Réflexions en cours

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dimanche 18 mars 2007

La Chine découvre la propriété privée

De nos jours, les pays communistes se font rares. Si depuis l'effondrement du bloc soviétique, leur nombre a grandement diminué, ceux qui continuent de se dire héritiers de Karl Marx le sont parfois de moins en moins dans les faits. L'exemple par excellence d'une telle évolution est le cas de la Chine, qui vient de reconnaître la propriété privée. Pour un pays qui continue de s'affirmer communiste et fier d'avoir été dirigé par Mao, il est étonnant d'admettre si franchement le fait que l'économie chinoise repose en grande partie sur des ressorts capitalistes. Certes, du point de vue du système politique, la Chine profite toujours d'un totalitarisme caractéristique des pays communistes pour maintenir la suprématie du parti unique gouvernant aux destinées du pays. Mais si la Chine profite d'un taux de croissance annuel aussi fort, c'est bien parce qu'elle profite de la mise en place des dynamiques compétitives relevant du capitalisme sur une taille gigantesque. En reconnaissant la proprité privée, qui appartient à la sphère capitaliste, la Chine accepte donc de considérer qu'elle en relève.

Evidemment, la concession est assez limitée. Elle s'adresse d'abord à la classe moyenne chinoise en plein essor, qui souhaite disposer d'une certaine sécurité quant aux possessions acquises par les gains de leurs efforts. On peut aussi considérer que la propriété privée facilitera les héritages pour ces nouveaux "nantis" vers leur enfant unique. Or la population chinoise est encore beaucoup constituée de paysans prolétaires, qui ne se sont pas vus accorder la propriété des terres qu'ils exploitent, et dont les revenus ne suffisent pas à acquérir des possessions ayant un minimum de valeur. Eux souffrent toujours du sous développement qu'a entraîné le système communiste chinois, comme le pays entier a été dévasté par le Grand Bond en avant et la Révolution Culturelle. C'est le propre de l'application aveugle d'une doctrine communiste irréaliste : l'Etat n'arrive pas à déterminer efficacement les allocations respectives de ressources, ce qui entraîne de graves pénuries et des baisses de la productivité. Ainsi, en URSS, le communisme de guerre avait été à l'origine de famines terribles. Le système avait fini par se stabiliser autour d'un certain compromis en ce qui concerne l'agriculture : si la propriété privée des terres avait été combattue lors de la lutte des soviets contre les koulaks, et au bout du compte supprimée, les agriculteurs avaient fini par acquérir la possibilité de cultiver quelques terres pour leur intérêt individuel. La production qui en était issue ne dépendait pas des cooperatives agricoles dépendant de l'Etat. Le résultat de la motivation via le gain personnel était éclatant : 25 % des denrées alimentaires étaient produites sur ces terres, qui ne représentaient pourtant que 1 % des surfaces agricoles. Si les pays communistes se condamnent eux-mêmes à un développement économique faible et à une société délabrée, nombre d'entre eux se sont donc appuyés discrètement sur des principes refusés par la doctrine communiste pour garder un minimun d'efficacité économique.

Pour ce qui est de la Chine, il est tout de même réjouissant de voir ce pays s'orienter, même de façon très modeste, vers le capitalisme ou certaines préoccupations de développement telles que l'environnement. Car ce sont autant de petits pas vers une société moins enfoncée dans le délire maoïste. Bien sûr, il reste en fin de compte le nationalisme chinois, que le système communiste peut sembler cacher en surface, comme ce fût le cas pour la Russie. Ainsi, aucun signe positif n'a été enregistré sur la question du Tibet, condamné par son envahisseur à devenir une nouvelle province chinoise. Il reste qu'au fur et à mesure des dirigeants chinois, depuis Deng Xiaoping à Hu Jintao, la Chine ne semble plus exclue de pouvoir être un jour un pays au moins aussi libre que l'est la Russie actuellement. Ce n'est certes pas une situation optimale, mais ce sera déjà un certain progrès.

samedi 10 mars 2007

Le Japon face à son histoire

En septembre dernier, Shinzo Abe a succedé à Junichiro Koizumi au poste de Premier ministre du Japon. Ce dernier était très populaire, en sortant son pays de la crisé économique qu'il traversait, en ayant un côté spectaculaire qui faisait son charisme, et en n'hésitant pas à faire des visites annuelles au sanctuaire de Yasukuni. Par contraste, Shinzo Abe est perçu comme un homme politique plutôt terne, mais qui pouvait être plus enclin que son prédécesseur à veiller à des relations aussi bonnes que possible avec les autres pays d'Asie. En effet, Junichiro Koizumi était très controversé en Chine et en Corée du Sud. Le sanctuaire de Yasukuni honore ceux qui sont morts pour le Japon, dont une grande partie de militaires, et parmi eux des personnes qui se trouvent être considérées comme des criminels de guerre par la Chine et la Corée, pays que le Japon a occuppé de façon violente pendant la première moitié du XXème siècle. Là bas, le souvenir des méfaits accomplis par l'armée japonaise y sont fort, et laisse l'image d'un Japon dominateur et totalitaire. Il n'y a pas eu de grandes réconciliations en Asie comme il y en a eu en Europe après la seconde guerre mondiale. Les sentiments nationalistes restent toujours aussi forts au Japon, même si le recours à la guerre est une idée qui a été éradiquée par l'occuppation américaine et une constitution qui l'interdit explicitement. En parallèle, la Chine et la Corée voient dans le Japon un héréditaire ennemi mortel, dont il est nécessaire de se méfier. Le fait que le Japon n'ait pas vraiment fait de mea culpa de ses actions passées n'arrange rien à l'affaire. Dans la vision historique japonaise des anciens événements, une bonne part de ce qui ne peut pas être porté à la gloire de la patrie est tout simplement minoré. Pour les Japonais, reconnaitre des débordements de la part de leur armée serait en une certaine manière porter injure à leurs ancêtres qui ont combattu pour la grandeur du Japon.

En visitant le sanctuaire de Yasukuni, Junichiro Koizumi honorait une promesse électorale visant à flatter le sentiment nationaliste de ses compatriotes. Mais la contrepartie était des relations excécrables avec ses voisins, qui eux enrageaient de voir leur ancien oppresseur sembler proclamer sa fierté de les avoir tenus sous sa domination. L'arrivée d'un nouveau Premier ministre, Shinzo Abe, était donc de nature à favoriser de meilleures relations diplomatiques dans la zone. Celui-ci a d'ailleurs décider de se rendre à Pekin et à Seoul au début de son mandat pour opérer dans ce sens. Mais se révélant de moins en moins populaire, il en a appelé le 1er mars dernier à la corde nationaliste de ses compatriotes en refusant de reconnaître la prostitution forcée de Chinoises et de Coréennes par l'Armée impériale japonaise dans les années trente et quarante, ce qui était pourtant une revendication de la Chine et de la Corée du Sud. Cela a aussitôt déclenché la fureur de ces pays, et remisé pour plus tard les espoirs d'apaisement dans la région.

Il faut déjà remarquer que ces histoires d'interprétation de l'Histoire reposent en bonne partie sur des confrontations de sentiments nationaux, qui pour être devastateurs en matière diplomatique (avec de graves conséquences potentielles), n'en soint pas moins assez irrationels. Ainsi, on peut s'interroger sur les tords réels et supposés du Japon, la Chine n'hésitant pas elle même souvent à faire de son ancien envahisseur un bouc émissaire responsable de tous les maux du passé afin de se refaire une unité nationale. Pour que tout l'extrème-orient puisse travailler ensemble de façon apaisée, il faudrait donc que chacun fasse preuve d'honnêteté, quitte à faire appel à des historiens indépendants pour déterminer la part de chaque organisation dans tel ou tel événement. Pour commencer, il faudrait y mettre de la bonne volonté. Dans un colloque de l'automne dernier, le correspondant japonais de la NHK en Francesoulignait le fait que l'idée d'Union Européenne apparaissait étrange au Japon, vu que cela ne viendrait à l'idée de personne en Asie de chercher les voies d'une cohésion supra-étatique. Ne serait-ce que pour faire une simple zone de libre échange, les négociations sont très difficile. Dès lors, l'idée d'avoir des politiques communes entre plusieurs états représente presque une hérésie.

Cette situation est d'autant plus déplorable qu'il serait justement nécessaire qu'une certaine unité se fasse entre le Japon, la Chine et la Corée du Sud, à propos de dossiers qui les concernent tous, avec en premier lieu la gestion du cas de la Corée du Nord. Si ces trois pays arrivent à se mettre d'accord sur une ligne claire à opposer à la Corée du Nord, les marges de manoeuvre de celle-ci en seraient d'autant plus faibles. Si la voie pour la paix entrouverte par l'Europe à travers une solution de forte coopération entre Etats n'est pas une solution réaliste à moyen terme en Asie, au moins peut-on espérer que dans les pays démocratiques de la région on puisse voir apparaitre des hommes d'Etat qui auront le courage de maintenir la discussion, quitte à faire leurs inventaires respectifs de leurs tords passés. Actuellement, ce ne serait pas trop demander au Japon que de faire ce premier pas.

Photo : AFP/Yoshikazu Tsuno
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