Par rapport au scandale Wikileaks, la révélation du programme d'espionnage PRISM est bien plus troublante. Après tout, balancer une quantité énorme de transmissions diplomatiques internes au département d'Etat américain avait certes le fâcheux effet d'afficher les pensées de l'administration américaine, mais montrait également que les personnes concernées pouvaient se tromper, et après tout, personne ne pouvait affirmer faire mieux que les Etats-Unis en terme de double langage. "Parler de façon diplomatique" est bien un synonyme de "être hypocrite", et ça vaut pour tout le monde.

En revanche, dans le cas de PRISM, on tombe dans le genre de choses que seuls les Etats-Unis peuvent commettre, et qui sont au désavantage de tout le monde, Américains compris en fin de compte. L'administration Obama a en effet un accès libre aux données des différents géants de l'Internet américains, autant dire la plupart. Plus de secret, plus de vie privée face à l'Etat américain, celui-ci peut tout consulter de façon discrétionnaire, sans contrôle.

Quand ils étaient dans l'opposition, c'était exactement le genre de dérives auxquelles Barack Obama et Joe Biden s'opposaient. Mais arrivée au pouvoir, ils ont non seulement repris et poursuivi les programmes d'espionnage massif hérités du Patriot Act de George Bush, mais ils les ont également fait se développer. Alors ils pourront affirmer que leur raison d'être est la lutte contre le terrorisme, mais voilà, il n'y a aucun moyen d'en être sûr, vu que tout est secret. En théorie, c'est supervisé par le Congrès, mais rien ne ressort de là non plus. Sans aucune transparence, pas de "check and balance". Quelle est cette démocratie où ses propres citoyens sont constamment espionnés en toute opacité ? Le Président américain estime qu'il s'agit là du bon équilibre entre sécurité et respect de la vie privée. Il faut croire que dans ce bon équilibre, le bon niveau de vie privée est "aucune", reste à savoir si c'est vraiment utile à la sécurité du plus grand nombre, ou bien à qui cela profite vraiment.

En tant que telle, cela ravira les paranoïaques de tout poil, puisque l'ampleur de ce programme confirme de nombreuses sombres peurs. On se retrouve plongé en plein 1984, où toute notre vie est épiée, analysée par un système insondable. On nous dit que c'est pour notre bien, de faire confiance, mais cela se prête à toutes les dérives possibles en l'absence de contrôles. Les citoyens non Américains, innocents et même de pays alliés aux Etats-Unis ont encore moins de possibilités de s'inquiéter du programme PRISM, alors qu'ils en sont l'objet direct, les victimes quotidiennes. Cela rappelle bien des souvenirs aux Allemands de l'ex-RDA, qui croyaient s'être enfin débarrassés de la Stasi il n'y a pas si longtemps.

Mais aux Etats-Unis, le souci des politiciens est surtout de faire payer celui qui a révélé ce scandale, et le voilà qualifié de traître. Il n'a pourtant rien fait pour aider une puissance étrangère ni des terroristes, il a montré une dérive antidémocratique inquiétante, parfaitement contraire aux valeurs mêmes des Etats-Unis. Décidémment, le retour de l'idéalisme promis par Barack Obama est bien loin. Celui-ci, en bon Big Brother, pourra d'ailleurs bientôt compter sur le télécran, cet appareil essentiel à la domination des masses dans 1984. Il permet de regarder et d'être surveillé à la fois. Concrètement, il s'appellera "XBox One". Sous des airs de console de jeu, ce produit Microsoft permettra de filmer la population à tout moment, et devait obligatoirement être connecté à Internet quotidiennement. Sachant que les données collectées par Microsoft finissent aux mains du gouvernement américain, on avait enfin bouclé la boucle. Heureusement, les protestations homériques des consommateurs ont fait reculer la firme de Redmond. Mais pour combien de temps encore ?