Réflexions en cours

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mardi 20 novembre 2007

Un Pakistan explosif

Le 26 septembre 2006, un chef d'Etat se déplaçait pour la première fois dans l'émission humoristique "The Daily Show", diffusée sur le câble aux Etats-Unis. A la fin de chaque émission, un invité est interviewé par Jon Stewart. Ce jour-là, c'est Pervez Musharraf qui se présenta, n'hésitant pas à venir jusque dans une émission aussi peu sérieuse pour faire la promotion de son livre, qui sortait à l'époque aux Etats-Unis. Jon Stewart se montra tout de même surpris que celui-ci ait voulu venir dans sa modeste émission. Il y avait de quoi : Pervez Musharraf dirige le Pakistan, un pays de 160 millions d'habitants pour le moins troublé géopolitiquement parlant. Le Pakistan est en effet en conflit régulier avec l'Inde à propos de la région du Cachemire, et surtout, une partie importante du nord du pays n'est pas contrôlé par l'Etat, mais plutôt par des extrémistes islamistes qui sévissaient autrefois en Afghanistan. La façon dont Pervez Musharraf dirige le Pakistan n'est pas non plus anodine. Son accession au pouvoir est le résultat d'un coup d'Etat en 1999, et d'une manoeuvre politique non constitutionnelle en 2001. Jusqu'au 11 septembre 2001, il était considéré avec une grande méfiance par les pays occidentaux. Mais à la suite de la chute des tours jumelles, il prit la décision de ne pas s'opposer à la guerre qu'allait mener les Etats-Unis en Afghanistan, alors que les deux pays sont pourtant très proches. Ce faisant, il évite d'être une cible du courroux américain, mais devient violemment contesté par les islamistes.

Ces derniers mois, tous ces dossiers sont restés chauds. Les élections présidentielles devaient d'abord donner une véritable légitimité à Pervez Musharraf. Mais sa candidature fut contestée devant la Cour Suprème. Et devant la perspective d'un désavoeu, il a préféré instauré l'état d'urgence, limitant les libertés individuelles et mettant de côté les institutions politiques pour conserver le pouvoir. Pour ce nouveau coup d'Etat, il a utilisé comme prétexte le danger terroriste. Le terrorisme est réel au Pakistan, mais cela ne justifiait pas vraiment ce mouvement. La communauté internationale a bien évidemment réagi de façon négative, préférant les processus démocratiques sans entourloupes. Les Etats-Unis ont demandé des explications à leur allié. Mais jusqu'où peut-on remettre en cause Pervez Musharraf ? S'il est remplacé par quelqu'un qui garde la même ligne de fermeté face à l'islamisme, il ne sera pas regretté. Mais il serait hasardeux que de dire qu'il n'y a pas de risque islamiste au Pakistan.

Il est plus agréable de traiter avec des pays démocratiques dont la morale est claire. Mais le Pakistan est un exemple de ces pays clés pour l'évolution du monde où les choix à faire laissent des arrières goûts désagréables. En l'occurrence, si l'on peut encourager Pervez Musharraf à faire les choses de la façon la plus transparente possible, il est difficile de lui demander plus, dans la mesure où jouer avec le Pakistan revient à jongler avec de la nitroglycérine. Après tout, le Pakistan a eu la mauvaise idée de se doter de la bombe atomique. Veiller à ce qu'elle ne tombe pas dans les mains de personnes encore plus irresponsables n'est qu'un des aspects à prendre en compte dans sa façon d'agir avec le Pakistan.

samedi 10 novembre 2007

La menace des fonds souverains

Lorsqu'Angela Merkel et la CDU ont commencé à s'inquiéter au sujet des fonds souverains, pendant l'été dernier, il n'a pas fallu beaucoup de temps pour que cette inquiétude se partage de l'autre côté du Rhin, en France. C'est notamment lors d'un sommet entre la chancellière allemande et le président français que le sujet est apparu, tous deux arrivant facilement à s'entendre sur la nécessité d'améliorer la transparence des fonds spéculatifs et des fonds souverains, laissant entrevoir une méfiance envers des forces financières immenses aux motivations obscures. Car les fonds souverains sont justement des fonds d'investissement détenus par des Etats, des Etats à la puissance économique telle qu'elle leur permet d'avoir une épargne à investir à l'étranger. Il n'est en effet pas inhabituel de voir des gouvernements investir dans les entreprises de leur propre pays. C'est le propre des nationalisations, totales ou partielles, accomplies dans le but d'implémenter de nouvelles politiques sociales, de contrôler des secteurs habituellement détenus par le secteur privé, ou de constituer des champions nationaux dans la compétition économique internationale. Mais pour un Etat, investir directement dans des entreprises étrangères est plus inhabituel.

Les fonds souverains ne sont pas vraiment nouveaux, mais c'est l'ampleur que certains d'entre eux prennent et leurs choix d'investissement qui attirent de plus en plus l'attention. Et de même que l'intervention de l'Etat peut être faite pour aider un champion national, on peut imaginer sans mal qu'elle peut être faite pour faire avancer les intérêts stratégiques d'un pays, qu'ils soient économiques ou mêmes liés à des questions d'influence ou de sécurité. Certains pays comme la Chine ou l'Arabie Saoudite donnent l'impression, par leurs idéologies d'Etat et leur vision affirmée de la défense de leurs intérêts nationaux, qu'ils peuvent avoir des stratégies pour faire prévaloir leur puissance économique de par le monde. Profitant chacun de balances commerciales largement excédentaires, ces deux pays disposent de liquidités abondantes qu'ils choisissent d'investir dans les économies du monde entier, à travers des fonds souverains. Cette puissance financière alliée au patriotisme économique laisse la porte ouverte à de nombreuses craintes. Dès lors, ce serait abaisser sa garde que de laisser ces fonds souverains agir comme ils le souhaitent et de les laisser prendre le contrôle d'entreprises stratégiques.

Les Etats-Unis, l'Allemagne ou la France ont donc raison de prendre la menace des fonds souverains au sérieux. Car si le capitalisme libéral est censé être un jeu où ne règnent que les lois de l'offre et de la demande, et le critère de compétitivité, il serait naïf que de croire que des Etats pourraient s'abstenir de donner dans l'interventionnisme si cela peut favoriser leurs intérêts stratégiques de long terme, quitte à ce que cela nuise aux performances économiques à court terme de leur investissements. Si les pays occidentaux n'ont pas forcément les moyens d'avoir leurs propres souverains pour peser d'eux-mêmes dans ce domaine, ils peuvent au moins veiller aux investissements réalisés par les fonds souverains étrangers pour en étudier les implications, et ils peuvent aussi ne pas s'interdire d'intervenir pour défendre ponctuellement les intérêts de leurs propres entreprises.

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