jeudi 26 mai 2011
La Fin de l'Histoire, selon Francis Fukuyama
Par xerbias, jeudi 26 mai 2011 à 15:06 :: Monde
Quand la quatrième de couverture d'un livre annonce d'entrée qu'il a "suscité de multiples polémiques" et qu'"on a cru le réfuter avec facilité", on est d'ores et déjà prévenu de son caractère particulièrement hasardeux. Ainsi se présente La Fin de l'Histoire et le dernier homme, ouvrage du professeur américain en sciences politiques Francis Fukuyama, publié en 1992. Le célèbre livre de Samuel Huntington, Le Choc des civilisations, a eu comme point de départ le livre de Francis Fukuyama, dans le but de s'y opposer. Il faut dire que son propos est pour le moins audacieux. D'après lui, l'humanité arriverait au bout de l'Histoire avec l'inéluctable généralisation des démocraties libérales. La supériorité de ce système politique sur tous les autres lui assurerait sa prédominance à terme, et la fin de la plupart des conflits importants.
L'une des preuves de ce mouvement serait les chutes successives de dictatures à travers le monde. Les dictatures européennes occidentales (Espagne, Portugal, Grèce) ont pris fin sans grande difficultés à partir des années 70. Les pays du bloc soviétique se sont également convertis à la démocratie à partir de 1989. Même en Chine, le mouvement des étudiants place Tian'anmen de 1989 montra que les Chinois aspiraient à davantage de démocratie. In fine, l'ensemble du monde basculera donc du côté de la démocratie libérale. Cette théorie optimiste, marquée par l'effondrement du bloc soviétique, nécessite une démonstration solide. Et c'est là qu'on est surpris : alors qu'on s'attendait à une analyse géopolitique poussée, c'est en fait une vraie thèse de philosophie que découvre le lecteur.
Francis Fukuyama recherche ainsi à la suite de Hegel si l'Histoire a un but, et quel est ce but. Il recherche donc l'état du monde dans lequel celui-ci ne souffrirait plus de contradictions à résoudre, instant qui signifierait la fin de l'Histoire. Il constate que parmi tout ce qu'a entrepris l'homme, le principal domaine où le progrès ne peut être discuté est celui des sciences physiques. En effet, alors que les mérites comparés de tel ou tel art peuvent amener des réactions différentes, les progrès scientifiques s'accumulent sans discussion possible sur leur rationalité. Ces découvertes scientifiques apportent des changements dans les sociétés, les nouvelles technologies, une fois implémentées, apportant la même aide à chaque peuple. Pour bénéficier de ces progrès, il faut disposer d'une industrie performante. Et il s'avère que pour avoir une industrie vraiment performante, le système économique doit être capitaliste. La propriété privée est un élément puissant de l'efficacité économique, même les pays communistes l'ont reconnu en la réintroduisant.
Jusque là , tout va bien. La démonstration avance de façon à peu près convaincante. Mais c'est à partir de ce moment là que ça coince. Pour passer du capitalisme à la démocratie libérale, c'est plus compliqué. Francis Fukuyama avance quelques arguments économiques ou sociologiques, mais reconnaît leur faiblesse. Il faut dire que les contre exemples sont emblématiques. Les régimes autoritaires maintenant ou défendant même la propriété privée des moyens de production n'ont pas forcément des performances économiques honteuses. Et les populations de certaines cultures semblent s'accommoder facilement de régimes peu démocratiques du moment que ceux-ci répondent à leurs principales préoccupations. L'exemple du Japon, qui depuis la seconde guerre mondiale peut choisir ses représentants mais reconduit presque invariablement les mêmes, est à ce titre assez troublant.
C'est alors que Francis Fukuyama embraye sur l'analyse philosophique, s'en servant comme bouée de sauvetage. Il repart sur l'origine de la vie en société, invoquant Locke et Hobbes. Chacun à leur façon, ils théorisent le passage à la démocratie libérale comme un but à atteindre. Il introduit également, à la suite de Platon, la notion de "thymos", soit le désir de reconnaissance, un élément constitutif de chaque homme au même titre que le sentiment ou la raison. Les systèmes autoritaires pèchent car ils ne parviennent pas à assouvir ce désir : les dominés ne sont pas reconnus, et les dominants n'ont que faire de la reconnaissance des plus faibles. La démocratie libérale, en assurant une reconnaissance mutuelle entre citoyens égaux en droits, permet de sortir de cette impasse. Francis Fukuyama considère en effet que même bien nourri et protégé, les individus voudront toujours au bout d'un moment être reconnus par le pouvoir, ce qui passe par y participer. C'est de cette façon qu'il surmonte son dernier obstacle, et arrive à la conclusion que les démocraties libérales finiront par prévaloir. Contrairement aux autres régimes, ils ne sont pas sérieusement contestés, et même si des égos démesurés nietzschéens s'en accommodent mal, un mode de vie apaisé est selon lui en train de se généraliser.
Le livre, à vrai dire, s'avère très stimulant intellectuellement parlant. Ses concepts sont bien expliqués et ses exemples pertinents. Néanmoins, en étant obligé de s'appuyer sur des raisonnements philosophies qui n'ont rien de prouvé, il ne peut vraiment convaincre le lecteur. Audacieuse à l'époque, les évolutions mondiales depuis une vingtaine d'années rendent cette thèse pour le moins douteuse. Depuis 1992, la Chine n'a ainsi vu aucune évolution sur le plan des libertés. L'économie capitaliste chinoise fleurit sans qu'il n'y ait eu une contestation sérieuse du pouvoir politique autoritaire.
Plus grave, après avoir liquidé le communisme, l'auteur ne reconnaît aucun autre système politique concurrent à la démocratie libérale. La théocratie islamique à l'Afghane ou l'Iranienne est écartée d'un revers d'un main en un seul paragraphe. L'Islam n'aurait d'attrait que pour les pays actuellement islamiques, le temps de ses conquêtes culturelles serait passé, et il succomberait lui aussi à terme aux valeurs de l'Occident libéral. Au vu des deux dernières décennies, c'est son contradicteur Samuel Huntington qui apparaît plus convaincant. Sa propre thèse a aussi des défauts, mais son analyse présente du monde (publiée quatre ans plus tard) est bien plus pertinente. Mais dans les deux cas, c'est leur volonté de prédire l'avenir en caricaturant leur propre vision du monde qui affaiblit leur propos.
L'une des preuves de ce mouvement serait les chutes successives de dictatures à travers le monde. Les dictatures européennes occidentales (Espagne, Portugal, Grèce) ont pris fin sans grande difficultés à partir des années 70. Les pays du bloc soviétique se sont également convertis à la démocratie à partir de 1989. Même en Chine, le mouvement des étudiants place Tian'anmen de 1989 montra que les Chinois aspiraient à davantage de démocratie. In fine, l'ensemble du monde basculera donc du côté de la démocratie libérale. Cette théorie optimiste, marquée par l'effondrement du bloc soviétique, nécessite une démonstration solide. Et c'est là qu'on est surpris : alors qu'on s'attendait à une analyse géopolitique poussée, c'est en fait une vraie thèse de philosophie que découvre le lecteur.
Francis Fukuyama recherche ainsi à la suite de Hegel si l'Histoire a un but, et quel est ce but. Il recherche donc l'état du monde dans lequel celui-ci ne souffrirait plus de contradictions à résoudre, instant qui signifierait la fin de l'Histoire. Il constate que parmi tout ce qu'a entrepris l'homme, le principal domaine où le progrès ne peut être discuté est celui des sciences physiques. En effet, alors que les mérites comparés de tel ou tel art peuvent amener des réactions différentes, les progrès scientifiques s'accumulent sans discussion possible sur leur rationalité. Ces découvertes scientifiques apportent des changements dans les sociétés, les nouvelles technologies, une fois implémentées, apportant la même aide à chaque peuple. Pour bénéficier de ces progrès, il faut disposer d'une industrie performante. Et il s'avère que pour avoir une industrie vraiment performante, le système économique doit être capitaliste. La propriété privée est un élément puissant de l'efficacité économique, même les pays communistes l'ont reconnu en la réintroduisant.
Jusque là , tout va bien. La démonstration avance de façon à peu près convaincante. Mais c'est à partir de ce moment là que ça coince. Pour passer du capitalisme à la démocratie libérale, c'est plus compliqué. Francis Fukuyama avance quelques arguments économiques ou sociologiques, mais reconnaît leur faiblesse. Il faut dire que les contre exemples sont emblématiques. Les régimes autoritaires maintenant ou défendant même la propriété privée des moyens de production n'ont pas forcément des performances économiques honteuses. Et les populations de certaines cultures semblent s'accommoder facilement de régimes peu démocratiques du moment que ceux-ci répondent à leurs principales préoccupations. L'exemple du Japon, qui depuis la seconde guerre mondiale peut choisir ses représentants mais reconduit presque invariablement les mêmes, est à ce titre assez troublant.
C'est alors que Francis Fukuyama embraye sur l'analyse philosophique, s'en servant comme bouée de sauvetage. Il repart sur l'origine de la vie en société, invoquant Locke et Hobbes. Chacun à leur façon, ils théorisent le passage à la démocratie libérale comme un but à atteindre. Il introduit également, à la suite de Platon, la notion de "thymos", soit le désir de reconnaissance, un élément constitutif de chaque homme au même titre que le sentiment ou la raison. Les systèmes autoritaires pèchent car ils ne parviennent pas à assouvir ce désir : les dominés ne sont pas reconnus, et les dominants n'ont que faire de la reconnaissance des plus faibles. La démocratie libérale, en assurant une reconnaissance mutuelle entre citoyens égaux en droits, permet de sortir de cette impasse. Francis Fukuyama considère en effet que même bien nourri et protégé, les individus voudront toujours au bout d'un moment être reconnus par le pouvoir, ce qui passe par y participer. C'est de cette façon qu'il surmonte son dernier obstacle, et arrive à la conclusion que les démocraties libérales finiront par prévaloir. Contrairement aux autres régimes, ils ne sont pas sérieusement contestés, et même si des égos démesurés nietzschéens s'en accommodent mal, un mode de vie apaisé est selon lui en train de se généraliser.
Le livre, à vrai dire, s'avère très stimulant intellectuellement parlant. Ses concepts sont bien expliqués et ses exemples pertinents. Néanmoins, en étant obligé de s'appuyer sur des raisonnements philosophies qui n'ont rien de prouvé, il ne peut vraiment convaincre le lecteur. Audacieuse à l'époque, les évolutions mondiales depuis une vingtaine d'années rendent cette thèse pour le moins douteuse. Depuis 1992, la Chine n'a ainsi vu aucune évolution sur le plan des libertés. L'économie capitaliste chinoise fleurit sans qu'il n'y ait eu une contestation sérieuse du pouvoir politique autoritaire.
Plus grave, après avoir liquidé le communisme, l'auteur ne reconnaît aucun autre système politique concurrent à la démocratie libérale. La théocratie islamique à l'Afghane ou l'Iranienne est écartée d'un revers d'un main en un seul paragraphe. L'Islam n'aurait d'attrait que pour les pays actuellement islamiques, le temps de ses conquêtes culturelles serait passé, et il succomberait lui aussi à terme aux valeurs de l'Occident libéral. Au vu des deux dernières décennies, c'est son contradicteur Samuel Huntington qui apparaît plus convaincant. Sa propre thèse a aussi des défauts, mais son analyse présente du monde (publiée quatre ans plus tard) est bien plus pertinente. Mais dans les deux cas, c'est leur volonté de prédire l'avenir en caricaturant leur propre vision du monde qui affaiblit leur propos.