La visite, aujourd'hui, du Président rwandais Paul Kagame peut laisser circonspect. L'Elysée, pour commencer, a montré bien peu d'enthousiasme à cette visite officielle. Elle était considérée comme nécessaire, pour renouer les relations diplomatiques avec ce petit pays africain. Les choses étaient devenues très compliquées quand, en novembre 2007, Paul Kagame avait ni plus ni moins accusé la France d'avoir participé au génocide qui toucha le Rwanda en 1994. Cette accusation n'est pas vraiment levée, et dès lors, on peut imaginer la gêne que provoque cette visite.

Pour comprendre cette accusation, il faut comprendre l'histoire du génocide rwandais, ainsi que la position de la France à ce moment là. Pour commencer, il faut remonter davantage en arrière. Pendant la colonisation belge du Rwanda, la minorité tutsie représentaient l'ethnie ou la classe dominante. Suite à la décolonisation, la majorité hutue prit le pouvoir, puis écarta et opprima les Tutsis. Nombreux sont ceux qui trouvèrent refuge dans l'Ouganda voisin. C'est depuis ce pays que les forces armées tutsies envahirent le Rwanda en 1990 sous la bannière du Front Patriotique Rwandais (FPR), déclenchant la guerre civile. A l'époque, Paul Kagame était l'un des fondateurs du FPR. Le gouvernement rwandais était parait-il soutenu par les pays francophones, quand les rebelles étaient plutôt soutenus par les pays anglophones. En 1993, des accords de paix sont signés entre belligérants.

Le 6 avril 1994, l'avion transportant les Présidents du Burundi et du Rwanda explose. Immédiatement après, il se déroule deux mouvements simultanés. D'un côté, les forces armées tutsis reprennent l'offensive depuis l'Ouganda et avancent vers la capitale, Kigali. De l'autre, les Hutus attaquent les civils tutsis et les massacrent. Mais pour le reste du monde, la situation fut d'abord très confuse. Pour s'en rendre compte, il suffit de regarder les journaux télévisés (de France 2) de l'époque, pour voir comment ils expliquaient la situation :
  • 7 avril : premier reportage en milieu de journal sur la mort des deux Présidents, des violences meurtrières à Kigali sont mentionnées
  • 8 avril : inquiétude sur les ressortissants français alors que les violences se poursuivent
  • 9 avril : le sujet fait la une du journal, mention d'une intervention française pour protéger leurs ressortissants, l'attaque des Tutsis est mentionnée
  • 10 avril : alors que l'OTAN intervient en Bosnie, les ressortissants français sont évacués, alors que des combats à l'arme lourde sont mentionnés à proximité de Kigali à l'aune de l'avancée des troupes tutsies venues du nord, ainsi que des "massacres inter-ethniques" de plusieurs milliers de personnes
  • 11 avril : les rebelles du FPR tutsi seraient entrés dans Kigali, le chiffre des victimes des massacres inter-ethniques allant croissant (10 000 morts dans Kigali seule)
  • 12 avril : fuite du gouvernement de Kigali devant l'arrivée du FPR, les tutsis sont décrits comme "chassés" lors d'exactions, le FPR demande le départ de tous les militaires étrangers dans les 60 heures
  • 13 avril : fuite des civiles de Kigali alors que les combats s'intensifient entre rebelles et forces pro-gouvernementales
  • 14 avril : départ des militaires étrangers, les Hutus craignent les représailles tutsies
  • 15 avril : l'ONU est décrite comme incapable d'appliquer les accords d'empêcher les massacres
Avec le recul, on se rend donc compte que pendant que les forces armées tutsies prennent le contrôle du pays, les Hutus procèdent à un génocide des civils tutsis. A la suite du retrait des forces étrangères, rien ne peut empêcher ces deux mouvements. Le 21 juin, la France demande une résolution de l'ONU pour intervenir au Rwanda, mais les Tutsis s'y opposent, partant du principe que l'armée française viendrait combattre le FPR au côté des Hutus. Les associations humanitaires sont contre aussi car elles considèrent que cela ne ferait qu'aggraver la situation. Cette intervention, prévue pour deux mois, est pourtant décrite comme humanitaire par la France, avec comme seul but de faire cesser toutes les violences. La résolution de l'ONU est votée le 22 juin. L'opération Turquoise menée par l'armée française commence alors.

Le génocide s'arrête au fur et à mesure que les Français se déploient sur le territoire rwandais. Les offensives des Tutsis sont également stoppées à la même période. Un gouvernement alliant Hutus et Tutsis est alors mis en place. Paul Kagame devient Président du Rwanda en 2000, après une période de transition. En novembre 2006, le juge français Jean-Louis Bruguière, en enquêtant sur la mort de trois Français se trouvant dans l'avion des deux Présidents, met en cause des proches du Paul Kagame, à sa grande fureur. C'est en réponse à ce qu'il considère être une attaque du gouvernement français qu'il accuse à son tour les forces françaises d'être impliquées dans le génocide.

Seulement, il n'y a rien pour étayer ses propos. Le reproche que l'on peut adresser à la France, comme au reste de la communauté internationale, est de ne pas s'être rendu compte assez vite de l'ampleur des massacres, et d'avoir soutenu le gouvernement rwandais dans la première partie de la guerre civile. Elle ne l'a plus soutenu par la suite, et les Hutus qui espéraient un soutien armé de la France n'ont rien eu, et ont donc perdu. A vrai dire, le vrai drame est que l'armée française ne soit pas intervenue plus tôt pour mettre fin aux violences. Cette erreur est partagée par le reste du monde. Bill Clinton l'évoque comme son plus grand regret, et ce souvenir encouragea Hillary Clinton à intervenir rapidement en Libye récemment.

Les accusations de Paul Kagame ne s'appuyaient donc sur rien. L'homme est lui-même bien loin d'être un enfant de cœur. Si son rôle au cours de la guerre civile ne suffisait pas, savoir qu'il fut réélu deux fois avec plus de 90 % des voix et qu'il combat activement la liberté d'expression au Rwanda permet de mieux cerner son profil : il s'agit bien d'un despote comme on en croise souvent en Afrique. L'ethnie du dictateur qui gouverne le Rwanda a changé, voilà la conclusion de la guerre. Qu'il y ait eu 800 000 morts pendant ce temps nous laisse horrifiés.