Réflexions en cours

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lundi 27 août 2007

Retour sur la libération des infirmières bulgares

Il en avait parlé pendant la campagne, puis l'avait évoqué à nouveau le soir de son élection : Nicolas Sarkozy n'hésitait pas à déclarer que l'emprisonnement des infirmières bulgares et du médecin palestinien en Libye était un scandale qui engageait la France à agir pour leur libération. Lorsqu'il arrive au pouvoir, les recours juridiques s'épuisent pour ces infirmières : fin juin, leur condamnation à mort est confirmée par la cour de cassation de Tripoli. Si cela fait des années qu'il existe une mobilisation internationale en faveur de cette libération, le colonel Kadhafi répugne à l'accorder. Il faut dire qu'il a fait de ces infirmières des boucs émissaires à un scandale énorme de la santé en Libye : la contamination de centaines d'enfants par le SIDA du fait d'un respect déplorable des règles d'hygiène. Plutôt que de reconnaître la gestion catastrophique du système de santé libyen (ce qui aurait pu provoquer un mécontentement mettant en danger le maintien du régime en place), le pouvoir a préféré rejeter la faute sur des étrangers, en les accusant d'avoir consciemment injecté le virus aux jeunes enfants libyens. La colère populaire s'est alors retournée contre ce personnel soignant étranger, leur exécution devenant pour le colonel Kadhafi un sacrifice humain à faire pour calmer la fureur du peuple pour mieux se protéger. A priori, le dirigeant libyen n'avait donc pas vraiment intérêt à libérer ces infirmières.

Certes, il voulait également retourner dans le concert de la diplomatie mondiale. En indemnisant les victimes de l'attentat de Lockerbie et en livrant ses stocks d'armes de destruction massive aux américains en 2003, il était redevenu à peu près fréquentable. Il joue ainsi un grand rôle dans les tentatives de création d'une union africaine. Dans ce cadre, l'exécution des infirmières le desservirait. Il fallait donc trouver une solution à l'issue de laquelle il puisse apparaître gagnant. Avant même que la Bulgarie ne rejoigne l'Union Européenne, cette dernière avait commencé à œuvrer pour la libération des infirmières bulgares. Cela se fit notamment sous l'égide de Bénita Ferrero-Waldner, la commissaire aux relations extérieures de l'Union Européenne. Malheureusement, cela ne suffisait pas car le colonel Kadhafi voulait, pour garantir son retour sur la scène internationale, des interlocuteurs politiques d'un poids supérieur, en plus de la normalisation des relations entre la Libye et le reste du monde. C'est alors que Nicolas Sarkozy commença à intervenir. Constatant que les filières diplomatiques traditionnelles n'étaient pas efficaces, il décida d'envoyer son propre bras droit, plutôt que d'envoyer une fois de plus un ministre des affaires étrangères à Tripoli. C'est donc le secrétaire général de l'Elysée, Claude Guéant, qui partit pour faire le lien entre le président français et le dirigeant libyen. Il fut accompagné de l'épouse du président, qui devait jouer un double rôle : d'une part, avoir un rôle compassionnel, tant pour les infirmières bulgares que pour les enfants libyens inoculés, d'autre part pour signifier au colonel Kadhafi l'implication très personnelle de Nicolas Sarkozy dans la négociation. Cela permettait ainsi de prendre en compte à la fois l'émotion du peuple libyen, et de s'adapter à la psychologie ou la culture du dirigeant libyen.

Cette implication personnelle permit de débloquer les négociations qui avaient été en grande partie menée par l'Union Européenne, mais qui n'arrivaient pas à franchir la dernière étape. La présidence allemande de l'Union Européenne comptait sur une telle libération avant le sommet européen de juin dernier, mais n'avait pu passer les derniers obstacles, provoquant l'aigreur du ministre allemand des affaires étrangères. Le 24 juillet dernier, l'avion estampillé République française ramena les infirmières et le médecin en Bulgarie, provoquant la joie des Bulgares. Dans cette dernière négociation, la Commission Européenne, la France et la Bulgarie avaient travaillé ensemble pour arracher la décision de libération au colonel Kadhafi. Après que Claude Guéant et Bénita Ferrero-Waldner se furent exprimés ensemble pour se réjouir de l'issue heureuse de la crise, Nicolas Sarkozy et José-Manuel Barrosso ont tous les deux tenus des conférences de presse au même moment, où ils dirent les mêmes choses, et se félicitèrent et se remercièrent l'un l'autre. De son côté, le colonel Kadhafi bénéficier d'une normalisation des relations avec la communauté internationale, concrétisée par la visite de Nicolas Sarkozy en Libye, et fustiger à bon compte la Bulgarie pour avoir graciée les infirmières seulement transférées de prison en théorie.

Au bout du compte, le résultat est là : les infirmières et le médecin sont libres et de retour en Bulgarie. On pouvait s'attendre à ce qu'il y ait une joie équivalente à l'inquiétude qu'avait provoquée la perspective d'une telle injustice. Mais non. Alors qu'en Bulgarie tout le monde remerciait l'Union Européenne et la France pour le rôle conjoint qu'ils avaient joué, une partie de milieu politique français a d'abord accusé la France de n'avoir rien fait mis à part de voler la vedette à la Commission Européenne, puis, en changeant complètement de perspective, d'en avoir trop fait pour cette libération. Aujourd'hui, le Parti Socialiste veut transformer ce succès en accusation politique, notamment en réclamant une commission d'enquête parlementaire pour s'en prendre à l'épouse du chef de l'Etat. Ce sont les mêmes qui, autrefois, parlaient de cet emprisonnement comme d'une honte, essaient désormais de transformer cette libération en une sordide affaire de politique intérieure. Parce que pour certains de ses adversaires, Nicolas Sarkozy ne saurait, par principe, avoir de succès. Tout est bon alors pour que ce dogmatisme et ce sectarisme se déchaînent. Voilà qui est plutôt triste...

dimanche 19 août 2007

Le miracle irlandais

Aujourd'hui, l'Irlande est un pays prospère, dont le taux de croissance économique en 2006 était supérieure à 5 %. Le faible taux de chômage et les finances publiques saines sont d'autres indicateurs du succès de ce petit pays. Pourtant, cela ne fut pas toujours le cas, et l'on peut même qualifier ce succès de tardif. A l'instar de la Grande Bretagne dans les années 70, l'Irlande semblait régresser économiquement parlant dans les années 80. Taux de chômage très élevés, finances publiques en déroute, croissance en berne faisaient que l'Irlande avait l'apparence d'un foyer de développement de la misère en Europe de l'ouest. Mais pendant toute la décennie des années 90, la chance a tourné, transformant en profondeur l'économie et la société, et donnant à l'Irlande une position de force dans la mondialisation. Bien plus que de la chance, ce résultat spectaculaire est la conséquence de plusieurs mesures énergiques importantes.

La solution est venue en premier lieu de politiques économiques libérales, semblables à celles qu'avait pu mettre en œuvre Margaret Thatcher en Grande Bretagne. Une partie de la faiblesse économique de l'Irlande venait du fait que l'économie était écrasée sous le poids des impôts, en changeant complètement d'optique le gouvernement irlandais a tiré les conclusions de ses échecs précédents. L'impôt sur les sociétés a donc été drastiquement diminué (en s'établissant aujourd'hui à 15 %), ainsi que les autres taxes. Des aides ont été accordées aux entreprises qui décidèrent de s'installer en Irlande, et un effort particulier sur la recherche et développement a fait de ce pays en endroit attrayant pour les firmes de haute technologie. La conséquence fut qu'un grand nombre d'entreprises étrangères, en particulier américaines, ont choisi l'Irlande pour s'établir en Europe, irriguant l'économie irlandaise d'investissements importants qui relancèrent l'activité. Mais cela était justement possible parce que l'Irlande avait rejoint l'Union Européenne, et cette adhésion est bien la cause majeure de ce développement économique. Ayant longtemps fait parti des pays les plus pauvres de l'Union Européenne, l'Irlande a été l'un des principaux receveurs d'aides régionales pour mettre en place ou moderniser les infrastructures du pays. En outre, l'accès à un marché commun important lui ont permis de moins dépendre de la Grande Bretagne, qui était auparavant le pays destinataire de 90 % de ses exportations. Et c'est bien ce vaste marché potentiel que visaient ces entreprises américaines qui s'installaient en Irlande.

L'Irlande a actuellement des problèmes de pays riches : tendances inflationnistes du fait de la surchauffe de l'économie, ou manque de personnel pour certains métiers, presque tout le monde étant déjà employé. Elle connaît aussi des difficultés similaires à la Grande Bretagne, les mêmes causes aboutissant aux mêmes conséquences, la baisse de la fiscalité devant entraîner de moindres dépenses publiques, les services publics sont souvent dans un état médiocre. Mais l'Irlande ne voudrait en aucun cas retourner aux années sombres, où le manque de dynamisme et la faiblesse économique pesaient sur chacun. Cette success story nous enseigne au moins deux choses : d'une part, aucune situation économique dégradée n'est condamnée à perdurer, la volonté politique et des réformes structurelles de l'économie permettent d'en sortir. D'autre part, les pays pauvres de taille modeste qui ont adhéré à l'Union Européenne peuvent légitimement voir en elle un espoir, et l'Union en elle-même permet bien de rendre l'Europe dans son ensemble plus riche. D'un "miracle", l'on tire ainsi un double espoir, pour son avenir, et celui des autres.

samedi 11 août 2007

La leçon autrichienne

Alors qu'elle avait adhéré à l'Union Européenne depuis cinq années, l'Autriche faisait figure de membre ordinaire, qui aurait du intégrer l'Union plus tôt si sa neutralité ne l'avait pas empêché tant que l'opposition entre les blocs capitaliste et soviétique continuait. Mais en février 2000, l'Autriche fit événement en Europe : le gouvernement se formait sur la base d'une coalition entre les chrétiens démocrates de l'ÖVP et les nationalistes du FPÖ, oubliant ainsi la pratique du cordon sanitaire qui était de règle à travers le continent. Le FPÖ, parti nationaliste formant l'extrême droite du paysage politique autrichien, obtenait l'accès au pouvoir, et de ce fait acquis une influence dans la gestion des affaires du pays. Pourtant, dans chacune des quatorze autres démocraties membres de l'Union Européenne, l'influence de l'extrême droite était amoindrie par le refus des autres partis de "collaborer" avec elle. Seulement, en Autriche, le nombre de possibilités de coalition n'était pas très élevé. Le système, là-bas, est celui d'une démocratie parlementaire, ce sont donc les élections législatives qui importent. Celles-ci se font à la proportionnelle, et comme aucun parti ne fait plus de 50 % des voix, les coalitions sont obligatoires pour diriger le pays. Historiquement, c'est donc une grande coalition entre les chrétiens démocrates et les sociaux démocrates qui a gouverné l'Autriche la plupart du temps depuis l'après guerre. Avec une telle alliance, perdurant bien plus longtemps qu'une union sacrée pour le bien du pays, s'est formée l'impression d'un parti unique au pouvoir dans l'esprit de nombreux Autrichiens. Aussi modérés soient-ils, le système politique rendait le changement de ligne directrice difficile.

L'alternative s'est présentée sous la forme de Jörg Haider, le chef du FPÖ, qui étant exclu du pouvoir, avait lui tout loisir de critiquer l'action du gouvernement. Et il ne s'en privait pas, faisant de ses diatribes sa marque de fabrique, s'en prenant de façon simpliste à tout ce qui n'allait pas en Autriche, et prenant pour première cible la classe politique en place. Ceux qui, parmi les Autrichiens, voulaient tenter quelque chose d'autre, n'avait plus beaucoup le choix, et exprimaient leur volonté de renouvellement en votant pour le FPÖ. Celui-ci se retrouvait alors avec un nombre de députés important au parlement, le rendant incontournable. Au point de pousser l'ÖVP à faire une coalition avec lui pour former le gouvernement.

La fureur des autres pays d'Europe s'est révélée contre-productive, apparaissant comme une tentative maladroite d'ingérence dans les affaires intérieures de l'Autriche par les Autrichiens. Dès lors, le retour à la normale fut rapide. Au fil du temps, le FPÖ prouva qu'il n'avait pas les solutions aux problèmes autrichiens, qu'il n'était qu'un parti d'opposition et n'avait pas vraiment vocation à gouverner le pays. Mais un parti d'extrême droite n'arrive pas au pouvoir sans qu'il y ait un risque vis-à-vis de la nature des politiques menées ou du maintien de la démocratie. L'Autriche en est arrivée là à cause de son système politique, qui en cherchant le consensus, affaiblit l'action politique. Parlementarisme et proportionnelle ne favorisent pas l'efficacité et donne une influence énorme aux extrêmes. Au moins, l'expérience autrichienne aura servi de leçon pour les autres pays européens : la recherche du consensus entre les partis est difficile à tenir sur le long terme, et fait des extrêmes la seule alternative, alors que la base d'une démocratie est de pouvoir choisir.

Photo : Reuters

vendredi 3 août 2007

Le Portugal prend le chemin des réformes

Depuis le 1er juillet dernier, c'est au tour du Portugal de prendre la présidence de l'Union Européenne. Sa principale tâche fera de faire aboutir la conférence inter-gouvernementale sur le nouveau traité institutionnel de l'Union Européenne, dont les contours ont été fixés lors du sommet de Bruxelles en juin dernier. Alors que la situation politique intérieure de la Pologne est très agitée, arriver à un accord ne sera sans doute pas évident, vu que ce fût le pays qui avait posé le plus de problèmes au sommet de Bruxelles. Confronté à une surenchère nationaliste lors d'élections anticipées par une crise gouvernementale, les frères Kaczynski ne risquent pas de faciliter les choses, s'ils sont encore au pouvoir au moment où cette conférence se déroulera. Ce sera au Premier ministre portugais, José Socrates, d'avoir les talents de négociateur nécessaires pour que le traité soit correctement achevé. Ce socialiste est arrivé au pouvoir il y a deux ans de cela, dans un pays qui ne va pas bien économiquement. Alors que le reste de l'Europe dispose d'une économie robuste (la France mise à part évidemment, ainsi que l'Italie), le Portugal connaît des taux de croissance faible, inférieurs à 2 %. De plus, l'état de ses finances publiques le met en difficulté vis-à-vis du Traité de Maastricht, qu'il doit respecter en tant que pays utilisant l'euro comme monnaie nationale.

Face à l'obésité de l'administration publique, José Socrates a eu le courage de prendre les problèmes à bras le corps. Par d'importantes réformes administratives, il diminue le poids de la bureaucratie dans le Portugal, favorise une nouvelle stratégie économique basée sur l'innovation, lutte contre la fraude fiscale et combat le surnombre d'employés du public. Pour améliorer la gestion des administrations publiques, le gouvernement portugais vient ainsi de décider la contractualisation de 80 % des employés des services publics. Seuls les corps régaliens de l'Etat (police, armée, justice, diplomatie) auront désormais vocation à employer des fonctionnaires, le reste pouvant très bien travailler avec du personnel dont les contrats de travail seraient similaires aux employés du privé, alors que les administrations resteront publiques. Ce changement promet une meilleure efficacité de la gestion des ressources humaines dans les services publics portugais, et probablement une meilleure équité entre travailleurs du privé et du public. Cette meilleure efficacité sera bien sûr amenée à se traduire dans une amélioration des comptes de la nation, dont tous profiteront, par exemple par de moindres ponctions fiscales, ou une meilleure qualité de services publics.

Cette réforme, pourtant ambitieuse, ne semble pas mettre le Portugal à feu et à sang. Et c'est bien un gouvernement socialiste qui la met en oeuvre. En France, une telle contractualisation massive de fonctionnaires est un tabou absolu. La peur des syndicats du secteur public, attachés au maintien de leurs privilèges, reste d'autant plus présente qu'ils gardent une capacité de nuisance impressionnante sur le reste de la population. Il n'y a pourtant pas vraiment d'argument qui s'oppose à la contractualisation, si tout du moins l'on s'attache principalement à la défense de l'intérêt général. Alors que le Portugale connaît des difficultés économiques, il a le courage de faire des réformes importantes du secteur public pour améliorer la situation. La France connaît une faiblesse économique semblable. Aux mêmes causes, mêmes conséquences. Mais elle aurait bien besoin de courage elle aussi.

Photo : AFP
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