Réflexions en cours

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lundi 24 septembre 2007

La réforme de l'Etat canadien

En 1994 le déficit du budget de l'Etat canadien atteignait un montant représentant 5,3 % du PIB, et la dette publique dépassait largement les 60 % du PIB. Elu avec un mandat fort en matière d'assainissement des finances publiques, le Premier ministre Jean Chrétien s'est efforcé de rétablir l'équilibre budgétaire via un effort colossal en matière de réduction des dépenses publiques. Et avec succès, puisque quelques années plus tard l'Etat canadien retrouvait un excédent budgétaire, et dès 1995 le montant de la dette a commencé à diminuer en proportion du PIB. Depuis 1998, le budget canadien est excédentaire, et en 2005 la dette publique représentait moins de 40 % du PIB. Une remise en état aussi spectaculaire fait évidemment envie aux responsables français, et certaines personnalités politiques ont fait le voyage au Canada pour y prendre des leçons en matière de réforme de l'Etat.

C'est ainsi que le Sénat notamment a consacré un rapport très intéressant sur ce sujet, à l'occasion d'une visite au pays à la feuille d'érable faite sur le chemin vers Saint-Pierre et Miquelon. On y découvre comment le gouvernement a supprimé plus de 6 % des postes de fonctionnaires fédéraux entre 1994 et 1999. Pour cela, des indemnités de départ ont été prévues, ainsi qu'un organisme entièrement dévolu au reclassement des agents partants. Les rémunérations des agents publics ont très peu augmenté depuis la réforme, ayant même été gelées entre 1994 et 1997. Le nombre des ministères a été drastiquement réduit, et chacun d'entre eux a vu une baisse de ses crédits à deux chiffres, le tout pour arriver à une baisse de 20 % des dépenses publiques. Certains services d'intérêt général ont été délégués au secteur privé au passage. Tout le processus a suivi une concertation incessante, facilité par un encadrement très strict du droit de grève.

En outre, pour maintenir la qualité des comptes publics, des indicateurs de performance des services publics ont été créés, une grande transparence de l'utilisation de l'argent public a été établie et le contrôle y est pris au sérieux. Toute l'organisation des services publics a été repensée, notamment via l'établissement de guichets uniques et d'administrations en ligne. De même, les fonctions supports des différentes administrations ont été regroupées pour générer davantage d'économies. Encore aujourd'hui, les efforts de rationalisation sont poursuivis.

Evidemment, ce modèle canadien n'a pas à être reproduit tel quel en France. Déjà, l'Etat canadien est fédéral, ce qui change pas mal de choses. De plus, le Canada a du réembaucher par la suite pour certains postes, la suppression d'effectif ayant entraîné une dégradation des conditions de travail et une perte d'expertise. Néanmoins, l'opération reste largement bénéfique pour le pays. Les Canadiens eux-mêmes ne supportaient plus que 37 % des recettes fiscales du pays soient consacrés au service de la dette fédérale. Aujourd'hui, en France, le service de la dette représente plus de 40 milliards d'euros... soit le montant du déficit public justement.

dimanche 16 septembre 2007

Le Panchen Lama fantoche

La chancelière allemande Angela Merkel a décidé de rencontrer le Dalaï Lama, dirigeant en exil du Tibet, et autorité de la religion bouddhique récompensée du prix Nobel de la paix. Evidemment, cette démarche provoque la fureur du gouvernement chinois, qui voit dans ce moine pacifiste un agent séparationniste, alors que celui-ci ne prône même pas l'indépendance de son pays pourtant militairement conquis il y a plus de cinquante ans, mais seulement l'autonomie. La Chine, qui considère le Tibet comme l'une de ses provinces, n'entend pas que le Tibet ait un quelconque régime spécial. D'une part, la nature nationaliste du pouvoir en place en Chine ne permet pas de reconnaître la présence de Tibétains. Ainsi, le Tibet est colonisé depuis des décennies par des Chinois en vue de lui faire perdre toute spécificité. D'autre part, Pékin s'est toujours défié des religions. Cela pouvait être à l'origine une conséquence de la doctrine marxiste, qui considérait la religion comme l'opium du peuple, mais aujourd'hui, il s'agit bien davantage du souci de ne pas laisser s'installer une autre influence que celle du pouvoir en place. Les religions sont donc placées sous la tutelle directe du gouvernement chinois, à l'exclusion de tout autre. Le parti communiste chinois nomme ainsi des évêques qui lui sont loyaux, et combat la hiérarchie nommée par le Vatican. A ce double titre, le Dalaï Lama est donc considéré comme un ennemi.

Si celui-ci est actuellement bien identifié, la Chine compte bien profiter d'un éventuel "passage de pouvoir" pour mettre définitivement sous tutelle le bouddhisme tibétain. Le but sera alors de reproduire la méthode employée pour le Panchen Lama, numéro deux dans la hiérarchie des lamas tibétains. Après la mort (troublante) du précédent Panchen Lama en 1989, la Chine comme le Dalaï Lama avaient lancé une procédure pour reconnaître sa nouvelle réincarnation. Quand le Dalaï Lama reconnut officiellement Gedhun Choekyi Nyima, jeune garçon de six ans, comme le nouveau Panchen Lama en 1995, celui-ci disparut quelques jours plus tard, et n'a plus jamais été revu. La Chine affirme le "protéger" en un endroit tenu secret (ce qui signifie qu'il est emprisonné depuis cette époque), et après avoir fait également disparaître le moine qui trouva ce garçon, s'est occupé de reconnaître (par tirage au sort entre trois candidats) son propre Panchen Lama, Gyancain Norbu, évidemment à sa solde. Et depuis le 1er septembre dernier, une nouvelle réglementation prévoit que chaque nouvelle réincarnation devra désormais être approuvée par le pouvoir chinois. En clair, après avoir créé un Panchen Lama fantoche, il s'agira de montrer un Dalaï Lama tout aussi factice, entièrement dévoué à la cause du gouvernement chinois, lorsque l'actuel, Tenzin Gyatso, viendra à disparaître.

Pendant que l'on s'émerveille du développement économique chinois, et que l'on profite de ses avantages concurrentiels (le faible prix de la main d'œuvre), la Chine continue de bafouer quotidiennement les libertés de son peuple. Evidemment, les pouvoirs publics des autres grandes puissances n'ont jamais rien osé affirmer une quelconque réprobation envers de mouvements, tels que cette réglementation contrôlant les forces supérieures de la réincarnation. Ce qui était encore plus désolant, c'est que la peur de peur de perdre des contrats empêchait également de simplement discuter avec le Dalaï Lama, peut être le dernier authentique. De toutes façons, ces contrats chinois si recherchés sont d'ores et déjà des pièges, où les dispositions obligatoires de joint ventures et de transferts de technologies sont si importantes qu'ils ne font que créer de redoutables concurrents. Du reste, les éventuelles vexations chinoises ne sont menaçantes que si cela l'incite à se tourner vers des pays plus conciliants et lâches. Pour bien faire, l'idéal serait donc que chaque grande puissance veille à inviter le Dalaï Lama en visite officielle. Stephen Harper, le Premier ministre canadien, vient d'ailleurs de le faire à la suite d'Angela Merkel. Ils ont bien raison, et il faut espérer que le mouvement s'étende à la France, et au reste de l'Union Européenne et des pays développés.

samedi 8 septembre 2007

Le fantasme de la chute de l'empire américain

Il y a déjà cinq années, le démographe Emmanuel Todd publiait Après l'empire, essai sur la décomposition du système américain. Sa thèse est plutôt simple : les Etats-Unis seraient sur le déclin, et cela expliquerait le comportement actuel de ce pays. Comme Emmanuel Todd avait, en 1976, prédit la fin de la puissance soviétique dans son livre La Chute finale
, nombreux furent ceux qui ont trouvé des raisons de croire à sa nouvelle prophétie. Pourtant, les raisons qui amèneraient ce déclin américain ne sont pas totalement convaincantes. En effet, sa démonstration repose avant tout sur une batterie d'indicateurs démographiques, tel que le taux de fécondité, ou bien sur l'évolution des modèles familiaux américains. En insistant si lourdement sur ces considérations, il donne surtout l'impression d'un démographe qui croit que le monde entier peut totalement s'expliquer par les évolutions démographiques, alors qu'elles ne sont qu'une force de changement parmi d'autres. Certes, il avance également d'autres arguments, tels que les déficits de la balance commerciale et de la balance des paiements des Etats-Unis. Ces déficits constituent réellement une menace pour l'économie, mais il serait réducteur que de croire qu'il s'agit d'une menace pour la seule économie américaine : si un jour les dollars sortants des Etats-Unis n'y étaient plus réinvestis, provoquant un effondrement de l'économie américaine, cela pénaliserait évidemment par ricochet l'ensemble de l'économie mondiale. Rien ne dit que d'autres entités, comme l'Europe ou la Chine, seraient capables d'assumer un rôle aussi central, ou même que le système économique actuel peut changer sans dégâts mondiaux.

En outre, la thèse d'Emmanuel Todd est pénalisée par une analyse géostratégique expliquant le comportement actuel des Etats-Unis par une fuite en avant, devant la perspective d'être de moins en moins puissante. Fondamentalement ce n'est certainement la peur d'être faible qui a poussé les Etats-Unis à intervenir militairement en Afghanistan et en Irak, mais bel et bien la certitude d'être fort. D'ailleurs, Emmanuel Todd néglige complètement, ou refuse de voir un élément fondamental de la puissance américaine : sa domination idéologique et culturelle. A l'heure où l'anti-américanisme est au plus haut à travers le monde, les Etats-Unis n'en reste pas moins au centre du monde culturel, et demeurent la cible des regards d'une énorme partie du monde. Que ce soit dans le domaine des films, de la littérature, de la musique, des études universitaires, du management d'entreprise ou de l'innovation technique, les Etats-Unis dépassent de loin les autres pays. Ne serait-ce qu'en France, pays pourtant très anti-américain, cette domination culturelle est plus que jamais visible. Mais cet aspect ne semble pas avoir attiré l'attention du démographe, alors que cette situation ne parait pas menacée.

Ce livre d'Emmanuel Todd a rencontré un grand succès principalement pour deux raisons : d'une part, sa prédiction réussie quant à l'URSS lui a donné une certaine crédibilité, dans le sens où l'on pourrait croire qu'il a trouvé la clé qui permet de prédire l'avenir. Pourtant, un succès ne garantit pas le suivant. Ainsi, à ceux qui doutaient de son concept révolutionnaire d'automobile, la Smart, le fondateur des montres Swatch, Nicolas Hayek, se bornait à répondre qu'on lui avait fait les mêmes observations lorsqu'il se lançait dans les montres. Pourtant, le succès de la Smart fut loin de celui qu'il escomptait. D'une manière générale, faire des prévisions à long terme sur l'avenir est un exercice plus que risqué, il est même illusoire que de croire que l'on puisse trouver une méthode efficace en la matière. Il suffit de voir la très longue liste de ceux qui s'y sont risqués, des personnalités parfois très illustres, et qui ont échoué. Certes, le nombre est si grand que statistiquement, parmi les théories lancées, l'une d'entre elle apparaît comme pas trop éloignée de ce qu'il se passe effectivement. Mais cela n'indique en rien de futurs succès.

Et en l'occurrence, si la thèse défendue par Emmanuel Todd paraît crédible à autant de lecteurs, et la deuxième raison du succès du livre, c'est qu'elle est la théorisation des espoirs fondés par tous ceux qui souhaitent un affaiblissement des Etats-Unis. L'ouvrage entier est en fait construit de telle manière que son auteur cherche des raisons pour justifier l'idée qu'il s'était fait avant de commencer son analyse : le déclin américain. Ne serait-ce que de qualifier, dès le titre, les Etats-Unis d'empire montre le présupposé qui est à l'œuvre. C'est ainsi surtout un fantasme que l'on découvre et qui est justifié a posteriori, le fantasme de la disparition de l'influence américaine, combattue parce que justement trop forte. Croire qu'elle est faible derrière les apparences revient en fin de compte à prendre ses désirs pour des réalités, et c'est bien pour cela que la démonstration tentée est si peu convaincante.

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