore aujourd'hui, la Turquie refuse l'accès des bateaux chypriottes à ses ports. Du reste, il y a bien d'autres points qui ne rendent pas souhaitable l'adhésion de la Turquie. Mais celui-ci n'est pas le moindre.

vendredi 13 juillet 2007

Désillusion européenne

Lors du sommet européen des 21 et 22 juin dernier, la Présidence allemande de l'Union Européenne s'est évertuée à trouver une porte de sortie à la crise engendrée par les "non" français et néerlandais dans leurs référendums respectifs quant à l'adoption du Traité Constitutionnel Européen. Si le "traité simplifié" proposé par Nicolas Sarkozy fut une base de travail qui finit par être approuvée par tous, les négociations ont tout de même été très compliquées. Car là où ce traité simplifié visait essentiellement à reprendre les avancées institutionnelles du TCE, et à laisser la définition des politiques menées aux autres traités en vigueur, certains pays, avec en premier lieu la Pologne, ont essayé d'en profiter pour revenir sur ces avancées institutionnelles, en particulier sur le point délicat du système des droits de vote. Les frères Kaczynski ont utilisé des arguments stupéfiants pour défendre leur souhait d'avoir des droits de vote plus que proportionnels au poids de leur pays, en montrant ainsi une germanophobie qui ne devrait plus être d'actualité maintenant que Pologne et Allemagne font tous deux partie de l'Union Européenne. Il a fallu que des pays considérés comme moins hostiles par la Pologne aillent en première ligne convaincre ses dirigeants, quitte à ce que Nicolas Sarkozy appelle Jaroslaw Kaczynski, le Premier ministre polonais resté à Varsovie, et lui proposer de faire lui-même un discours devant le parlement. Angela Merkel, elle, a su user de suffisament de diplomatie pour que ces attaques irrespectueuses n'empêchent pas la conclusion d'un accord. La Présidence portugaise qui débute actuellement, est chargée de formaliser ce nouveau cadre qui vient d'être décidé.

Si l'aboutissement des discussions à un accord fait que le sommet a été de fait un succès vu ses enjeux, nombreux sont ceux qui en sont repartis avec une forte amertume. En effet, la Pologne avait obtenu de retarder l'application de ce nouveau système de vote et la Grande-Bretagne n'est pas obligée de voir s'appliquer sur son territoire la charte des droits fondamentaux. En fait ce sommet a été le théatre d'une pièce où chaque pays venait défendre son intérêt national, devant rendre compte ensuite devant son opinion publique sur ce qui a pu être obtenu à la bataille, sans jamais se soucier de l'intérêt général européen. C'est ainsi l'idée européenne en elle même qui a été mise à mal. Dès lors, comment vouloir la mise en place d'une véritable politique européenne ? Si l'Europe manque cruellement de démocratie dans son fonctionnement, le chemin est encore très long avant qu'une structure fédérale, rendant compte directement au peuple, puisse être mise en place. Il apparaît alors que l'idée d'une "constitution européenne" est venue bien trop tôt, et quelle que ce soit la façon dont on l'observe aujourd'hui, il semble clair a posteriori que les chances de succès de cette entreprise à l'échelle européenne étaient minimes. L'expérience nous a au moins permis de le comprendre.

Le coup est dur, et c'est une véritable désillusion qui accable les partisans de la construction européenne. Plusieurs pays ont adhéré à l'Union Européenne simplement pour entrer dans une zone de libre échange, sans se préoccupper de l'efficacité supplémentaire que pouvait procurer des politiques concertées dans de nombreux domaines. Le refus de reconnaître les symboles de l'Union Européenne est en cela emblématique de la méfiance envers le fonctionnement européen. Pourtant, rien n'indique que les pays qui frennent aujourd'hui des quatres fers soient à jamais perdus pour la cause de la construction européenne. En fin de compte, ils ne font que refléter l'état de leurs opinions publiques respectives qui peuvent évoluer. L'Histoire nous a appris que s'il y a certaines constantes dans les volontés de chaque peuple, celles-ci ne permettent pas de faire un trait définitif sur une véritable ambition européenne. Seulement voilà : il est encore bien trop tôt.

L'illusion, c'était de croîre que l'on pouvait arriver à une structure fédérale dès maintenant. L'illusion tenait en fait surtout dans les symboles, l'utilisation des mots "convention" et "constitution", alors que le TCE n'avait pas grand chose à voir avec une véritable constitution. Seulement rien n'est perdu, si l'on s'en donne le temps. Il ne faut pas se voiler la face, cela prendra certainement plusieurs décennies pour que le projet européen arrive à terme. La construction européenne fête actuellement son cinquantenaire, il lui en faudra probablement un deuxième pour aboutir véritablement. Et pendant tout ce temps, le travail devra rester constant. Il apparaît alors que les partisans de la construction européenne traversent davantage un découragement temporaire, plutôt qu'une désillusion fondamentale. Ils peuvent en profiter pour s'interroger sur les meilleures voies pour continuer ce travail, et sur la manière dont leur vision doit prendre forme. Mais en tout cas, il est hors de question pour eux d'abandonner la partie.

lundi 9 juillet 2007

La flat tax slovaque

Après s'être sorti de l'emprise d'un communisme qui leur avait été imposé, les pays de l'Europe de l'est ont pour la plupart adopté des politiques économiques totalement à l'opposé de ce qu'ils avaient connu auparavant. Depuis une quinzaine d'années, il n'est plus question que de libéralisation là-bas, et lorsque cela a commencé par la privatisation d'un secteur public omniprésent, cela ne devait pas forcément se finir par une législation du travail très flexible, et une politique économique basée sur le laissez-faire. C'est pourtant le mouvement que ces pays ont accompli, pour arriver jusqu'à adopter le système de la flat taxe, c'est-à-dire le taux d'impôt unique sur tous les revenus, le même pour tous. La Slovaquie a été particulièrement remarquée en la mettant à 19 %, ce qui en fait un taux très bas. Mais elle connaît une très forte croissance, l'une des plus fortes de l'Union Européenne. De plus, conformément à la courbe de Laffer, les rentrées fiscales augmentent. Cela revient à dire que les rentrées fiscales sont plus fortes avec des taux d'imposition très faibles, puisqu'ils encouragent l'activité, que lorsque les taux d'imposition sont très forts. Ceux qui font la promotion de la flat tax mettent aussi en avant la simplicité du mécanisme, qui permettrait d'économiser des sommes colossales de calculs d'impôts chez les entreprises (et peut-être aussi chez les particuliers) et de recouvrements chez les gouvernements. Enfin, d'un point de vue éthique, il est possible d'argumenter que chaque effort doit être taxé de la même façon : après tout, si un gain supplémentaire est la conséquence d'un mérite supplémentaire, il ne doit pas être davantage découragé.

Mais d'un autre côté, ceux qui parlent de justice sociale restent attachés à la progressivité de l'impôt sur le revenu, et n'entendent pas revenir dessus. Le but n'est pas de taxer les plus modestes s'ils n'ont déjà pas suffisamment pour vivre de leurs propres revenus. Après tout, même les pays qui ont adopté la flat tax ont quand même un revenu plancher au dessous duquel le foyer n'est pas imposable. Mais la progressivité de l'impôt permet de taxer bien plus les foyers aux revenus les plus élevés. Le raisonnement est qu'à partir d'un certain niveau, on a assez pour vivre et même bien vivre. S'il faut donc prendre de l'argent à quelqu'un, autant le prendre là où il est, chez les riches qui n'ont pas besoin d'autant d'argent. La progressivité est compréhensible, même s'il est contre productif de taxer trop fortement les hauts revenus.

Le véritable problème de ces mises en place de flat tax dans ces pays qui restent tout de même plus pauvres que ceux d'Europe de l'ouest est que les taux adoptés sont vraiment faibles, alors que les États restent abreuvés d'aides communautaires. En faisant reposer la charge de l'impôt en partie sur les pays riches de l'Europe, les pays de l'est peuvent avoir une politique économique agressive en matière de compétitivité. Ils sont alors la cibles d'accusation de dumping, en ayant des coûts du travail inférieurs et en évitant de répercuter sur l'économie les besoins financiers des gouvernements, grâce aux subventions européennes. Et il est manifeste que l'entrée dans l'Union Européenne a été un succès économique pour les pays comme la Slovaquie. Evidemment, lorsque la Slovaquie se sera rapproché du niveau de pays comme l'Allemagne ou l'Italie, de telles politiques agressives seront moins nécessaires. Elles auraient de toutes façons du mal à perdurer, tant cette impression de dumping peut énerver les pays qui sont contributeurs nets au budget européen, et qui font face à des délocalisations parce que leur coût du travail ou leur taux d'imposition sont trop élevés. Il n'est pas dit qu'une généralisation de telles politiques soit possible.

dimanche 1 juillet 2007

L'encombrant voisin des pays baltes

Pour les pays baltes, autrefois membres de l'Union Soviétique, le passage à l'ouest ne s'est pas fait facilement. Arrivés tous les trois dans l'Union Européenne en 2004, ils doivent faire face au regard vengeur de la Russie, qui ne leur pardonne pas de vouloir sortir de sa sphère d'influence. Comme pour le reste de l'Europe, ils sont dépendants vis-à-vis de la Russie en matière énergétique, et celle-ci n'oublie pas d'en jouer. Elle souhaite ainsi être maître d'oeuvre de la construction éventuelle de centrales atomiques chez ses voisins, et lors de soucis diplomatiques, "découvre" des problèmes techniques dans les gazoducs qui empêchent l'acheminement de l'énergie en provenance de chez elle. Mais avec la vision très nationaliste qu'a Vladimir Poutine des affaires étrangères, vivre à côté de la Russie devient une difficulté en soi, surtout lorsque l'Histoire s'en mèle. C'est ce que peut constater l'Estonie chaque jour. Après avoir été sous le joug soviétique pendant des décennies, celle-ci souhaite retrouver sa propre identité, et se considère comme étant davantage un pays nordique qu'un pays slave. La langue estonienne est ainsi proche de la finlandaise.

Pour entériner cette orientation, le gouvernement estonien a décidé lors de l'obtention de son indépendance de donner la nationalité estonienne à ceux qui pouvaient se réclamer d'un ancêtre estonien en 1940, ou bien à ceux qui pouvaient montrer la maîtrise de la langue estonienne et de l'histoire de ce pays. Hors pendant la guerre froide, l'URSS a envoyé de nombreux russes en Estonie pour contrôler le pays, un peu à la manière de colons. Les russophones peuvent ainsi représenter un quart de la population en Estonie, mais maintenant que le lien avec la Russie est coupé, ils ont l'obligation de s'intégrer. Certains d'entre eux n'ont pas satisfaits les obligations qui leur étaient demandés, et continuent de ne pas avoir de nationalité définie, n'ayant pas voulue retourner en Russie qui les auraient accueillis. Ils représentent tout de même 9 % de la population. Ces situations compliquées sont bien évidemment la conséquence de tensions historiques non résolues. La Russie proteste ainsi régulièrement contre la discrimination opérée dans les Etats baltes contre ses minorités. D'une manière générale, et comme on peut le voir avec l'example polonais, c'est l'ensemble de l'Europe de l'est qui essaie de sortir, parfois maladroitement, de l'emprise psychologique russe qui se veut toujours d'actualité.

Et c'est encore en Estonie que la situation est la plus tendue parmi les pays baltes. Lorsqu'en avril dernier, les autorités estoniennes ont décidé de déplacer (du centre de Tallinn vers un cimetière militaire) un mémorial de la seconde guerre mondiale formé d'une statue d'un soldat soviétique, la minorité russe de l'Estonie et par ricochet la Russie ont considéré que l'Estonie manquait de respect envers les soldats russes qui ont payé de leur vie pour libérer ce pays. Les nationalistes estoniens eux considéraient que la statue représentait la conquête de l'Estonie par la Russie. La controverse se transforma en émeutes violentes et en une crise diplomatique aigüe entre les deux voisins. Les médias d'Etat russes étaient ainsi prompts à qualifier le gouvernement estonien de régime presque fasciste dans la répression des émeutes des minorités russophones, ce qui n'a évidemment pas simplifié la situation des Estoniens habitant la Russie. Peut-être l'événement le plus inquiétant fût l'attaque informatique qu'ont alors subie les sites estoniens, sous forme de surcharge organisée de serveurs ou bien de hacking pur et simple, dont l'origine ne faisait peu de doute. Le petit pays fût alors coupé du reste du réseau mondial, laissant entrevoir l'ampleur que peut avoir une cyber-attaque dans un contexte de guerre.

La tension avec le voisin russe n'est évidemment pas la seule caractéristique des pays baltes. Ce sont notamment des économies qui font une utilisation intensive des nouvelles technologies informatiques, et qui connaissent une croissance extrèmement forte, entre 7 et 10 %. Ce sont des pays euro-enthousiastes, le Président lithuanien s'étant fait remarquer par son rôle de facilitateur lors du dernier sommet européen, et qui représentent la frontière orientale de l'Union Européenne. Seulement ils sont chacun de petite taille, et face à la taille colossale de la Russie, avoir un soutien franc de la part de leurs alliés européens serait souhaitable. Cela ne doit pas leur être refusé.

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