Réflexions en cours

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dimanche 28 août 2011

Un grand pas pour la Libye

Après six mois de révolution dont cinq d'intervention de l'OTAN autorisée par l'ONU, les rebelles libyens ont marqué une étape décisive en entrant récemment à Tripoli. Si des zones restent encore loyales à l'ancien régime, on ne peut que remarquer que cette étape change significativement la situation : aujourd'hui, Mouammar Kadhafi ne peut plus gagner cette guerre civile. Lorsqu'il déclare arriver à se promener incognito dans Tripoli, il l'avoue en quelque sorte lui-même : il ne peut se mouvoir qu'incognito. Il n'a pas plus le contrôle de la capitale que du reste du pays. Il n'a plus la main mise sur la technostructure qui permet de gouverner un pays. Il est désormais un homme recherché dont la tête est mise à prix, fuyant son palais. Les insurgés libyens ont donc atteint leur premier but : renverser le dictateur. C'est une victoire pour eux.

C'est une victoire pour eux, et c'est surtout leur victoire. Cette fois-ci au moins, les occidentaux ont retenu les leçons de leurs échecs passés, notamment en Irak. Le mouvement initial est venu du peuple libyen, et non des stratèges occidentaux. Quand la rébellion fut menacée d'être écrasée dans le sang grâce à l'emploi de tanks et d'avions, les occidentaux sont intervenus pour les aider sur le point qu'ils ne pouvaient maîtriser : la suprématie technique et aérienne. Les forces armées de l'OTAN sont intervenus sans combattre au sol. Les avions, les hélicoptères et les navires occidentaux pouvaient "à distance" neutraliser l'armée de l'air , les tanks et les infrastructures libyens. En même temps, le soutien de la Ligue Arabe aux insurgés leur a apporté un équipement militaire à peu près adapté. La quasi totalité des risques ont été pris par les Libyens, par leur propre volonté.

Ce sera évidemment un atout fort pour la suite. Contrairement à l'Irak, où il n'y avait rien pour remplacer Saddam Hussein, déchu par une intervention perçue comme illégitime, la Libye peut temporairement s'appuyer sur le Conseil National de Transition. Lorsque le Président français Nicolas Sarkozy prit le premier la décision de reconnaître cette entité comme gouvernant la Libye, il prit un risque qui ne fut pas immédiatement suivi par le monde entier. Nombreux sont ceux qui se méfiaient de ce groupuscule mal connu. Mais il est logique que la France ait eu cette démarche. Pendant la seconde guerre mondiale, le Comité national Français du Général de Gaulle fut aussi vu avec suspicion, notamment de la part des Américains, mais il fut considéré par les Britanniques suite à l'impulsion de Winston Churchill. A la libération de la France, sa transformation en gouvernement provisoire permit une transition efficace avec le régime précédent, sans chaos excessif. L'idéal est d'arriver à la même chose en Libye.

Si les Libyens ont été au cœur de leur révolution, ils savent quand même l'aide que leur a apporté le reste du monde, au premier titre desquels le Royaume-Uni et la France. De notre côté, nous pouvons être fiers que nos armées aient été à la hauteur, et que les choses se soient aussi bien déroulées. La France peut être cette fois-ci satisfaite de son rôle militaire et politique dans ces événements. Évidemment, le plus dur reste à venir pour les Libyens. Les motifs de division interne sont nombreux, et l'on ne peut même pas exclure un risque de guérilla de la part des anciennes forces loyales à Kadhafi. Celui-ci peut rester longtemps sans être pris, quitte à se cacher dans un trou comme son ancien collègue Saddam Hussein. En bref, le pays va encore traverser des épreuves redoutables. Mais cela aide déjà s'il part du bon pied, et en l'occurrence, les derniers événements représentent un grand pas vers le progrès.

Image : AFP

lundi 22 août 2011

Sur le système éducatif américain

Le documentaire américain Waiting for Superman traite des questions d'éducation aux Etats-Unis. Son réalisateur, Davis Guggenheim, est proche des démocrates. Il fut le réalisateur du film Une Vérité qui dérange sur le réchauffement climatique autour d'Al Gore. Il réalisa des films courts pour la campagne de Barack Obama en 2008. Il réalisa également un documentaire qui suivait des élèves et leur professeur en première année d'école primaire publique. Dans Waiting for Superman, il constate les énormes différences qui peuvent exister entre écoles publiques et écoles privées, que ce soit en primaire ou au secondaire. Les différences de résultat peuvent être énormes, et la crainte d'une école publique devenue une usine à échecs pousse de nombreux parents à choisir les écoles privées... s'ils ont le choix.

L'éducation a pourtant l'une des priorité de tous les Présidents américains au cours des 35 dernières années. Les montants alloués pour l'éducation ont régulièrement augmentés, passant de 4300 $ par élève à 9000$ (chiffres corrigés de l'inflation). Pourtant, sur cette même période, les résultats en matière de lecture et de mathématique ont été parfaitement stables. Ces crédits supplémentaires n'ont donc eu aucune conséquence en termes de résultats concrets. En 2001, l'une des premières mesures du Président républicain George Bush fut de s'associer au sénateur démocrate Ted Kennedy pour faire adopter la loi "No Child Left Behind", qui fut donc votée de manière bipartisane. Celle-ci prévoyait des tests standardisées pour mieux analyser les résultats de chaque école, avec des plans d'aide (sous forme de carottes et de bâtons) pour celles dont les résultats sont insatisfaisants. Néanmoins, les résultats des écoles publiques restent très largement insatisfaisants, loin des objectifs prévus, malgré les moyens supplémentaires prévus par la loi. Aujourd'hui, alors que l'échéance du bâton se rapproche, les Etats cherchent à revenir sur la loi pour conserver les fonds fédéraux malgré leur échec.

Au bout d'un moment, il faut donc rechercher d'autres causes à ces échecs que le simple manque de moyens. Il s'avère que certaines écoles sont plus promptes à l'échec que d'autres. Sur la base du nombre d'élèves quittant le système sans diplôme, un chercheur les a comptabilisés. A ce moment-là, le documentaire surprend. Plutôt que d'accuser un environnement désavantagé pour expliquer les résultats de telles écoles, il se demande si ce n'est pas de telles écoles qui sont responsables d'environnements désavantagés. En effet, les anciens élèves de ces écoles deviennent sans qualification et sont plus facilement exclus de la société.

Les raisons de ces usines à échecs seraient alors structurelles. Pour commencer, les directives contradictoires des différentes autorités sont déconcertantes. Une bureaucratie qui perd de vue sa raison d'être ("produire des résultats pour les enfants") est alors pointée du doigt. Mais ce n'est pas tout. D'après des recherches, il y a des différences énormes entre les résultats de différents professeurs. Or les pires coûtent aussi chers que les meilleurs. Il n'y a aucun moyen de motiver les professeurs à ce que leurs élèves aient de meilleurs résultats, on ne peut compter que sur leur bonne volonté.

Un responsable explique qu'il ne pouvait virer un professeur qui se limitait à faire de sa classe une garderie. En effet, ceux-ci ont la sécurité de l'emploi, à la base pour échapper aux pressions politiques. Les syndicats d'enseignants sont puissants, et ont réussi à garder cet avantage au fil des décennies. Supprimer cette sécurité de l'emploi est ainsi devenu un tabou politique aux Etats-Unis. De même, il est impossible de récompenser un professeur individuellement. Michelle Rhee, responsable de l'éducation à Washington DC, où se trouvent les pires écoles, n'a ainsi pas réussi ne serait-ce qu'à faire discuter son projet de réforme. Celui-ci prévoyait aux professeurs de renoncer volontairement à la sécurité de l'emploi contre la possibilité d'augmenter substantiellement leur salaire s'ils avaient de bons résultats...

Pour passer au delà cette bureaucratie, des parents et des responsables inquiets ont choisi de créer une troisième voie entre les écoles publiques et celles privées. C'est comme ça que s'est formé le système des charter schools, des établissements du primaire ou du secondaire financées par l'Etat comme les écoles publiques, mais disposant de la même autonomie que les écoles privées. Leurs directeurs peuvent alors mettre en place leurs propres projets pédagogiques sans être limités par les contrats négociés avec les syndicats. N'importe qui peut demander à aller étudier dans une de ces charter schools, certaines d'entre elles étant bien meilleures que leurs voisines publiques voire privées. Seulement, elles n'ont commencé à opérer que dans les années 90, et leur nombre est encore bien insuffisant par rapport à la demande.

La loi exige que la sélection se fasse par tirage au sort. C'est ainsi qu'on nous montre des images hallucinantes de parents et d'enfants, assistant à de tels tirages au sort. Ils peuvent se faire par processus aléatoire informatique, par tirage de bouts de papier dans un panier, ou bien en faisant tourner des boules dans une roue comme dans une authentique loterie. Alors que les places sont attribuées progressivement, les enfants non retenus comprennent bien que leur espoir d'échapper à ces fameuses usines à échecs s'amenuisent. Ces parents et ces enfants rient ou pleurent selon les résultats de ce hasard qui fera le destin de la prochaine génération d'Américains...

Image tirée du film "Waiting for Superman"
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