Réflexions en cours

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

mardi 31 mai 2011

Le Cachemire, l'autre poudrière mondiale

Le conflit israélo-palestinien est souvent considéré comme déstabilisateur pour l'ensemble du proche orient, et par extension, pour le monde entier. Les relations entre l'occident et le monde arabe dépendent en grande partie de celles entre Israël et de ses voisins. Ce n'est donc pas par pur altruisme que les Etats-Unis et l'Europe tentent régulièrement de faire avancer la paix dans cette région : une plus grande stabilité au proche orient leur serait également bénéfique à terme. Néanmoins, ce n'est pas la seule zone de crise qui soit importante au niveau mondiale.

En occupant l'Afghanistan, les alliés cherchaient à mettre à mal le terrorisme islamique qui y avait trouvé refuge. Assez rapidement, celui-ci s'est déplacé vers le Pakistan, comme l'a montré la présence d'Oussama Ben Laden. Bien avant l'intervention armée contre celui-ci, le Pentagone avait parfaitement conscience que le théâtre d'opération critique n'était pas l'Afghanistan, mais le Pakistan. Ce pays, très peuplé, n'est pas loin de l'anarchie. Bien que disposant d'un Président de la République élu, Asif Ali Zardari, pas grand chose n'a changé par rapport à l'époque où Pervez Musharraf : dans les faits, c'est toujours l'armée qui dirige. Celle-ci a un poids totalement disproportionné qui n'est justifié que par la hantise d'une guerre avec l'Inde. Les hostilités entre hindous et musulmans avaient entraîné la séparation de l'Inde et du Pakistan lors de la décolonisation. Dès cette époque, le cas de la région du Cachemire avait posé problème. Alors que les deux pays étaient encore dans l'expectative quant au tracé définitif des frontières, des forces pakistanaises ont envahi cette région, puis les forces indiennes ont contre-attaqué. La frontière actuelle reste essentiellement la ligne de front de l'époque, mais chacun revendique l'intégralité de la région.

Plusieurs guerres après, l'Inde et le Pakistan se font toujours face, et se méfient toujours autant l'un de l'autre. Rien que ce fait est assez inquiétant, vu qu'ils disposent tous deux de l'arme nucléaire, ce qui établit les principes d'une guerre froide à bout portant. Mais cela n'est pas tout. L'armée pakistanaise, obsédée par l'Inde, néglige totalement la menace fondamentaliste islamique. Le Président Asif Ali Zardari a beau expliquer que le Pakistan est victime du terrorisme, lui-même ayant perdu sa femme Benazir Bhutto dans un attentat, il s'avère que l'Etat joue à double jeu sur la question d'Al Qaida et des talibans. Par exemple, le Pakistan n'a pas forcément intérêt à s'engager pour un Afghanistan stable. Etre trop allié des Etats-Unis pourrait s'avérer un handicap lorsque ceux-ci partiront de l'Afghanistan. Et surtout, le Pakistan se méfie de l'ethnie tadjik, du nord de l'Afghanistan, qui s'oppose aux talibans, et qui est considérée comme proche des Indiens. En comparaison, les Pachtounes sont beaucoup plus sûrs en cas de nouveau conflit avec l'Inde.

En fin de compte, toutes les analyses sur l'Afghanistan amènent la question du Pakistan, et toutes les analyses sur le Pakistan amènent la question de l'Inde et du Cachemire. La conclusion tombe d'elle-même : pour désamorcer cette poudrière mondiale, il faudrait trouver un moyen pour que le Pakistan et l'Afghanistan s'engagent pour une paix durable et sans arrière pensée. Pour commencer, il faudrait mettre de côté toutes les hostilités religieuses, ce qui n'est pas une mince affaire. Mais il faudrait surtout une vraie issue sur le Cachemire. Vu comment on arrive à rien sur la Palestine, il n'y a pas de quoi être optimiste sur ce dossier là.

Idéalement, il faudrait que les habitants des différentes provinces du Cachemire décident du pays auquel ils veulent être attachés, conformément au principe d'auto-détermination. Hors vu qu'ils sont très majoritairement musulmans, une telle solution est rejetée par l'Inde. Un pis-aller serait tout simplement de transformer la ligne de séparation entre les deux pays comme frontière définitive, et de demander aux deux pays d'abandonner leurs revendications sur l'autre partie. Après tout, les deux morceaux sont d'une taille comparable, c'est un peu la solution "on fait moitié-moitié". L'urgence est bien de mettre fin à cette éternelle suspicion qui les handicape mutuellement, et rend le monde entier plus instable. Il faudrait pour cela de la bonne volonté. Seulement que ferait ensuite une armée pakistanaise obèse privée de sa raison d'être ? Quoi qu'il en soit, le problème reste épineux, mais au vu de ses implications, la communauté internationale serait légitime pour demander tenter de faire avancer les choses. Dans une telle situation, une réussite du "soft power" aurait de formidables répercussions à très long terme.

jeudi 26 mai 2011

La Fin de l'Histoire, selon Francis Fukuyama

Quand la quatrième de couverture d'un livre annonce d'entrée qu'il a "suscité de multiples polémiques" et qu'"on a cru le réfuter avec facilité", on est d'ores et déjà prévenu de son caractère particulièrement hasardeux. Ainsi se présente La Fin de l'Histoire et le dernier homme, ouvrage du professeur américain en sciences politiques Francis Fukuyama, publié en 1992. Le célèbre livre de Samuel Huntington, Le Choc des civilisations, a eu comme point de départ le livre de Francis Fukuyama, dans le but de s'y opposer. Il faut dire que son propos est pour le moins audacieux. D'après lui, l'humanité arriverait au bout de l'Histoire avec l'inéluctable généralisation des démocraties libérales. La supériorité de ce système politique sur tous les autres lui assurerait sa prédominance à terme, et la fin de la plupart des conflits importants.

L'une des preuves de ce mouvement serait les chutes successives de dictatures à travers le monde. Les dictatures européennes occidentales (Espagne, Portugal, Grèce) ont pris fin sans grande difficultés à partir des années 70. Les pays du bloc soviétique se sont également convertis à la démocratie à partir de 1989. Même en Chine, le mouvement des étudiants place Tian'anmen de 1989 montra que les Chinois aspiraient à davantage de démocratie. In fine, l'ensemble du monde basculera donc du côté de la démocratie libérale. Cette théorie optimiste, marquée par l'effondrement du bloc soviétique, nécessite une démonstration solide. Et c'est là qu'on est surpris : alors qu'on s'attendait à une analyse géopolitique poussée, c'est en fait une vraie thèse de philosophie que découvre le lecteur.

Francis Fukuyama recherche ainsi à la suite de Hegel si l'Histoire a un but, et quel est ce but. Il recherche donc l'état du monde dans lequel celui-ci ne souffrirait plus de contradictions à résoudre, instant qui signifierait la fin de l'Histoire. Il constate que parmi tout ce qu'a entrepris l'homme, le principal domaine où le progrès ne peut être discuté est celui des sciences physiques. En effet, alors que les mérites comparés de tel ou tel art peuvent amener des réactions différentes, les progrès scientifiques s'accumulent sans discussion possible sur leur rationalité. Ces découvertes scientifiques apportent des changements dans les sociétés, les nouvelles technologies, une fois implémentées, apportant la même aide à chaque peuple. Pour bénéficier de ces progrès, il faut disposer d'une industrie performante. Et il s'avère que pour avoir une industrie vraiment performante, le système économique doit être capitaliste. La propriété privée est un élément puissant de l'efficacité économique, même les pays communistes l'ont reconnu en la réintroduisant.

Jusque là, tout va bien. La démonstration avance de façon à peu près convaincante. Mais c'est à partir de ce moment là que ça coince. Pour passer du capitalisme à la démocratie libérale, c'est plus compliqué. Francis Fukuyama avance quelques arguments économiques ou sociologiques, mais reconnaît leur faiblesse. Il faut dire que les contre exemples sont emblématiques. Les régimes autoritaires maintenant ou défendant même la propriété privée des moyens de production n'ont pas forcément des performances économiques honteuses. Et les populations de certaines cultures semblent s'accommoder facilement de régimes peu démocratiques du moment que ceux-ci répondent à leurs principales préoccupations. L'exemple du Japon, qui depuis la seconde guerre mondiale peut choisir ses représentants mais reconduit presque invariablement les mêmes, est à ce titre assez troublant.

C'est alors que Francis Fukuyama embraye sur l'analyse philosophique, s'en servant comme bouée de sauvetage. Il repart sur l'origine de la vie en société, invoquant Locke et Hobbes. Chacun à leur façon, ils théorisent le passage à la démocratie libérale comme un but à atteindre. Il introduit également, à la suite de Platon, la notion de "thymos", soit le désir de reconnaissance, un élément constitutif de chaque homme au même titre que le sentiment ou la raison. Les systèmes autoritaires pèchent car ils ne parviennent pas à assouvir ce désir : les dominés ne sont pas reconnus, et les dominants n'ont que faire de la reconnaissance des plus faibles. La démocratie libérale, en assurant une reconnaissance mutuelle entre citoyens égaux en droits, permet de sortir de cette impasse. Francis Fukuyama considère en effet que même bien nourri et protégé, les individus voudront toujours au bout d'un moment être reconnus par le pouvoir, ce qui passe par y participer. C'est de cette façon qu'il surmonte son dernier obstacle, et arrive à la conclusion que les démocraties libérales finiront par prévaloir. Contrairement aux autres régimes, ils ne sont pas sérieusement contestés, et même si des égos démesurés nietzschéens s'en accommodent mal, un mode de vie apaisé est selon lui en train de se généraliser.

Le livre, à vrai dire, s'avère très stimulant intellectuellement parlant. Ses concepts sont bien expliqués et ses exemples pertinents. Néanmoins, en étant obligé de s'appuyer sur des raisonnements philosophies qui n'ont rien de prouvé, il ne peut vraiment convaincre le lecteur. Audacieuse à l'époque, les évolutions mondiales depuis une vingtaine d'années rendent cette thèse pour le moins douteuse. Depuis 1992, la Chine n'a ainsi vu aucune évolution sur le plan des libertés. L'économie capitaliste chinoise fleurit sans qu'il n'y ait eu une contestation sérieuse du pouvoir politique autoritaire.

Plus grave, après avoir liquidé le communisme, l'auteur ne reconnaît aucun autre système politique concurrent à la démocratie libérale. La théocratie islamique à l'Afghane ou l'Iranienne est écartée d'un revers d'un main en un seul paragraphe. L'Islam n'aurait d'attrait que pour les pays actuellement islamiques, le temps de ses conquêtes culturelles serait passé, et il succomberait lui aussi à terme aux valeurs de l'Occident libéral. Au vu des deux dernières décennies, c'est son contradicteur Samuel Huntington qui apparaît plus convaincant. Sa propre thèse a aussi des défauts, mais son analyse présente du monde (publiée quatre ans plus tard) est bien plus pertinente. Mais dans les deux cas, c'est leur volonté de prédire l'avenir en caricaturant leur propre vision du monde qui affaiblit leur propos.

lundi 23 mai 2011

Agressé par un bouclier

Lorsque la Secrétaire d'Etat américaine Hillary Clinton rencontra pour la première fois le ministre russe des affaires étrangères, elle lui présenta un gros bouton rouge, destiné à réinitialiser symboliquement les relations russo-américaines. Si celles se portaient bien au début du mandat de George W. Bush (lui et Vladimir Poutine étant tous deux farouchement hostiles au terrorisme islamique), elles se dégradèrent progressivement, notamment à cause du dossier du bouclier anti-missile. Les Etats-Unis souhaitaient en effet installer des installations antimissiles dans certains pays de l'est (la Pologne et la République Tchèque), afin de protéger le territoire européen de toute menace balistique iranienne.

A l'époque déjà, les Russes avaient très mal pris cette initiative. Surveillant jalousement les anciens pays du bloc soviétique, ils vivent l'influence militaire américaine comme une menace. Et c'est assez bizarrement que la Russie a commencé à décrire ce bouclier antimissile comme une agression envers elle. Un général russe déclara qu'en acceptant ces installations, la Pologne deviendrait une cible pour les forces armées russes. Avec la nouvelle administration américaine, le plan changea. Barack Obama essaya d'associer les Russes à sa démarches, diminua la taille du projet et le positionna également en Roumanie. Depuis la signature le 3 mai dernier d'un accord avec ce pays, la Russie ne décolère pas. Peu importe que les parties prenantes répètent inlassablement que ce système antimissile ne se préoccupe pas de la Russie. Celle-ci enrage à l'idée que les pays de l'Europe de l'est puisse... se défendre face à elle.

Lorsque les Européens augmentent leurs défenses, les Russes déclarent vouloir augmenter leurs moyens offensifs par rétorsion. Le Président russe Medvedev a ainsi récemment affirmé que ce plan les pousserait à revenir sur leurs engagements de diminution de leur arsenal nucléaire, et même à augmenter le "potentiel offensif de [leurs] capacités nucléaires". Voilà qui est inquiétant. Et démontre une logique particulièrement tordue. Ainsi, que des pays européens puissent se défendre face à une agression serait une mauvaise chose. Le message implicite est très clair : ils doivent toujours se montrer vulnérables et envahissables par le voisin russe.

D'une façon ou d'une autre, cela relève bien une logique guerrière de la part de la Russie. Avec des dispositifs antimissiles, les pays de l'Est ne menacent personne. Personne en Europe n'a envie d'attaquer la Russie. Visiblement, le contraire n'est pas vrai. En prétendant se sentir agressé par un bouclier, la Russie n'agite qu'un prétexte pour signifier à son ancienne zone d'influence qu'elle ne doit pas se sentir trop libre et indépendante.

lundi 16 mai 2011

La présidentielle américaine de 2012

Il y a quatre ans, la campagne électorale pour la présidentielle américaine de 2012 était déjà bien entamée en mai. Dès janvier et février, les candidats se déclaraient, et consacraient par la suite leur temps à lever des fonds, à participer à des débats et à sillonner l'Iowa et le New Hampshire. Rien de tout cela cette année. Déjà, seuls les républicains se cherchent un candidat cette fois-ci, ce qui diminuera déjà l'activité de moitié. Mais peu d'entre eux se sont formellement déclarés à ce stade de l'année. Quasiment personne dans les candidatures définitives, quelques uns dans les "créations de comités exploratoires en vue d'une candidature", plus d'autres dont on ne sait rien de leurs intentions. A 18 mois de l'élection proprement dite, il est forcément très compliqué d'anticiper correctement les choses. Ce blog en sait quelque chose, puisqu'il douta autrefois de la possibilité pour Barack Obama d'obtenir l'investiture, et déclara carrément John McCain fini avant même la fin des primaires. Et si cela ne suffisait pas, le cours actuelle de la présidentielle française montre bien que tout est toujours possible. Tentons quand même de voir où on en est actuellement.

Après la présidentielle précédente, trois ou quatre candidats semblaient évidents. Il y avait d'abord les "finalistes" de la primaire républicaine, Mike Huckabee et Mitt Romney. Mike Huckabee n'ira pas. Le cœur n'y est pas, et ce d'autant moins que cela voudrait dire renoncer à un salaire confortable d'animateur, pour des chances de réussite finale assez minces. Mitt Romney ira, et sera même l'un des favoris. Son bilan en tant que gouverneur du Massachusetts est d'ores et déjà attaqué par ceux qui le trouvent pas assez à droite. Sarah Palin, l'ancienne candidate à la vice-présidence, doit toujours annoncer sa décision sur cette échéance. Lorsqu'elle a démissionné de son mandat de gouverneure de l'Alaska, cela lui dégageait du temps pour des activités politiques nationales. Néanmoins, son manque flagrant de fond et ses sorties médiatiques erratiques semblent l'avoir proscrite auprès d'une large frange de la population. Tim Pawlenty, alors gouverneur du Minnesota, fut envisagé comme possible colistier de John McCain en 2008. Il semble aujourd'hui l'un des plus déterminés à devenir Président. Il impressionne peu de monde, mais n'est rejeté par personne, ce qui est un bon début. Il a toutes les qualités d'un candidat honorable.

Les candidatures suivantes sont plus compliquées. Deux candidats ont été sortis du jeu politique actif il y a longtemps : Newt Gingrich, l'ancien opposant numéro 1 à Bill Clinton, veut accéder à la Maison Blanche, après s'être fait sortir il y a plus de douze ans dans l'opprobre. Rick Santorum, un ancien sénateur conservateur, se verrait bien également à ce poste malgré une défaite marquante il y a quatre ans. Il y a aussi l'inénarrable milliardaire Donald Trump et le chantre du libertarianisme Ron Paul, qui ont tous deux peu de chance d'être désignés par le Parti Républicain. Le reste des participants est composé de personnalités mineures, sauf si le gouverneur de l'Indiana Mitch Daniels, décrit comme très raisonnable, finit par se décider.

En fait, les républicains ne disposent pas de candidats vraiment marquants, comme on pu l'être Hillary Clinton ou Barack Obama en leur temps. Et même si ce dernier subit une lourde défaite lors des élections de mi-mandat, ses chances restent très bonnes pour novembre 2012. Déjà, il est rare qu'un Président américain ne se voit pas accordé deux mandats. Au cours des cent dernières années, ce n'est arrivée qu'à trois d'entre eux, Herbert Hoover, Jimmy Carter et George H. W. Bush. Ensuite, Barack Obama a démontré lors de la dernière présidentielle son charisme et un sens politique certain. Ses anciens supporters, bien que déçus, peuvent se remobiliser plutôt que de prendre le moindre risque. Alors que bon nombre de candidats républicains potentiels préfèreront attendre 2016, l'opposition ne devrait pas être la plus forte jamais vue. A cela se rajoute sa récente victoire marquante contre le terrorisme, avec la mort d'Oussama Ben Laden.

En fait, le principal espoir des républicains est le fait que Bill Clinton ait réussi à gagner dans des circonstances semblables en 1992. Rien n'est impossible, mais celui-ci fut lui-même avantagé par la présence d'un troisième candidat, Ross Perot. Sinon, cette primaire républicaine ressemble fort à une compétition pour savoir qui se fera battre par Barack Obama.

dimanche 8 mai 2011

Combien de temps encore en Afghanistan ?

Depuis que les troupes françaises sont en Afghanistan, des voix s'élèvent pour demander leur retour. En fait, dès que l'on envoie des troupes quelque part, des gens remettent en cause l'opportunité de le faire, et ils ont bien le droit de le faire. En l'occurrence, si une intervention en Irak aurait été une faute majeure, l'intervention en Afghanistan se justifiait parfaitement. Il s'agissait d'aider nos alliés américains, gravement attaqués sur son territoire, à faire tomber le régime qui protégeait l'organisation à l'origine de ce crime. Si le régime des talibans tomba rapidement face à l'offensive des alliées occidentaux et de l'Alliance du Nord locale, les dirigeants d'Al Qaida et des talibans réussirent à prendre la fuite à travers la célèbre frontière poreuse du Pakistan. Le chef d'Al Qaida et à ce titre principal responsable des attentats du 11 septembre 2001, Oussama Ben Laden, réussit à échapper aux forces américaines pendant de longues années.

Il est mort désormais. C'est une victoire majeure dans la lutte contre le terrorisme. C'est aussi un objectif de guerre qui est accompli. Al Qaida n'est certes pas détruite, mais son organisation informelle et fluctuante empêche qu'elle le soit un jour d'un seul coup. Quant aux talibans, ils continuent d'être dangereux en Afghanistan. Ils agissent par le biais d'une guérilla contre les troupes occidentales, mais aussi contre le pouvoir civil afghan. Celui-ci se défend comme il peut. De toute évidence, on n'est pas prêt de voir la fin d'un tel conflit. Mais la présences des forces occidentales est-elle toujours justifiée ?

La question est plutôt de savoir quelles sont les conditions d'un départ. Fin 2008, le général américain Douglas Lute avait remis un rapport sur les opérations en Afghanistan au président américain. Il ne fut pas rendu public à l'époque, mais on peut en découvrir certains aspects dans le livre Obama's Wars de Bob Woodward. Il explique que "nous ne perdons pas, mais nous ne gagnons pas non plus", et que le Pakistan est un pays bien plus stratégique dans la guerre contre Al Qaida, la principale menace contre les Etats-Unis. Selon ce rapport, les Etats-Unis ne pourraient prévaloir en Afghanistan sans résoudre trois problèmes majeurs :
  • les difficultés de l'administration afghane, et la corruption généralisée
  • le trafic de l'opium, qui profite aux talibans et aux insurgés
  • la protection offerte par le Pakistan aux bases arrières talibanes.
En tant que tel, il n'y a pas de raisons pour que les forces régulières afghanes ne puissent être formées de la même façon que les irakiennes l'ont été. Le Pakistan est aujourd'hui au cœur des débats : la présence tranquille d'Oussama Ben Laden sur son territoire renforce tous les soupçons que l'on avait à son égard. Le fait que le débat politique pakistanais se porte davantage sur l'intervention américaine que sur ce point ne manque pas d'inquiéter également.

La mort d'Oussama Ben Laden offre quand même une opportunité. Sur chacun des points cités par le général Lute, il n'y aura pas de victoire subite spectaculaire. La décapitation d'Al Qaida en est une en revanche. La tentation est forte de s'en servir comme point de départ à une transition offrant davantage de contrôle à l'administration afghane. Aux Etats-Unis, il avait été question d'un départ de l'Afghanistan en juillet 2011, mais ces derniers temps, c'était plutôt 2014 qui était l'horizon évoqué. Avec les derniers événements, on peut difficilement faire l'impasse sur une réflexion à ce sujet. Selon le ministre des Affaires étrangères français Alain Juppé, un retrait avant 2014 est désormais une option. Les Américains y réfléchiraient à l'instar des Français. Il ne s'agit pas d'évacuer l'Afghanistan à la hâte, mais peut-être est-il temps d'organiser un tel départ. Et si l'on pouvait y voir plus clair à ce sujet avant les prochaines élections présidentielles françaises et américaines, ce ne serait pas un mal pour nos deux pays.

lundi 2 mai 2011

Se réjouir de la mort de quelqu'un

Des milliers d'Américains chantent et dansent dans les rues, levant fièrement leur drapeau en pleine nuit. D'une certaine façon, les images sont semblables à celles d'une victoire en coupe du monde de football, mais les Etats-Unis se moquent bien du football. S'il y a autant de joie cette nuit aux Etats-Unis, c'est que leur plus grand ennemi, Oussama Ben Laden, a été tué par les forces spéciales américaines au Pakistan. En l'annonçant, Barack Obama a remporté une victoire pour son pays, mais aussi une victoire personnelle.

Normalement, il est assez mal vu de se réjouir de la mort de quelqu'un. Bien sûr, il y a des criminels dont le décès nous touche beaucoup moins que celle d'innocents. Généralement, c'est le moment pour passer à autre chose. Mais dans le cas de Ben Laden, le soulagement est si grand qu'il est difficile de ne pas adhérer à cette joie communicative.

Oussama Ben Laden, c'était d'abord un symbole d'impunité. Responsable direct de la plus meurtrière des opérations terroristes, les attaques du 11 septembre 2001, il avait réussi à fuir l'Afghanistan lorsque les forces alliées sont intervenues dans ce pays. Sa protection par le régime des talibans avait été l'élément déclencheur de ces opérations dans lesquelles nous sommes toujours engagés. Il était déjà un responsable terroriste reconnu lorsqu'il dut quitter le Soudan dans les années 90. Recherché depuis, il bénéficia de complicités et de la loi du silence pour vivre dans le secret pendant des années.

Oussama Ben Laden, c'était aussi une menace. Il avait acquis un certain prestige auprès des terroristes, et était devenu le symbole de toute une culture de mort. Ses appels répétés aux attentats pour les prétextes les plus abscons créaient un risque direct pour la paix mondiale. Comme le disent d'ores et déjà autorités et analystes, son décès ne signifie pas la fin de la menace terroriste. Mais au moins le message est clair : tout sera fait, notamment par les Américains, pour combattre cette menace.

Oussama Ben Laden était un criminel qui n'a apporté que du malheur au monde. Nous nous porterons bien mieux sans lui. Malgré notre légitime bonheur de nous en être débarrassé, nous devrons tenter de rester mesuré dans nos manifestations de satisfaction, pour que ça ne ressemble pas à de l'acharnement. Seulement, lui qui était si croyant, il pourra désormais constater par lui-même le sort qui lui est réservé dans l'au-delà.

free hit counter