Réflexions en cours

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lundi 29 novembre 2010

Liberté de la presse et protection des sources

La publication de centaines de milliers de communications confidentielles internes au Département d'Etat américain par le site Wikileaks a été devancé par certains titres de presse qui avaient pu y avoir accès. Le New York Times affirme s'être entretenu avec les administrations américaines pour ne pas publier d'informations qui se mettraient en danger des vies. Les journaux concernés essaient de justifier la publication de documents diplomatiques pourtant classés confidentiels. Pour le New York Times, ils permettraient de mieux comprendre la diplomatie américaine. Le Monde considère que du moment où les documents sont révélés, il est de son devoir d'en faire le compte rendu. Le Guardian a le pompon de l'hypocrisie en affirmant qu'aucune communication électronique ne peut-être considérée comme secrète. Autant de mots pour dire que c'est un bon scoop pour tous, les "révélations" étant promises sous forme de feuilletons.

Ces explications ne convainquent pas. Le procédé pose surtout plusieurs questions, en premier lieu sur l'opportunité de publier de tels documents. Ils ont un intérêt non discutable, ils sont d'ailleurs utiles au fonctionnement de l'administration américaine. Mais pour qu'ils soient utiles, encore faut-il qu'ils aient comme seule audience celle qui a été prévue, soit les diplomates américains. Leur consultation pour des buts d'analyse historique est de toute façon prévue d'ici quelques dizaines d'années. Mais leur divulgation alors que les personnes concernées sont encore au premier plan ne peut qu'avoir une effet nuisible. Et surtout pour un maigre bénéfice collectif immédiat. En effet, des sources internes à n'importe quelle organisation peut vouloir transmettre des documents à la presse pour révéler un scandale, une situation contraire à la loi, comme ce fut le cas par exemple pour le Watergate. C'est le principe des whistleblowers, ceux qui tirent l'alarme.

Mais en dehors de ce cas de figure, cela se justifie nettement moins. En France, le secret de l'instruction est quotidiennement bafoué par des gens qui appartiennent au monde judiciaire, des personnes qui ne respectent les lois qu'ils sont censés eux-mêmes faire respecter pour des raisons qui n'ont pas grand chose à voir avec l'intérêt général. Une loi a été votée pour que les journalistes n'aient pas à révéler les sources de leurs révélations. La liberté de la presse est un principe fondamental de nos démocraties, et elle doit prévaloir presque tout le temps, les restrictions étant les secrets nécessaires à la sécurité nationale. Mais si le journaliste a le droit de publier, cela ne veut pas dire pour autant que la source a le droit de révéler.

Dans le cas de Wikileaks, les publications de centaines de milliers de documents militaires puis diplomatiques est clairement nuisible à l'intérêt général. La philosophie du site relève d'une vision dévoyée de la transparence. Qui peut souhaiter que chacune de ses pensées soient entendue par tout à chacun ? Dans le cas d'un particulier, ce serait invivable. C'est la même chose pour une organisation. Les correspondances diplomatiques dont il est question ne sont autre que le fonctionnement interne de l'administration américaine, avec ses erreurs, ses stratégies, ses choix qui restent ouverts... La publication brute de tout cela ne pourra que lui nuire. Aucune organisation de ce genre ne peut être vraiment transparente, c'est contraire même à son bon fonctionnement. La conséquence ne pourra donc qu'être une hypocrisie encore plus forte à chaque tentative de transparence, et un verrouillage encore accru sur les vraies informations importantes.

Et dans ce cas précis, ces fuites touchent le domaine régalien de l'Etat, avec ces documents touchant aux affaires militaires et diplomatiques. Ces divulgations non circonstanciées sont donc d'une grande irresponsabilité, mettant bien en cause la vie d'un ou plusieurs pays. Autant le dire clairement, ceux qui organisent ces fuites sont bien coupables de crimes de haute trahison. Et si un journaliste peut publier, sa source, elle, doit être condamnée sans état d'âme. La trahison est un des crimes les plus graves, de par les dégâts qu'elle peut entraîner. Il sera donc logique que le contre espionnage américain mette des moyens très importants pour retrouver les traîtres à leurs pays, puis que ceux-ci soient condamnés avec la sévérité prévue par la loi.

lundi 22 novembre 2010

La consommation chinoise

A l'instar du sommet de Copenhague sur l'environnement, la réunion du G20 à Séoul n'a pas abouti à quoi que ce soit de concret. La séquence a été à peu près la même : les Européens ont été spectateurs de discussions où Barack Obama a tenté en vain de convaincre les Chinois de faire quelque chose qu'ils ne voulaient pas faire. Cela commence à ressembler à un schéma habituel. Ici, la question a été d'ordre monétaire. Le déséquilibre des balances commerciales commence à poser vraiment problème. La balance commerciale américaine est déficitaire vis-à-vis de la Chine, les importations américaines sont donc payées par des dollars que la Chine amasse. Elle les utilise pour acheter des bons du trésor, finançant ainsi le gouvernement américain qui est largement déficitaire. Cela rend forcément les États-Unis mal à l'aise.

Au cours de la dernière décennie, la consommation américaine a été très forte, servant de moteur non seulement à l'économie américaine, mais aussi à l'économie mondiale, via les importations réalisées. Par ricochet, cela a permis à des pays exportateurs de connaître une croissance forte, mais l'on peut se demander ce qu'ils en font. Dans le cas de la Chine, l'argent est utilisé de plusieurs manières. Il y a d'abord l'épargne, en une certaine façon, via l'achat d'obligations d'État et l'augmentation des fonds de réserve en devises étrangères. De nombreuses machines outils sont également achetées à l'étranger. Cela représente un débouché important pour un pays comme l'Allemagne, même si le solde de sa balance commerciale avec la Chine est également déficitaire. La Chine dépense aussi beaucoup pour s'assurer de son approvisionnement en matières premières : pétrole, minerais... En ce qui concerne la nourriture, la Chine n'est pas auto-suffisante, elle est obligée d'en acheter en grande quantité à l'étranger. C'était l'une des causes de la hausse de produits comme le blé ou le lait lors de l'inflation de 2007-2008.

Mais tout cela reste assez faible en fin de compte, et la logique voudrait que le yuan augmente fortement pour compenser un tel déséquilibre entre les importations chinoises et les exportations. La Chine s'y refuse. Les victimes en sont non seulement les autres pays industrialisés, mais aussi la population chinoise. Même si les ouvriers chinois bénéficient d'augmentations salariales chaque année et qu'une classe moyenne se développe, les gains de pouvoir d'achat sont bien plus faibles qu'ils pourraient l'être. En effet, la Chine dispose de réserves financières, les prix des produits de consommation étrangers restent contrôlés grâce à la stabilité du yuan... mais ils ne sont pas achetés, par volonté politique, donc.

Cette consommation manquée pourrait être compensée si une part plus importante du système productif chinois était dédié à satisfaire la demande chinoise plutôt qu'étrangère. Mais cela voudrait dire moins d'exportations et moins de puissance commerciale. En maintenant la consommation chinoise à un niveau inférieur à ce qu'elle pourrait être, non seulement l'inflation demeure à peu près mesurée (limitant les risques de demandes, et donc de troubles politiques provenant de la population), mais la Chine conserve également des moyens de pression sur le reste du monde via les avantages de ses exportations. C'est le cas lorsqu'elle contrôle la dette américaine, ou lorsqu'elle peut se permettre de menacer le Japon de ne plus exporter de terres rares par exemple.

De nombreux pays préfèrent répondre au maximum aux besoins de sa population, sans voir un horizon plus lointain. En Chine, c'est l'inverse. L'État chinois se préoccupe davantage de sa propre puissance au détriment du sort de sa population. On le savait en matière de politique, c'est aussi le cas en matière d'économie.

dimanche 14 novembre 2010

La fin du castrisme

Lorsque Fidel Castro a déclaré, en septembre dernier, que "le modèle cubain ne marche même plus pour nous", le monde entier fut surpris. Cela fait en effet 50 ans qu'il tient Cuba sous sa coupe, y ayant implanté un communisme rigide et doctrinaire. L'un des plus grands promoteurs du communisme fait donc aujourd'hui un constat d'échec. Un constat qui, certes, avait déjà été fait par tous ceux qui ne sont pas communistes. Mais le fait qu'un leader communiste finisse par l'admettre si crument, dans une lucidité soudaine et tardive, représente une nouvelle étape. De fait, au cours du demi-siècle précédent, Cuba s'est fourvoyé. La vie politique n'est qu'une dictature, l'économie est désastreuse, la pauvreté forte. L'indépendance voulue par rapport aux Etats-Unis s'est concrétisée par un blocus douloureux. Le cinéaste américain Michael Moore peut vanter le système de santé cubain, cela ne cache pas le désastre d'un pays totalement dépendant des importations de ses partenaires idéologique, le bloc soviétique hier, le Vénézuela aujourd'hui. Quoi qu'il en soit, la situation est exsangue, le mirage ne peut plus perdurer, des changements sont impératifs.

Les observateurs internationaux ont ainsi interprété la déclaration de Fidel Castro dans un sens particulier. Ce serait une marque d'appui envers son frère Raul, actuellement au pouvoir, qui est en train de mettre en place des réformes économiques. Celles-ci visent à permettre l'initiative privée et à augmenter la productivité des activités cubaines. Il est donc question de l'introduction d'une dose de capitalisme et de libéralisme dans le système cubain. Et pour l'entériner, un nouveau congrès du Parti Communiste Cubain est prévu pour l'année prochaine, alors qu'il n'y en a plus eu un depuis plus d'une décennie. Le fait que les frères Castro soient ceux qui initient ces changements permettront peut-être de faciliter leur acceptation. Mais la libéralisation est quelque chose de risqué pour un système communisme.

La Nouvelle Politique Economique menée par Lénine avait ainsi donné des résultats encourageants, mais fut finalement durement rejetée. Plus récemment, la Perestroika lancée par Gorbatchev était devenue nécessaire par le fait que l'URSS soit dans l'impasse dans les années 80. Mais la conjonction d'un volet d'ouverture politique avec la libéralisation économique a provoqué un souffle tel qu'il a balayé le système communiste. A la même période, Deng Xiaoping lançait également une libéralisation de l'économie, avec des modalités différentes, mais n'hésitait pas à repousser toute ouverture politique. En 1989, la Chine a choisi la répression à Tien'anmen, lorsque la Russie laissait faire la chute du mur de Berlin.

Aujourd'hui, il reste à voir de quelle façon sera faite la libéralisation du système cubain. L'âge avancé des frères Castro pose à court terme la question de leur succession. Ce pourrait être l'occasion de nouvelles institutions, pouvant accompagner la libéralisation économique lancée actuellement. L'idéal serait évidemment que tout se passe dans le calme, avec l'appui tant des structures internes que de la population. La levée de l'embargo américain serait une bonne façon de récompenser une quelconque ouverture politique. Mais ce ne sera que le début. Il y aura tellement à faire pour redresser ce pays...

Photo : Political Kudzu

dimanche 7 novembre 2010

"Le dollar : notre monnaie, votre problème"

Bien que personne ne semble prêt à l'assumer, la guerre des monnaies a bien lieu. Pour commencer, la Chine refuse toujours de laisser s'apprécier le yuan. Elle a de bonnes raisons pour cela, toutes relèvent directement de son intérêt d'Etat si chèrement défendu. D'abord, une monnaie sous évaluer lui permet d'inonder les marchés occidentaux de ses exportations à bas prix, saignant à blanc les industries locales, et faisant rentrer des sommes immenses grâce à une balance commerciale énormément bénéficiaire. Ensuite, laisser le dollar être à un haut niveau par rapport au yuan lui permet de préserver la valeur de ses grandes quantités de bons du trésor américains qu'elle a acheté justement avec les sommes provenant de cette balance commerciale excédentaire. Bref, la Chine est puissante, elle le sait, elle gagne sur tous les tableaux et n'a jamais été enclin à une quelconque empathie envers les autres économies. Elle considère que son heure est arrivée, et il est temps qu'elle en profite. Comme d'habitude, elle réagira de façon outragée à quiconque essaiera d'exprimer une réserve sur la façon dont elle conduit sa politique économique.

Viennent alors les Etats-Unis. Le congrès essaie justement de faire quelque chose contre la faiblesse du yuan, mais il est contenu par une administration Obama bien prudente sur la question. Plutôt que de s'attaquer de front à la Chine, la solution trouvée a été de dévaluer de fait le dollar, en faisant tourner la planche à billets. La Fed créé donc de la monnaie ex nihilo en grande quantité pour racheter des bons du trésor, provoquant un afflux de dollar dans l'économie. La conséquence est double. A très court terme, cet afflux d'argent peut éventuellement faire redémarrer la machine économique américaine, encore à la peine. Mais cette augmentation de la masse monétaire sans augmentation équivalente de la production créera immanquablement de l'inflation. La Fed est prête à cela, car l'inflation américaine est actuellement très faible. Ensuite, cela fait également baisser le cours du dollar, facilitant les exportations américaines... et faisant diminuer la valeur des bons du trésor détenus par les Chinois.

Il y a bien un risque que l'ampleur de cette relance purement monétaire finisse par créer une nouvelle bulle économique, comme les faibles taux d'intérêt opérés au début des années 2000 par Alan Greenspan a permis la formation de la bulle immobilière dont on subit actuellement les conséquences de l'éclatement. Mais pour l'instant, cette politique monétaire est dans les intérêts des États-Unis. Seulement ce schéma oublie tous les autres pays du monde. Ils voient ainsi leurs monnaies s'apprécier rapidement face au dollar, sans qu'elles se déprécient pour autant face au yuan. Il leur est donc encore plus difficile d'exporter (les marchés sont souvent libellés en dollar), et ils sont toujours aussi vulnérables aux importations provenant de Chine. Les pays en développement s'alarment d'ores et déjà d'une politique dont les conséquences leur sera si défavorable. La zone euro est dans l'embarras. Interrogé sur la question, Olivier Blanchard, le chef économiste du FMI, se contente de dire que la BCE devrait peut-être faire la même chose que la Fed. Mais il sait certainement qu'une telle politique a peu de chance de trouver grâce auprès des monétaristes allemands.

Le plus marquant dans tout cela, c'est de constater l'inutilité de fait des tentatives passées pour réguler ce genre de questions. Les membres du G20 ne peuvent que constater leurs isolements respectifs. De telles coopérations ne peuvent fonctionner si certains participants conçoivent leur intérêt personnel comme prioritaire sur toute autre question. Le système monétaire de Bretton Woods était basé sur une conception de la monnaie où chacun devait être gagnant (en l'occurrence, en faisant que le dollar soit aussi bon que l'or comme référence monétaire). Il s'est écroulé lorsque les Etats-Unis n'ont plus voulu jouer le rôle auquel ils s'étaient eux-même proposés, et ont mit fin unilatéralement à la convertibilité or du dollar. Par la suite, quand les pays européens se sont inquiétés des effets de ce choc, le Secrétaire américain au Trésor, John Connally, leur déclara "le dollar c'est notre monnaie, mais c'est votre problème". Rien n'a changé depuis.

mercredi 3 novembre 2010

Nobama

Après la folie collective qui s'empara du monde entier et d'une partie des États-Unis à l'annonce de la victoire de Barack Obama lors de la présidentielle de 2008, les résultats électoraux des démocrates aux élections de mi-mandat peuvent étonner. Malgré un capital certain de bonne volonté à disposition et un congrès démocrate, le Président américain n'a pas su répondre aux attentes énormes qui étaient placées en lui. Plusieurs facteurs ont joué lors de ces élections. Il y avait déjà un malentendu de départ. Certes Barack Obama a gagné dans une certaine joie collective, mais il n'a jamais fait l'unanimité. Son charisme, son talent oratoire extraordinaire et son profil un peu différent lui ont permis de bien mobiliser l'électorat démocrate. Néanmoins, une partie de l'élection s'est aussi jouée sur le bilan des républicains, et après huit années de George W Bush, il y avait un désir fort de changement qui favorisait nettement n'importe quel candidat démocrate. Et de fait, le courant conservateur qui avait tellement soutenu les républicains n'avait jamais cessé d'exister, et après quelques mois à peine, il a réussi à reprendre l'initiative à travers le moment des tea parties, Fox News ainsi que la révolte envers l'administration et les républicains modérés.

Pour les démocrates, le terrain était dès lors miné. Barack Obama a déçu, parce que l'économie actuelle américaine est si mauvaise. Son plan de relance par les grands travaux a surtout donné l'impression qu'il dépensait trop et pour n'importe quoi. La loi sur l'assurance maladie fut combattue pied à pied dans une guerre de tranchée interminable, et reste mal comprise. Il a déçu aussi ses partisans en n'arrivant pas à tenir certaines de ses promesses électorales, telles que la fermeture de Guantanamo ou l'autorisation de s'affirmer homosexuel dans l'armée.

Barack Obama a en particulier eu toutes les difficultés du monde à manœuvrer un congrès qui était censé lui être acquis. Dernièrement, le fait qu'il n'ait pas la super majorité de 60 sénateurs sur 100 l'a particulièrement handicapé. Cela ne gênait pourtant pas tant que ça les républicains, qui en leur temps, ne l'avait pas, et faisait quand même en grande partie ce qu'ils voulaient. Là, les élections révèlent non seulement une véritable guerre culturelle entre libéraux et conservateurs furieux, mais donne aussi une chambre des représentants dédiée à l'opposition frontale.

La situation n'a pourtant rien de désespérée pour les démocrates. Ronald Reagan et George Bush Sr n'ont jamais eu le contrôle de la chambre des représentants, et ont vu leur camp y perdre des sièges lors des élections de mi-mandats (en 1982, 1986 et 1990). Bill Clinton avait lui aussi perdu le contrôle de la chambre des représentants en 1994, et a quand même été réélu sans problème en 1996. Surtout, l'exagération des attaques des républicains risque de les desservir. La colère et le fait que le relativement centriste John McCain ait été défait pourraient inciter les républicains à se tourner vers un candidat particulièrement conservateur pour 2012. Quitte à effrayer les électeurs indépendants, de la même manière que la conservatrice Christine O'Donnell a perdu une élection que le républicain modéré Mike Castle (son adversaire dans les primaires) avait toutes les chances de l'emporter. De fait, la campagne pour la présidentielle va commencer d'ici peu de mois chez les républicains. De son côté, Barack Obama a deux ans pour montrer qu'il peut mettre en place son programme malgré une chambre des représentants hostile, comme l'avaient fait ses prédécesseurs.

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