Réflexions en cours

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jeudi 21 décembre 2006

Le cours du yuan

Les Etats-Unis ne réclament que cela à la Chine : qu'elle réévalue sa monnaie. En effet, lorsque les Etats-Unis connaissent des déficits commerciaux records, ce sont les excédents commerciaux chinois qui explosent. Selon la théorie des marchés, l'ajustement devrait se faire par une baisse du dollar et une hausse du yuan, la monnaie chinoise. Si le dollar est bien orienté à la baisse (par rapport aux autres monnaies comme l'euro), le yuan, lui, ne bouge pas. Car l'Etat chinois aide massivement la stabilité du cours de sa monnaie, alors qu'il devrait augmenter fortement. Ce faisant, elle bénéficie toujours d'un avantage prix pour ses produits, ce qui créé de fait une concurrence commerciale déloyale qui empêche un rééquilibrage des échanges. En effet, si le dollar venait à baisser et le yuan à augmenter, la marchandise chinoise deviendrait moins attractive comparativement parlant. Cela voudrait aussi dire une croissance moins forte pour l'économie chinoise, alors que celle-ci est énorme (plus de 8 % par an depuis des années). En maintenant sa monnaie à un cours artificiel, la Chine joue bien en dehors des règles du commerce mondial.

La Chine, elle, affirme que ce protectionnisme de sa part est parallèle à celui affiché par les pays occidentaux vis-à-vis de sa marchandise. C'est prendre la conséquence pour la cause. En outre, cet argument parait surréaliste quand on sait que la Chine est un pays qui utilise beaucoup le protectionnisme en bonne et due forme pour défendre ses intérêts nationaux. Par exemple, pour s'implanter en Chine, la plupart des entreprises sont obligées d'être acceptées par l'Etat chinois, de faire des joint-ventures avec les entreprises nationales et de faire des transferts de technologie qui creusent leur propre perte. En fait, les termes du contrat sont léonins, et la Chine semble bien décidée à écraser par toute sa taille et sa puissance le commerce occidental. Actuellement, les industriels occidentaux ne voient dans la Chine qu'une possibilité de bas coûts et un gros marché potentiel. Très bientôt, ce sera leur concurrent le plus dangereux, et ce d'autant plus qu'il ne respecte pas les règles. Si la Chine a bien le droit de profiter du commerce mondial, il faut néanmoins veiller à ce que les lois du marché dont elle bénéficie soit aussi appliquée à son désavantage lorsqu'elle est en tort.

mardi 12 décembre 2006

Israël, puissance nucléaire ?

Lors d'une interview à la chaîne d'information allemande N24, le Premier ministre israélien Ehud Olmert a cité comme exemples de pays qui ont l'arme nucléaire la France, les Etats-Unis, la Russie et Israël. Pour ce dernier pays, cette déclaration est assez surprenante, dans la mesure où l'Etat hébreu n'a jamais reconnu formellement détenir la puissance atomique comme arme stratégique. En tant que Premier ministre, Ehud Olmert est le mieux placé pour savoir si son pays a oui ou non la bombe nucléaire. Et cette interview apparaît alors comme une annonce officielle, un changement par rapport à la situation antérieure, bien que nombreux se doutaient de cet état de fait. Pourtant, une porte-parole israélienne a immédiatement démenti le fait que ce soit une annonce, en décrivant un lapsus dans la bouche d'Ehud Olmert. Puis l'administration israélienne est revenue à sa politique d'ambiguïté, refusant de confirmer ou de démentir la possession de telles armes, se contentant de dire "Israël ne sera pas la première puissance nucléaire de la région".

Ambiguë, certes, mais en même temps très claire. Il n'est en effet pas difficile d'interpréter cette position. Le principal intérêt de posséder la bombe atomique n'est pas son utilisation éventuelle, mais la simple menace qu'elle représente. C'est alors un jeu psychologique : dans une opposition entre un pays qui en dispose et un qui n'en dispose pas, ce dernier se verra systématiquement perdant et craindra de se voir annihilé en cas de guerre. Ce fût le cas du Japon en 1945. Pour écarter cette menace, il cherchera à acquérir lui-même la bombe atomique, pour dissuader son adversaire d'en faire usage, sous peine de connaître le même sort. Israël est un pays qui n'a jamais été accepté de sa région, et l'Iran proclame encore désirer sa destruction complète, tout en cherchant à construire son propre arsenal nucléaire. Il serait naïf pour Israël de croire qu'une telle situation n'arriverait jamais. En tant qu'Etat démocratique et responsable, il est conscient qu'il serait criminel de vouloir régler ses conflits par le feu nucléaire. En outre, si Israël venait à représenter une menace d'annihilation claire pour ses voisins, cela les encouragerait fortement à développer au plus vite leurs propres forces pour rétablir un équilibre, ce qui serait contre productif in fine pour Israël. Mais celui-ci doit être prêt si l'un d'eux prend l'initiative d'acquérir la puissance nucléaire, car le risque d'utilisation n'est pas mince. Les recherches en la matière sont longues, et il faudrait être réactif dans cette situation. La position d'Israël est donc d'être prêt, d'avoir la puissance nucléaire dans une optique défensive, et sa possession sera annoncée en réaction d'une éventuelle annonce d'un Etat voisin d'acquisition de la technologie nucléaire militaire, pour le dissuader de l'utiliser à son encontre. Israël sera donc immédiatement le deuxième pays à être une puissance nucléaire dans la région. Mais dans les faits, Israël l'est depuis longtemps, par mesure de sécurité...

jeudi 7 décembre 2006

Iraq Study Group : le désaveu

La violence règne en Irak, et lorsque ce ne sont pas les militaires occidentaux qui sont la cible de terroristes, c'est la population civile qui est attaquée dans le cadre d'une guerre civile qui commence juste à dire son nom. Chaos est le mot qui semble le mieux décrire la situation irakienne actuelle, et fiasco est celui le plus apte à caractériser le résultat de l'intervention américaine dans ce pays. Il est d'ailleurs assez troublant de constater les similitudes qui existent entre l'Irak d'aujourd'hui et le Vietnam du début des années 70, la question de l'opportunité du maintien des troupes américaines se posant presque dans les mêmes termes. Il suffit de lire les archives en ligne du magazine Time pour s'en rendre compte. La situation semble si critique que même certains anciens faucons expriment publiquement leurs doutes sur ce qu'il s'est fait là bas. Ainsi, Richard Perle, considéré comme l'un des plus grands faucons américains ayant poussé à l'invasion de l'Irak, déclare désormais que s'il avait su ce qu'il se passerait, il aurait été contre, et met en cause l'administration Bush pour le mauvais déroulement des événements, oubliant au passage de faire sa propre autocritique.

La situation n'est plus vraiment tenable, et si les Républicains avaient réussi à confiner ce débat lors des dernières élections présidentielles, il était au coeur des dernières élections de mi-mandat. La défaite importante subie par les Républicains confirme le fait que les Américains voient désormais la guerre en Irak comme une préoccupation majeure, et on ainsi signifié à George Bush qu'ils n'entendaient plus que l'administration se contente de "garder le cap" comme elle se contentait de le faire, mais souhaitaient bien qu'une nouvelle direction soit donnée à cet engagement, afin de sortir de ce bourbier. Pour cela il faut déjà reconnaître la gravité de la situation. Or George Bush et son équipe avaient une vision adoucie, voire euphorique des événements, et se contentaient de retenir les points positifs et les améliorations tout en ayant une lecture idéologique de la situation, la même idéologie que celle qui les avait amenés à la guerre, et qui se révélait assez éloignée de la réalité. Le fait de devoir faire avec un Congrès démocrate les a forcés à prendre en compte de nouvelles vues et à prendre au sérieux les faits. Ainsi, Donald Rumsfeld, l'un des principaux artisans de cette guerre, a été contraint de démissionner. Son successeur, Robert Gates, admet ne pas croire que la guerre est actuellement en passe d'être gagnée. Et la commission bipartisane formée au printemps dernier pour fournir des solutions se retrouve au centre de la scène.

L'Iraq Study Group, présidée par le Républicain James Baker et le Démocrate Lee H. Hamilton, fournit dans son rapport à la fois un constat que des préconisations. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que le constat est violent, bien éloigné de la situation optimiste décrite par l'administration Bush. En ligne de mire, l'effondrement de ce qu'il reste de l'Etat irakien, une catastrophe humanitaire, l'intervention de pays voisins, une guerre civile totale, l'utilisation de ce pays comme base pour Al Qaeda qui aurait remporté la bataille d'opinions, et évidemment une perte d'influence des Etats-Unis. Ce devrait être le pire cauchemar de l'héritage que peut donner un mauvais Président américain. Les préconisations sont elles aussi bien éloignées de ce que l'administration Bush s'est déclarée prêt à faire jusqu'à présent. Si ce sont des mesures très forte, la commission estime néanmoins que même en les adoptant il n'est pas sûr que l'on puisse se sortir d'une telle situation. En fait, bien que les raisons d'entrer en guerre ne soient pas invoquées, on peut lire en filigrane dans ce constat et ces préconisations un désaveu complet de la politique étrangère de George Bush. Dès le constat en fait, on comprend que l'optimisme affiché par celui-ci quant à la possibilité à remporter une guerre facilement avec l'appui de la population était totalement illusoire. C'était pourtant l'un des plus grands arguments à l'entrée en guerre (pour régler le problème des armes de destruction massive qui se sont révélées inexistantes), et les Républicains ont tenté de maintenir l'artifice jusqu'à présent. Ensuite, chacune des préconisations est une rupture par rapport à la politique existante, faisant comprendre que celle-ci était inappropriée.

La commission suggère ainsi une forte concertation avec tous les voisins de l'Irak pour calmer la situation géopolitique du pays. Cela change, déjà car les équipes de George Bush n'ont pas toujours été de grands adeptes de la concertation. Ensuite, la perspective de demander des faveurs à des pays hostiles comme la Syrie ou l'Iran montre à quel point on est loin de l'effet domino positif qu'était censé produire l'introduction d'une démocratie au Moyen Orient. En fait, il semble surtout que l'intervention en Irak affaiblit le camp de la démocratie plus qu'autre chose... Le processus de paix entre Israël et ses voisins doit être relancé selon le rapport, ce qui rappelle que rien n'a vraiment été tenté depuis Bill Clinton dans la région, notamment vu la lecture binaire du conflit que semble en faire George Bush. La commission Baker-Hamilton appuie fortement sur la nécessité d'engager un retrait des forces armées américaines, pour laisser l'initiative aux forces irakiennes fraîchement crées. Pour l'instant, elles sont encore minées par les divisions internes, reproduisant les conflits entre groupes religieux. C'est là la décision de Donald Rumsfeld de dissoudre l'armée irakienne existant sous Saddam Hussein qui est mise au pilori : le fait d'en recréer une ex-nihilo avec des cadres peu solides favorise des forces faibles. Le rapport insiste néanmoins sur la nécessité pour les Irakiens de se prendre en main, ce qui laisse quand même une étrange impression de laisser aux hôtes le soin de régler les difficultés que les visiteurs ont créées en s'invitant. Mais il faut rester pragmatique, et il est vrai que l'on peut douter que les Américains puissent régler quoi que ce soit avec leur armée aujourd'hui, c'est en fait plutôt contre productif. Les forces américaines ainsi libérées pourraient aussi apporter des renforts en Afghanistan, où l'intervention était bien plus légitime. Le retrait américain apparaîtrait alors comme d'autant plus rapide que le gouvernement irakien continuerait à ne pas assumer ses responsabilités en s'enfferrant dans de vains conflits ethniques et religieux.

En somme, le rapport se veut réaliste dans la mesure où les Etats-Unis se voient obligés de sortir d'une situation déplorable qu'ils ont créée, mais ils ne peuvent revenir en arrière. Il sera en particulier extrêmement difficile pour George Bush d'organiser lui-même le retrait de ses troupes en 2008, car ce serait reconnaître qu'il avait tort sur toute la ligne. Ne nous y trompons pas, l'Histoire jugera très sévèrement cette intervention, et il est bien possible que George Bush apparaisse à l'avenir comme le Président américain ayant eu les actions les plus néfastes en matière de politique étrangère de l'Histoire de son pays. Le fait que ce soit James Baker, un ancien Secrétaire d'Etat de son père, qui soit obligé de le sortir de là, fait apparaître encore plus clairement la gravité de la situation. Avec la moitié des membres de cette commission provenant de son propre camp, George Bush ne pourra plus balayer les critiques d'un revers de main. On peut même sentir une certaine nécessité morale pour George Bush à appliquer ces recommandations, si désagréables soient-elles pour lui. Ses deux dernières années à passer à la Maison Blanche seront certainement dures à vivre pour lui.

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