Réflexions en cours

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jeudi 22 septembre 2011

La non-adhésion palestinienne à l'ONU

Cette année, l'Assemblée générale de l'ONU voit se dérouler un débat sensible. Le Président de l'Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, souhaite que la Palestine soit admise comme pays à part entière à l'ONU. Il considère que le processus de paix n'a fait aucun progrès depuis des années, il a même reculé avec le retour de Benjamin Netanyahu au pouvoir en Israël, vu que celui-ci a permis le redémarrage de la colonisation. Cette demande palestinienne n'a aucune chance d'aboutir. Les Etats-Unis ont d'ores et déjà déclaré qu'ils y mettraient leur véto. Les Israéliens y sont hostiles, et l'Amérique les suit. Cela peut paraître paradoxal. En effet, quand on négociait la paix après la première guerre mondiale, les Etats-Unis défendaient avant tout le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Et après la seconde guerre mondiale, ils étaient très favorables aux décolonisations, étant eux-même une ancienne colonie.

Mais tout cela ne s'applique pas quand il s'agit d'Israël. Ce pays jouit d'un soutien important d'une grande partie de la classe politique américaine. Au début de son mandat, Barack Obama avait tenté de mener une politique plus équilibrée, mais il s'aperçut vite qu'il n'était pas capable de faire pression sur le Premier ministre israélien, celui-ci n'hésitant pas au besoin s'adresser au Congrès américain directement. Il y a peu, les démocrates ont perdu un siège qu'ils considéraient comme imperdable à la Chambre des représentants, et la politique pas assez pro-israélienne de l'administration Obama fut considérée comme la cause de cette défaite. Les candidats républicains à la Maison Blanche accusent déjà Barack Obama de ne pas assez soutenir Israël, leur "seul allié dans la région".

Barack Obama a donc cédé, et a tenu un discours classiquement pro-israélien à la tribune des Nations Unies. Cela met en péril sa vision d'une réconciliation entre l'Amérique et le monde arabe. De son côté, Mahmoud Abbas ne recule pas, et veut acter cette orientation américaine. Alors, la Palestine doit-elle être reconnue comme un Etat indépendant ? Eh bien on peine à trouver tant les arguments contre que les arguments pour. Quand Barack Obama justifie son véto en affirmant que ce n'est pas ça qui établira la paix, il donne un argument trop faible pour un geste si fort : si ça n'établit pas la paix, en quoi est-ce vraiment mauvais pour autant ?

Nicolas Sarkozy a proposé un statut d'observateur au sein de l'ONU à la Palestine, ce qui est une marche supplémentaire vers l'admission complète, ainsi qu'une reprise des négociations sans conditions préalables. Ces négociations seraient alors organisées par non seulement les Etats-Unis, mais aussi par les autres puissances mondiales. Mahmoud Abbas ne serait pas contre un tel chemin, mais les chances de succès sont là aussi particulièrement minces. Israël ne veut pas renoncer à la colonisation en Cisjordanie et à Jérusalem Est, et l'arbitre traditionnel américain est politiquement contraint de suivre les positions d'Israël. La Palestine, elle, n'accepte pas la colonisation. Il n'y a donc pas vraiment matière à discussion...

Comme l'année dernière, et comme toujours en fait, le pessimisme est donc de mise pour cette région. Avec les révolutions arabes, Israël se sent encore plus menacé, maintenant que le pays est confronté à des pouvoirs qu'il ne connait pas encore. L'adhésion de la Palestine à l'ONU aurait peut-être pu faire avancer les choses, mais elle n'arrivera pas. A vrai dire, c'est moins un travail de dialogue réciproque que les deux pays doivent prioritairement engager qu'un travail de réduction de leurs propres extrémismes.

lundi 12 septembre 2011

La France et le génocide rwandais

La visite, aujourd'hui, du Président rwandais Paul Kagame peut laisser circonspect. L'Elysée, pour commencer, a montré bien peu d'enthousiasme à cette visite officielle. Elle était considérée comme nécessaire, pour renouer les relations diplomatiques avec ce petit pays africain. Les choses étaient devenues très compliquées quand, en novembre 2007, Paul Kagame avait ni plus ni moins accusé la France d'avoir participé au génocide qui toucha le Rwanda en 1994. Cette accusation n'est pas vraiment levée, et dès lors, on peut imaginer la gêne que provoque cette visite.

Pour comprendre cette accusation, il faut comprendre l'histoire du génocide rwandais, ainsi que la position de la France à ce moment là. Pour commencer, il faut remonter davantage en arrière. Pendant la colonisation belge du Rwanda, la minorité tutsie représentaient l'ethnie ou la classe dominante. Suite à la décolonisation, la majorité hutue prit le pouvoir, puis écarta et opprima les Tutsis. Nombreux sont ceux qui trouvèrent refuge dans l'Ouganda voisin. C'est depuis ce pays que les forces armées tutsies envahirent le Rwanda en 1990 sous la bannière du Front Patriotique Rwandais (FPR), déclenchant la guerre civile. A l'époque, Paul Kagame était l'un des fondateurs du FPR. Le gouvernement rwandais était parait-il soutenu par les pays francophones, quand les rebelles étaient plutôt soutenus par les pays anglophones. En 1993, des accords de paix sont signés entre belligérants.

Le 6 avril 1994, l'avion transportant les Présidents du Burundi et du Rwanda explose. Immédiatement après, il se déroule deux mouvements simultanés. D'un côté, les forces armées tutsis reprennent l'offensive depuis l'Ouganda et avancent vers la capitale, Kigali. De l'autre, les Hutus attaquent les civils tutsis et les massacrent. Mais pour le reste du monde, la situation fut d'abord très confuse. Pour s'en rendre compte, il suffit de regarder les journaux télévisés (de France 2) de l'époque, pour voir comment ils expliquaient la situation :
  • 7 avril : premier reportage en milieu de journal sur la mort des deux Présidents, des violences meurtrières à Kigali sont mentionnées
  • 8 avril : inquiétude sur les ressortissants français alors que les violences se poursuivent
  • 9 avril : le sujet fait la une du journal, mention d'une intervention française pour protéger leurs ressortissants, l'attaque des Tutsis est mentionnée
  • 10 avril : alors que l'OTAN intervient en Bosnie, les ressortissants français sont évacués, alors que des combats à l'arme lourde sont mentionnés à proximité de Kigali à l'aune de l'avancée des troupes tutsies venues du nord, ainsi que des "massacres inter-ethniques" de plusieurs milliers de personnes
  • 11 avril : les rebelles du FPR tutsi seraient entrés dans Kigali, le chiffre des victimes des massacres inter-ethniques allant croissant (10 000 morts dans Kigali seule)
  • 12 avril : fuite du gouvernement de Kigali devant l'arrivée du FPR, les tutsis sont décrits comme "chassés" lors d'exactions, le FPR demande le départ de tous les militaires étrangers dans les 60 heures
  • 13 avril : fuite des civiles de Kigali alors que les combats s'intensifient entre rebelles et forces pro-gouvernementales
  • 14 avril : départ des militaires étrangers, les Hutus craignent les représailles tutsies
  • 15 avril : l'ONU est décrite comme incapable d'appliquer les accords d'empêcher les massacres
Avec le recul, on se rend donc compte que pendant que les forces armées tutsies prennent le contrôle du pays, les Hutus procèdent à un génocide des civils tutsis. A la suite du retrait des forces étrangères, rien ne peut empêcher ces deux mouvements. Le 21 juin, la France demande une résolution de l'ONU pour intervenir au Rwanda, mais les Tutsis s'y opposent, partant du principe que l'armée française viendrait combattre le FPR au côté des Hutus. Les associations humanitaires sont contre aussi car elles considèrent que cela ne ferait qu'aggraver la situation. Cette intervention, prévue pour deux mois, est pourtant décrite comme humanitaire par la France, avec comme seul but de faire cesser toutes les violences. La résolution de l'ONU est votée le 22 juin. L'opération Turquoise menée par l'armée française commence alors.

Le génocide s'arrête au fur et à mesure que les Français se déploient sur le territoire rwandais. Les offensives des Tutsis sont également stoppées à la même période. Un gouvernement alliant Hutus et Tutsis est alors mis en place. Paul Kagame devient Président du Rwanda en 2000, après une période de transition. En novembre 2006, le juge français Jean-Louis Bruguière, en enquêtant sur la mort de trois Français se trouvant dans l'avion des deux Présidents, met en cause des proches du Paul Kagame, à sa grande fureur. C'est en réponse à ce qu'il considère être une attaque du gouvernement français qu'il accuse à son tour les forces françaises d'être impliquées dans le génocide.

Seulement, il n'y a rien pour étayer ses propos. Le reproche que l'on peut adresser à la France, comme au reste de la communauté internationale, est de ne pas s'être rendu compte assez vite de l'ampleur des massacres, et d'avoir soutenu le gouvernement rwandais dans la première partie de la guerre civile. Elle ne l'a plus soutenu par la suite, et les Hutus qui espéraient un soutien armé de la France n'ont rien eu, et ont donc perdu. A vrai dire, le vrai drame est que l'armée française ne soit pas intervenue plus tôt pour mettre fin aux violences. Cette erreur est partagée par le reste du monde. Bill Clinton l'évoque comme son plus grand regret, et ce souvenir encouragea Hillary Clinton à intervenir rapidement en Libye récemment.

Les accusations de Paul Kagame ne s'appuyaient donc sur rien. L'homme est lui-même bien loin d'être un enfant de cœur. Si son rôle au cours de la guerre civile ne suffisait pas, savoir qu'il fut réélu deux fois avec plus de 90 % des voix et qu'il combat activement la liberté d'expression au Rwanda permet de mieux cerner son profil : il s'agit bien d'un despote comme on en croise souvent en Afrique. L'ethnie du dictateur qui gouverne le Rwanda a changé, voilà la conclusion de la guerre. Qu'il y ait eu 800 000 morts pendant ce temps nous laisse horrifiés.

lundi 5 septembre 2011

Le retour de la théorie des dominos

L'une des raisons invoquées par les Etats-Unis pour combattre le régime marxiste nord-vietnamien dans les années 60 était illustrée par la théorie des dominos. Selon celle-ci, la propagation du communisme était contagieuse, et si on laissait le Vietnam devenir communiste, alors ce serait au tour des pays situés à proximité d'être sujets à la menace communiste. En Corée et au Vietnam, les Etats-Unis luttaient donc pour empêcher que toute l'Asie bascule dans le camp communiste. Si ce principe, énoncé pour la première fois dans les années 50, est facile à comprendre, il s'avère assez imprévisible dans les faits.

On l'a justement vu en premier lieu à la suite de la guerre du Vietnam. Malgré leurs efforts, les Etats-Unis ont bel et bien quitté le pays en laissant le Sud Vietman seul face aux communistes du Nord. Et comme anticipé, les communistes prirent rapidement le contrôle de tout le pays. Cette victoire fut rapidement suivi par le basculement dans le communisme des deux autres pays de l'ancienne Indochine, le Laos et le Cambodge. Pourtant, la chute des dominos s'arrêta là. La Thaïlande, directement voisine du Laos et du Cambodge, ne bascula jamais dans le communisme. Le roi y resta chef de l'Etat sans discontinuer pendant des décennies, pendant que la vie politique thaïlandaise alternait entre régimes démocratiques et régimes conservateurs militaires. On crut alors la théorie des dominos invalidée.

Mais lorsque le mur de Berlin tomba en 1989, c'est l'ensemble des pays du bloc soviétique qui souhaitèrent mettre fin à leurs régimes dictatoriaux et s'affranchir de la tutelle russe. Le mouvement, d'abord originaire de Pologne, se propagea rapidement et entraîna la fin du communisme en Hongrie, en RDA, en Tchécoslovaquie, en Bulgarie et en Roumanie. Puis, ce fut l'URSS qui s'écroula, avec l'indépendance des pays dominés par la Russie... La concomitance de ces révolutions et leur proximité géographique permirent de ressortir la théorie des dominos du placard, pour constater qu'elle avait cette fois fonctionné, cette fois au bénéfice de la démocratie.

Désormais conscients que la théorie des dominos pouvait jouer en leur faveur, elle servit à nouveau de justification aux Etats-Unis pour leur intervention en Irak en 2003. L'idée de l'administration Bush était alors d'installer un régime démocratique à Bagdad, ce qui influerait sur les pays voisins. Ils souhaiteraient basculer à leur tour échapper au joug de leurs dictateurs respectifs, ce qui finirait par pacifier l'ensemble du Proche et du Moyen Orient. A posteriori, on ne peut que constater que ces espoirs ont été bien douchés, l'enthousiasme des Irakiens et la réussite de leur démocratie étant en premier lieu très relatifs.

Au moment où on l'attendait le moins, la théorie des dominos s'est à nouveau appliquée sans prévenir. Le succès de la surprenante révolution tunisienne, opérée par l'initiative de la seule population de ce pays, eut valeur d'exemple pour les autres pays arabes. C'est ainsi que le régime fut renversé par la population en Égypte, et que des mouvements similaires ont éclaté dans d'autres pays arabes, comme la Libye ou la Syrie. Après des mois de lutte, la Libye a finalement réussi à se débarrasser de son dictateur local. Mais il semble que les choses soient plus difficiles à chaque pays supplémentaires. Ainsi, à l'heure actuelle, les perspectives sont sombres pour les révoltés syriens. Et il n'y a pas grand chose à espérer en Iran.

La théorie des dominos est donc un concept pertinent. Si l'effet d'entrainement d'un pays sur un autre joue incontestablement, il ne faut pas pour autant négliger le droit des peuples à disposer d'eux mêmes. Ils sont les seuls légitimes pour mettre fin aux régimes qui les oppressent. Et c'est pour cela qu'il est inutile de prendre l'initiative à leur place, ou bien de les libérer sans qu'ils en montrent le désir.

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