Réflexions en cours

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lundi 31 janvier 2011

L'inconnue de l'Afrique du Nord

C'est le moins que l'on puisse dire, la France a été lente à appeler à un changement du pouvoir en Tunisie. Toujours soupçonnée d'ingérence, l'ancienne puissance coloniale est restée très discrète lors des manifestations du peuple tunisien, se limitant à un appel à ce que chaque côté n'use pas de violence. La presse anglo-saxonne l'avait remarqué, et mettait en avant en comparaison l'appui bien plus appuyé de Washington à une démocratisation de la Tunisie. Cela avait permis à Barack Obama une belle phrase dans son discours sur l'état de l'Union : "La volonté du peuple s'est révélée plus puissante que l'étreinte d'un dictateur". Quelques semaines plus tard, c'est au tour de l'Egypte de connaître une agitation similaire. Mais cette fois-ci, Washington et Paris (ainsi que le reste de l'Union Européenne) sont sur la même longueur d'onde : la prudence. De la part des autorités américaines, les commentaires sont rares, et mûrement réfléchis. On appelle au calme, et on murmure du bout des lèvres un appel à ce que Hosni Mubarak, le Président égyptien, démocratise son régime.

Mohamed El Baradei, ancien directeur général de l'Agence internationale de l'énergie atomique et à ce titre prix Nobel de la paix, s'avère soudainement être un leader de facto de l'opposition égyptienne. Il s'est permis ce week-end de critiquer un autre prix Nobel de la Paix, le Président américain Barack Obama. Il a en effet regretté que les Etats-Unis n'appellent pas au changement de dirigeant en Egypte, et souhaité qu'ils arrêtent la "mise sous perfusion" du régime. Les Etats-Unis ont en effet traité sans problème avec Hosni Mubarak depuis des décennies, se servant de lui comme un intermédiaire dans le monde arabe, et en retour, ils l'ont beaucoup aidé par des aides directes ou militaires.

L'Egypte est un morceau bien plus gros que la Tunisie, et le monde occidental est très nerveux sur la tournure que prendra finalement les évènements en Afrique du Nord. Déjà, Israël s'inquiète à haute voix d'un départ de Hosni Mubarak, l'homme qui a appliqué une politique de paix au Proche Orient à la suite de son prédécesseur, Anouar el-Sadate, qui avait assassiné pour cette raison. L'Egypte est un élément stabilisateur dans la région, et l'Occident craint que ces révolutions ne servent qu'à remplacer une dictature par une autre, beaucoup plus dure et déstabilisatrice. Deux souvenirs hantent l'esprit des diplomates. Le premier est celui, lointain, de la révolution russe en 1917. Le deuxième, plus semblable aux situations actuelles, est celle de la révolution iranienne de 1979. Ce qui avait également commencé comme un mouvement d'origine populaire s'est rapidement transformée en théocratie particulièrement belliqueuse envers à peu près tout le monde.

Et bien sûr, plus récemment, les Etats-Unis ont appris qu'essayer d'imposer la démocratie sur des terres habituées à la dictature n'était pas une simple affaire. Le discours "tout le monde souhaite la liberté, il suffit de virer les dictateurs pour que les peuples deviennent enfin heureux" est plus difficile à tenir après l'expérience irakienne. Il ne s'agit pas de dire que les manifestations tunisiennes ou égyptiennes ne peuvent avoir de répercussions positives. C'est juste qu'en fin de compte, personne n'est capable de dire comment ça va tourner. Telle est la grande inconnue de l'Afrique du Nord : que deviendront ces pays une fois débarrassés des dirigeants qui en limitent les libertés ? Des démocraties à l'occidentale, avec un débat politique centré sur la politique économique à tenir ? Des démocraties à la turque, où le choix se fait à peu près entre militaires laïques et démocrates musulmans ? Toujours des régimes répressifs, corrompus et pragmatiques à la fois ? Ou bien des théocraties féroces, voulant instaurer la charia ? Il y a déjà des graines plantées pour que ce puisse être chacune de ces alternatives. Et d'ailleurs, l'issue ne sera pas forcément la même partout. Cette grande incertitude explique donc la grande prudence des puissances occidentales, qui estiment que la realpolitik est encore la carte la moins dangereuse à jouer pour l'instant.

dimanche 30 janvier 2011

Churchill, prix Nobel de la guerre

En 1953, Winston Churchill, Premier ministre du Royaume Uni pour la seconde fois de sa vie, se voit attribué le prix Nobel de littérature. Il se voit récompensé au titre de "sa maîtrise de la description historique et biographique ainsi que pour ses discours brillants pour la défense des valeurs humaines". Brillants, ses discours le sont sans aucun doute. Son éloquence a donné de l'énergie à tout un peuple, aux moments les plus durs de la deuxième guerre mondiale. Mais après tout, lorsqu'on parle de prix Nobel de littérature, le côté littéraire compte aussi, ce qui suppose des écrits. Et Churchill a beaucoup écrit, sur l'Histoire, sur sa personne, et surtout sur sa place dans l'Histoire. En France, l'inscription des œuvres de Charles de Gaulle aux programmes de français fait polémique. Cela avait déjà été le cas lorsque ses mémoires avaient été publiées dans la collection de la Pléiade. Certaines personnes remettent en cause la valeur littéraire des écrits du général. Pour Churchill, personne ne pose la question, vu qu'il s'est vu remettre la plus grande distinction dans ce domaine. Mais cela veut-il dire pour autant qu'il ne faille pas la poser ?

Lorsqu'on lit les écrits du général de Gaulle et ceux de Churchill, on ne remarque pas une grande différence de qualité littéraire. Au niveau du style, la grandiloquence de de Gaulle vaut bien le regard de Churchill posé sur les mêmes événements. Surtout, ni l'un ni l'autre ne sont particulièrement des innovateurs dans ce domaine. Moins adepte de la plume que son compagnon de guerre, Churchill dictait ses livres plus qu'il les écrivait. Il reçoit le prix Nobel en 1953, lorsqu'il publie le sixième et dernier tome de ses mémoires sur la seconde guerre mondiale. A l'époque comme maintenant, on dit que ce sont ces mémoires de guerres qui lui valent particulièrement cette consécration. Dans The Second World War, Churchill explique essentiellement son propre cheminement dans les événements, du rôle de Cassandre qu'il a très tôt joué dans l'entre deux guerres jusqu'à son départ du pouvoir, défait lors des élections législatives de 1945.

Comme dans ses mémoires sur la première guerre mondiale, The World Crisis, c'est surtout son regard qui prévaut. Dans The World Crisis, il a surtout voulu se justifier de son action à la tête de la marine britannique, la majeure partie du livre étant dévolue aux événements allant jusqu'en 1915, expliquant longuement ce qu'il s'était passé à la désastreuse bataille de Gallipoli, et pourquoi il l'avait voulue. Retournant à ce poste au début de la deuxième guerre mondiale, il prend dès le départ la décision d'accumuler les archives pour pouvoir écrire ses mémoires de cette période après coup. A son arrivée au 10 Downing Street au plus fort de l'invasion de la France en 1940, il continue cette pratique, et se met au travail dès qu'il quitte le pouvoir.

Et en lisant The World Crisis et The Second World War, on se rend justement compte de l'importance critique qu'il aura eue dans les affaires du monde. Député presque sans discontinuer de 1900 à 1964, il aura été au centre de la vie politique pendant plus de cinq décennies. Piteux en tant que ministre des finances, solitaire dans l'opposition (quand il prévient que le désarmement aura des conséquences en terme de vies humaines), c'est dans les deux guerres mondiales qu'il se révèle à son meilleur niveau. Si la première guerre mondiale le couvre moins de gloire que la deuxième, il aura quand même cherché à débloquer une guerre de position verrouillée et meurtrière. L'offensive des Dardanelles et le développement de tanks sont les solutions qu'il a fortement encouragées.

Pendant la deuxième guerre mondiale, il tente à nouveau de se servir de la marine pour handicaper l'Allemagne lorsqu'il y a peu de combats terrestres. Il est ensuite l'âme de la Grande Bretagne pendant la bataille d'Angleterre, encourageant le peuple à tenir bon et la Royal Air Force à défendre courageusement le territoire face à la Luftwaffe. Lui-même officier expérimenté, il participe à la stratégie des troupes au sol par ses nombreux câbles lors des combats en Afrique. Il tient bon, tout en développant des liens forts avec le président américain Franklin Roosevelt, espérant l'entrée en guerre de cet allié aux ressources illimitées. Lorsqu'on lui annonce l'attaque de Pearl Harbour, il se trouve ainsi soulagé : pour lui, ce ne sera plus qu'une question de temps, mais la victoire est désormais certaine.

Par ce travail extraordinaire, Churchill a eu un poids sans commune mesure sur l'Histoire. Il est sans conteste la personnalité la plus importante du XXème siècle. Et c'est ce que l'on comprend mieux en lisant ses livres. Si ce n'est pas son style qui lui valent ses louanges littéraires, alors ce doit être le contenu. Mais ce n'est pas un romancier qui a imaginé une intrigue à rebondissements, des personnages dotés d'une grande profondeur ou un environnement riche et compliqué. Non, le fond, c'est lui dans les guerres, dans l'Histoire. Ce qui est vraiment remarquable dans ses ouvrages, c'est comment il a réussi à sortir son pays de telle situation, comment il a pris telle décision, comment il a fait des choix douloureux, comment il a réussi à discuter avec des personnalités plus ou moins proches... C'est sa façon de mener la guerre qui relève ici du grand art.

Pour d'évidentes raisons, Churchill n'aurait pas pu recevoir un prix Nobel de la paix. Il prônait le réarmement avant la guerre, le combat acharné pendant, et la méfiance envers les soviétiques après. Mais son impact méritait d'être reconnu. D'où ce prix Nobel de littérature, qui a en fait tout d'un prix Nobel de la guerre.

mardi 25 janvier 2011

L'efficacité douteuse du kamikaze

Encore un attentat suicide, cette fois-ci à l'aéroport de Moscou. Une femme se serait faite exploser avec une bombe dans la salle d'accueil des voyageurs, faisant des dizaines de morts. L'enquête s'orienterait en direction de la région du Caucase, et ce ne serait pas la première fois que les groupes armés locaux enverraient des gens à la mort pour tuer des civils dans la capitale russe. Mais à quoi cela sert-il ? La stratégie de l'envoi de kamikazes n'est pas bonne, en tout cas elle n'est pas rationnelle. C'est une marque de désespérance forte, mais elle n'aboutit à rien de constructif, seulement à des conséquences terribles pour ceux qui sont derrière.

Lors de la deuxième guerre mondiale, les Japonais n'ont commencé à envoyer des avions kamikaze sur les navires américains qu'à la toute fin de la guerre, lors que les forces nippones manquaient de moyens pour contrecarrer la puissance de feu croissante des Alliés. Cela ne les a pas sauvés, loin de là. A travers les kamikazes et l'ardeur suicidaire générale des Japonais au combat, les Américains ne comprirent que la difficulté d'une invasion du Japon, et le rejet obstiné d'un armistice de leur part. Plutôt que de mener des combats meurtriers pied à pied dans chaque rue du Japon, les Américains préférèrent y larguer deux bombes atomiques pour tout arrêter.

Au Proche-Orient, les kamikazes ont été à certaines périodes très utilisés pour commettre des attentats suicides. Encore une fois, on ne peut pas dire que ça a payé. Israël n'a pas décolonisé Gaza pour céder aux terroristes, et la volonté de combattre de ces derniers ne sert en fin de compte qu'à rendre misérable la vie de la population. En Cisjordanie, le climat est dernièrement un peu apaisé, ce qui contribue au développement de la zone. En Irak aussi, des kamikazes ont fait beaucoup de dégâts. Ils ont rendu la vie quotidienne terrible pour la population, mais aucun n'a vraiment fait avancé sa cause.

Les kamikazes les plus célèbres sont probablement ceux qui ont détournés les avions au 11 septembre 2001. Il n'est même pas certain qu'ils attendaient quoi que ce soit de leur acte. La logique est de punir celui qui est considéré comme l'ennemi, ce qui implique des considérations morales, mais pas guerrières. Et c'était stratégiquement un mauvais coup. Comme on pouvait en être sûr, les Américains et leurs alliés ont été ainsi poussés à envahir l'Afghanistan, ce qui est réellement un sérieux revers pour les talibans, eux qui étaient tranquilles dans leur fondamentalisme auparavant. L'attentat kamikaze est considéré comme une attaque violente et sournoise, et légitime une réaction visant à les limiter. Ils ne suscitent pas vraiment l'adhésion auprès des tierces parties.

Car en fin de compte, l'opération qui aura beaucoup aidé Al Qaida aura été l'invasion de l'Irak par les Etats-Unis. Contrairement à celle de l'Afghanistan, celle-ci fut mal comprise, ressentie comme une agression injustifiée. Elle donna le sentiment auprès de la plus grande partie de la population arabe d'une attaque en leur endroit, et en mobilisa certains pour s'y opposer. Des opérations de guérilla minent le moral du pays envahisseur, car elles donnent l'impression que des militaires se font tués pour rien. Des opérations kamikazes contre la population civile en revanche ne font qu'exciter la fureur, et ne diminuent en rien la durée du conflit. C'est aussi ce qui se passe en Russie. Un attentat comme celui d'hier ne fera que ressouder la population autour de ses dirigeants pour intensifier le combat dans les zones disputées. Et encore une fois, dans l'explosion de l'aéroport de Moscou, tout le monde sera mort pour rien, des deux côtés.

jeudi 20 janvier 2011

Il y a cinquante ans, John Fitzgerald Kennedy...

...devenait Président des Etats-Unis. Elu au mois de novembre 1960, il fut en effet investi le 20 janvier 1961, un jour de fortes neiges. Sénateur populaire du Massachusetts, il devint une icône planétaire. Son allure de chef de famille idéale qui transparaissait via son charisme, sa femme, ou même la confiance en elle-même de l'Amérique le firent d'autant plus remarquer qu'il était le premier Président de l'ère de l'image. Son assassinat fit de lui un martyre, un héros de la démocratie américaine abattu par la folie. Encore aujourd'hui il est considéré avec admiration.

Pourtant son bilan n'est pas celui des plus grands Présidents américains. Forcément, en étant moins de trois ans au poste, cela limitait ses perspectives d'action. Abraham Lincoln ou Franklin Delano Roosevelt ont bien plus marqué l'Amérique que lui. Au plan intérieur, son successeur Lyndon Johnson eut même un héritage plus fort que lui, en accordant les droits civiques aux noirs malgré une partie de son camp, ou en mettant en place les programmes de santé Medicare et Medicaid. Kennedy mena une politique économique keynésienne, ce qui à cette époque était favorable à la croissance, et lança le programme de la NASA qui enverra des hommes sur la lune. En revanche, il ne réussit pas à mettre en place son programme de "Nouvelle Frontière".

Il fut plus actif sur le plan extérieur. Son excellente gestion de la crise des missiles de Cuba effaça son désastreux débarquement de la baie des cochons. Ses visites en Irlande ou à Berlin furent particulièrement bien accueillies. Ses discours étaient souvent sa principale arme, et il avait le don de mobiliser son auditoire dans son sens, dans le sens de la politique américaine. Une certaine détente fut possible avec l'URSS via le téléphone rouge. Mais ce fut aussi lui qui décida l'envoi de "conseillers militaires" au Vietnam.

Il y a deux ans, Barack Obama devenait Président des Etats-Unis. Difficile de ne pas tracer un parallèle avec John F. Kennedy. Son frère, le sénateur Ted Kennedy, ne s'en priva d'ailleurs pas en annonçant son soutien à la candidature de Barack Obama. Tous deux quadragénaires avec de jeunes enfants, tous deux diplômés de Harvard, tous deux démocrates, tous deux représentant de nouveaux profils à la Présidence (l'un le premier catholique, l'autre le premier noir), tous deux extrêmement charismatiques... Barack Obama ne rencontre pas du tout les mêmes circonstances que son prédécesseur. L'Amérique connaît actuellement une crise économique violente, et elle est d'ores et déjà embourbée dans des théâtres d'opérations militaires lointains. Mais Barack Obama fait lui régulièrement aussi preuve d'une puissance rhétorique déterminante. C'est sur les sujets les plus importants qu'il se révèle à son meilleur niveau, comme l'a encore récemment montré son discours après la fusillade de Tucson.

Il y a cinquante ans, John Fitzgerald Kennedy devenait Président des Etats-Unis. Ce fut ce jour là que lui prononça son meilleur discours. Ses mots résonnent encore aujourd'hui :

"Ne demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous, demandez ce que vous pouvez faire pour votre pays."

Voilà la maxime qui devrait être le mot d'ordre, l'impératif catégorique de chaque citoyen, que ce soit en Amérique ou dans le reste du monde.

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