Cette semaine, deux événements militaires ont mis en lumière la guerre qui a lieu entre les Etats-Unis et l'islamisme (l'islam extrémiste). Certes, depuis le 11 septembre 2001, cette guerre est quotidienne, mais ces faits sont quand même assez symboliques pour être commentés. D'abord, la mort d'Abou Moussab al Zarkaoui. Celui-ci menait la guérilla sunnite en Irak en se réclamant d'Al Qaïda, en s'en prenant d'une part aux Occidentaux sans distinctions, et d'autre part aux chiites, dans le but de créer une guerre civile. Celle-ci permettrait un pourrissement de la situation tel qu'il pourrait en tirer profit, en devenant une sorte de maître du chaos. Il est devenu logiquement l'ennemi numéro un des Américains, d'où le concert de satisfactions qui a suivi sa disparition. Il ne faut pourtant pas croire que la mort d'une seule personne réglera le problème : tant du côté des sunnites que du côté des chiites, un bon nombre d'éléments refusent l'occupation du territoire irakien par les Américains, et l'absence d'un véritable pouvoir national (en dépit des efforts américains pour faire émerger un gouvernement irakien représentatif), ce sont souvent des religieux extrémistes qui récupèrent la mise, en étant les seules autorités disponibles. Pour ceux qui considèrent que la guerre en Irak se résume à une croisade chrétienne contre l'Islam, il y a une volonté forte de repli sur la religion. Les troubles irakiens alimentent donc de nombreux islamistes étrangers, convaincus qu'il leur est demandé dans leur religion de mener la guerre sainte. Un mouvement aussi général ne peut s'arrêter avec la mort d'un seul homme : les fous de Dieu étant tellement enfermés dans la doctrine d'une foi extrémiste qu'ils ne sont pas sensibles à l'inquiétude ou à la raison.

On voit d'ailleurs en Afghanistan les difficultés qu'il y a à reconvertir certaines régions à des formes moins extrémistes de l'Islam. Le régime des talibans avait voulu instaurer la loi islamique (charia) comme fondement des règles du pays. Une lecture particulièrement rigoriste et absurde du Coran permettait de justifier les pires exactions : assouvissement total des femmes jusqu'à leur imposer le port de la burqa, destruction des bouddhas géants de Bamyan, soutien direct à Al Qaïda, persécution de tous ceux qui ne suivent pas strictement leur doctrine... Même après la chute du régime des talibans, certains réflexes terrifiants persistent, comme le montre le cas d'un homme qui avait été condamné à la peine capitale pour s'être converti au christianisme. Et dans une majorité des pays musulmans, des groupuscules extrémistes s'activent pour obtenir le fondamentalisme religieux et l'adoption de la charia. On a pu le voir récemment en Palestine avec la victoire du Hammas, mais la situation est aussi grave en Egypte ou au Liban.

Et cela nous amène justement au deuxième événement marquant : la prise de Mogadiscio en Somalie par les islamistes locaux. Ceux-ci représentaient la seule institution se réclamant d'une quelconque morale, par contradiction aux seigneurs de guerre qui étaient dominés par l'appât du gain. Les islamistes déclarent désormais vouloir établir la charia et sont hostiles aux Etats-Unis, qui luttent activement pour limiter l'expansion de l'islamisme dans le monde.

On se rend compte en fin de compte que les Etats-Unis sont à nouveau dans une logique d'affrontement mondial contre une doctrine concurrente, s'opposant de façon frontale aux valeurs qu'ils véhiculent. Nombreux sont ceux qui ont cru qu'après la chute de l'empire soviétique une ère de pays commencerait dans le monde, à l'ombre de la bannière étoilée. Mais la pax americana n'a pas duré longtemps. Et l'écroulement des deux tours du world trade center a marqué la fin de la naïveté, ainsi que la réalité d'un nouvel ennemi pour l'Occident. L'islamisme a remplacé le communisme à la place de doctrine totalitaire hostile aux Etats-Unis et à ses alliés, et la théorie des dominos, conçue pour représenter les risques de contagion de la doctrine communiste d'un pays à ses voisins, semble aujourd'hui s'appliquer à l'islamisme.

L'URSS a duré plus de soixante-dix ans, dont une cinquantaine d'année passée sous la forme d'une guerre froide avec les pays capitalistes. Le choc entre les islamistes et les pays donnant la liberté à leurs citoyens est donc bien parti pour durer, certainement plusieurs décennies. S'il faut construire ses stratégies à si longue échelle, il n'est pas étonnant que le gouvernement américain refuse encore de donner des dates de départ de ses troupes d'Afghanistan ou d'Irak...