Réflexions en cours

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jeudi 16 décembre 2010

Un pays, deux systèmes pour Taïwan ?

La montée en puissance de la Chine inquiète sur le plan économique, mais aussi sur le plan géopolitique. Son soutien à la Corée du Nord, notamment, fait qu'elle cautionne un élément fortement déstabilisant pour la région pour de mauvaises raisons. Un autre dossier épineux est celui de Taïwan. La Chine a depuis adopté l'attitude du loup convoitant avec attention sa proie. Les causes sont évidemment historiques. A l'origine, la révolution communiste de Mao bouta le gouvernement nationaliste de Tchang Kaï-chek hors de la Chine continentale. Celui-ci se réfugia sur l'île de Taïwan donc, dernier endroit où il continua à gouverner. Il se posa en tant qu'autorité légitimiste, mais la position de gouvernement en exil fut difficile à assumer avec le temps, et dans les années 70, l'administration chinoise continentale obtint d'être considéré comme "la Chine" par la plupart des pays du monde, les forçant à rompre leurs relations avec Taïwan. Le temps passant, le gouvernement de Taïwan se démocratisa, arrêta de prétendre gouverner toute la Chine et n'aspire plus désormais qu'à s'occuper de la population insulaire.

Du côté chinois, ce territoire, bien petit par rapport au reste du pays, représente la sensation désagréable d'un travail mal fini. En effet, la révolution communiste chinoise n'est pas complète, dans la mesure où une partie de l'ancienne Chine... résiste encore et toujours à l'envahisseur (rouge). Pour une Chine habituée à défendre rageusement ce qu'elle considère être ses intérêts vitaux, l'indépendance de fait de Taïwan est comme le cailloux dans la chaussure. Elle n'a jamais donc caché son aspiration à en reprendre le contrôle. Et si elle l'a souvent répété, il se pourrait bien qu'un jour cela devienne vrai. Taïwan, de son côté, n'a aucune envie de passer sous le système politique totalitaire de la Chine, et s'est donc armé en conséquence pour pouvoir se défendre en cas d'attaque.

En fin de compte, les positions ont bien changé d'un point de vue idéologie. La Chine est bien peu communiste aujourd'hui, elle a par contre tous les traits d'une dictature nationaliste. Taïwan, à l'origine nationaliste, est désormais démocrate. L'hostilité entre les deux populations demeure, et les puissances occidentales ne savent pas très bien quel comportement adopter en cas de déflagration. Mais est-ce qu'il doit forcément y avoir un conflit armé ? Ethniquement, ce sont des Chinois des deux côtés. Des décennies de séparation ont évidemment produit des différences culturelles, mais cela ne pose problème que si Pékin essaie d'obtenir le contrôle totale sur la population taïwanaise.

Il y aurait bien une solution. Pour s'en convaincre, il suffit de regarder les exemples de Hong Kong et de Macao. Ces villes étaient des protectorats de pays européens, et avaient échappé elles aussi à la révolution communiste. Leur rétrocession à la Chine était prévue de longue date, et pour lever les difficultés, le leader chinois des années 80 Deng Xiaoping avait proposé que ces villes gardent leur propre système politique. Cela crée donc des provinces autonomes, mais non indépendantes. Le gouvernement central chinois ne se réserve que la diplomatie et la défense. Ce serait possible également pour Taïwan. L'île pourrait donc être contrôlée démocratiquement par la population pour ses affaires intérieures. Elle n'a pas grand chose à préserver en diplomatie, vu qu'elle n'est pas formellement reconnue. Quant à sa défense, sa raison d'être est justement de tenir éloignée l'armée chinoise...

En Chine, tout est question de rapports de force. Elle n'est pas encore passé à l'action sur Taïwan car il n'y a pas d'urgence et que le conflit pourrait être difficile. Mais si réunification il doit y avoir un jour, autant qu'elle se passe sans verser de sang, et en préservant les droits des Taïwanais. Ceux-ci refusent cette possibilité, étant désormais attachés à leur indépendance, ce qui est parfaitement légitime. L'ironie du sort est que de l'autre côté de la Chine, le Tibet, par la voix du Dalaï Lama, serait particulièrement favorable à une telle solution. Il faut dire qu'il est lui déjà envahi...

jeudi 9 décembre 2010

Guerre culturelle aux Etats-Unis

La défaite des démocrates aux élections de mi-mandat représente un terrible coup pour l'administration Obama. Elle avait déjà du mal à faire passer ses textes lorsqu'elle avait la majorité à la chambre et la super majorité de 60 membres sur 100 au sénat. Maintenant, avec 53 sénateurs seulement et en étant en minorité à la chambre, le camp démocrate semble désespéré. Le seul espoir de courte durée est de faire passer un maximum de textes avant que la prochaine législature commence, en janvier prochain. A ce titre, le premier test était la reconduction des réductions d'impôts mises en place par George W. Bush il y a 10 ans. Les démocrates voulaient les reconduire, sauf pour les plus riches, quand les républicains voulaient les reconduire pour tout le monde. Au bout du compte, c'est Barack Obama qui a cédé. C'était le seul moyen pour lui d'obtenir une reconduction de l'indemnisation des chômeurs.

Les républicains étaient déjà remontés auparavant, cela sera encore pire dorénavant. Ils sont parfaitement clairs sur le fait qu'ils ne laisseront rien passer, étant prêt à deux ans d'immobilisme jusqu'à la prochaine élection présidentielle. Au Congrès, les démocrates sont souvent les dindons de la farce : quand ils étaient en minorité sous le Président précédent, ils ne sont pas arrivés à bloquer son programme. Avec un Président et un Congrès démocrates, ils ont encore beaucoup peiné. Et là ils semblent bien ne rien pouvoir obtenir, face à des républicains bien plus résolus qu'ils ne l'étaient.

Dans son livre The Audacity of Hope, Barack Obama laissait percer l'une des idées centrales de sa vision politique. Il considérait qu'autrefois, dans les années 60 notamment, les positions entre les camps étaient beaucoup moins figées, le dialogue existait toujours entre démocrates et républicains, de vraies amitiés existaient même. Aujourd'hui, Barack Obama regrette que cela ait disparu, et souhaite pouvoir rétablir un tel état d'esprit. A vrai dire, c'est peut être même la pierre angulaire de ce "changement" qu'il veut mettre en place. C'est la raison pour laquelle il a voulu que le Congrès prenne l'initiative sur la réforme de la santé, et qu'il a si ardemment souhaité que le texte soit au moins approuvé par une partie des républicains, quitte à faire des sacrifices sur les idéaux démocrates. Mais ce n'est pas vraiment l'humeur actuelle...

Il y a déjà la question institutionnelle. Le système américain de bipartisme et de primaires fait que chaque camp a tendance à désigner des candidats bien en ligne avec leurs idées plutôt que des centristes. Et les territoires américains sont souvent bien marqués d'un côté ou de l'autre. Cela fait qu'au Congrès, les représentants élus sont très vindicatifs, très convaincus, peu enclins à transiger. La dernière élection l'a bien montré. Les démocrates les plus centristes ont été les plus vulnérables : encore peu soutenus par la majorité des démocrates, ils étaient encore trop à gauche pour des circonscriptions très marquées à droite. Battus, le groupe démocrate à la chambre est donc globalement plus à gauche qu'avant. La Speaker, Nancy Pelosi, qui était rejetée par les centristes démocrates et violemment vilipendée par les républicains, a ainsi réussi l'exploit de garder la direction de son groupe. Représentante de San Francisco, elle est bien à gauche, et donc en ligne avec les autres représentants démocrates. La reddition de Barack Obama sur la reconduction des baisses d'impôt les a d'ailleurs particulièrement mis en fureur.

Mais au delà de cela, il y a un problème plus vaste. Ces institutions ont toujours été les mêmes. Ce qui a changé, c'est l'aspect culturel. Dans les années 60, les partis étaient en effet beaucoup moins "purs" idéologiquement. Alors que Lyndon Johnson mettaient en place les droits civiques pour les noirs, de nombreux démocrates des Etats du sud étaient encore ségrégationnistes. Chez les républicains, si chacun était farouchement anti-communiste, il n'y avait pas moins un état d'esprit permettant le dialogue, comme l'avait le Président Dwight Eisenhower dans les années 50. Le gouverneur Nelson Rockefeller de New York y illustrait même la force d'une aile progressiste.

Mais en même temps, un conservatisme bien plus prononcé émergeait. Il s'est d'abord manifesté par la candidature de Barry Goldwater à l'élection présidentielle de 1964, où il fut lourdement défait. L'époque semblait être plutôt celle de la contre-culture, avec l'influence d'un mouvement d'idées très à gauche dans l'Occident. La libéralisation des mœurs, l'intervention de plus en plus marquée de l'État dans l'économie, la remise en cause de piliers traditionnels de la société, arrivant jusqu'à l'émergence du mouvement hippie, ont immédiatement favorisé une très forte réaction de la part d'une part importante du pays. C'est dans ce contexte que l'acteur Ronald Reagan a pris le relais politique du conservatisme aux États-Unis.

Malgré son inexpérience, il fut tout de suite soutenu par de larges pans de la société dans son combat pour un retour aux valeurs conservatrices. Et dès 1966, il réussit à se faire élire gouverneur de Californie malgré un sortant bien en place. Cela suffit pour que les spéculations sur son avenir présidentiel commencent immédiatement. Bien que gouverneur depuis moins de deux ans, il fut ainsi une force redoutable lors des primaires pour l'investiture républicaine à la présidentielle de 1968. L'accent qu'il mettait sur la liberté personnelle en matière économique, le respect des valeurs morales traditionnelles et l'importance de la religion a formé une ligne directrice qui subsiste encore aujourd'hui. Il ne fut néanmoins pas en position d'aller jusqu'au bout, et il préféra soutenir Richard Nixon que Nelson Rockefeller.

Il ne se présenta pas contre le Président sortant en 1972, mais avec l'affaire du Watergate, l'Amérique se retrouva avec un Président qui n'avait pas été élu, Gerald Ford. En 1976, Ronald Reagan eut moins de scrupules, se présenta donc contre lui, et faillit de très peu l'emporter lors de la convention républicaine. Il ne le soutint qu'à condition que Nelson Rockefeller ne reste pas vice-Président. Mais le pardon accordé par Gerald Ford à Richard Nixon réduisit ses chances de succès, et Jimmy Carter fut élu. Ce dernier ne resta que quatre ans Président. En 1980, Ronald Reagan l'emporta haut la main.

Les républicains gardèrent la Maison Blanche douze ans durant, avant que les démocrates se résolvent à envoyer un centriste, Bill Clinton, pour la reprendre en 1992. Dès 1994, celui-ci dut faire face à une chambre républicaine très hostile, le Speaker Newt Gingrich s'étant déjà résolu à l'opposition frontale. Le retour des républicains au pouvoir lors de l'élection de 2000 fut pour eux comme un retour à la normale, et sans la faute que fut la guerre en Irak, ils auraient pu prétendre y rester en 2008.

Tout ce mouvement politique fut accompagné par un puissant élan en matière d'idées. Avec des penseurs/polémistes tels que William Buckley ou Irving Kristol, le conservatisme connut une renaissance des ses idées politiques. Encore aujourd'hui, ce bouillonnement perdure, avec des revues telles que le Weekly Standard ou le National Review, ou bien toute une constellation de thinks tanks conservateurs qui arrivent à peser dans les débats. Mais c'est certainement sur le front médiatique que le combat est le plus intense. Sous Bill Clinton, l'animateur de radio Rush Limbaugh devint la figure de l'opposition aux démocrates, jouant régulièrement sur le registre de la colère. Fox News, la chaîne d'informations de Rupert Murdoch, fut lancée avec un état d'esprit similaire. Son journaliste vedette, Bill O'Reilly, fut lui la figure du mépris des républicains pour l'opposition démocrate pendant les années George W. Bush. Et sur cette même chaîne, un nouvel animateur, Glenn Beck, fit son apparition début 2009, pour répondre à la nouvelle donne représentée par Barack Obama. Il rencontre à son tour un énorme succès avec des émissions stupéfiantes où il n'hésite pas à instaurer un état d'esprit paranoïaque, jouant sur le registre de la peur, décrivant un monde s'écroulant sous la menace démocrate.

Bill O'Reilly a parlé dans l'un de ses livres (Culture Warrior) de guerre culturelle entre les progressistes et les conservateurs. Il affirmait que l'Amérique devait en prendre conscience pour pouvoir se défendre face aux coups de boutoir progressistes, toute la magnificence des États-Unis ne découlant que de son attachement aux valeurs conservatrices. Tel est l'état d'esprit qui règne outre Atlantique aujourd'hui. Il devint de plus en plus extrême, mais il est présent depuis 30 ans au moins. La gauche américaine a pu s'illusionner pendant l'espace de quelques mois lorsqu'elle croyait à l'espoir et au changement promis par Barack Obama, mais l'Amérique n'en demande pas tant. Dans un pays où les conservateurs ont réussi à être aussi solides, seul un démocrate modéré ou un républicain peut gouverner. La guerre culturelle a encore de beaux jours devant elle.

Photo : Alex Wong / Getty Images

dimanche 5 décembre 2010

Gbagbo élit Gbagbo à la présidence ivoirienne

"J'espère que la Côte d'Ivoire qui a toujours été un modèle de démocratie en Afrique permettra de conserver, voire de relancer cette image avec un calme entourant les résultats qui seront proclamés", a affirmé en début de semaine la ministre française des affaires étrangères, Michèle Alliot-Marie. Il y a deux choses à noter sur cette phrase. D'une part, même si le pays a été autrefois plutôt stable politiquement et prospère économiquement, la Côte d'Ivoire n'est pas vraiment un "modèle de démocratie". Cela fait près de 20 ans que la situation est plus ou moins troublée, et les 33 ans de règne de Félix Houphouët-Boigny n'étaient pas marqués du sceau du pluralisme. D'autre part, on ne peut que regretter que les derniers jours n'ont pas montré la sérénité que le Quai d'Orsay espérait. C'est le moins que l'on puisse dire...

Le Président sortant, Laurent Gbagbo, espérait pouvoir être réélu par une élection démocratique. Cela faisait cinq années qu'il repoussait cette élection pour des raisons diverses, ayant comme effet de doubler le temps de son premier mandat. Mais les résultats du vote ne lui ont pas été favorable : sa politique assez hostile aux provinces du nord n'a pas encouragé leurs électeurs à se montrer favorable avec lui. Ils se sont donc davantage tourné vers Alassane Ouattara, qui en est originaire. Lors de la précédente élection présidentielle, il y dix ans, celui-ci avait été écarté de l'élection de façon déjà particulièrement polémique. Cela ne fait que continuer aujourd'hui. Alors que Laurent Gbagbo aurait pu se montrer bon perdant comme dans toutes les vraies démocraties, et souhaiter bonne chance à son successeur, il a préféré le chemin de l'illégitimité.

Il a donc fait empêcher physiquement la commission électorale indépendante de proclamer les résultats pendant les trois jours où elle devait le faire, pour que ce pouvoir dépende du Conseil Constitutionnel, qui lui est totalement dépendant (lui et le chef de son parti en ont nommé les sept membres). Celui-ci a "annulé" le vote dans neuf départements du nord, constatant du fraude que les observateurs internationaux, rodés à l'exercice, ont pourtant démenties. Cela a mécaniquement fait passer les voix de Laurent Gbagbo de 46 % à 51 %, le désignant comme vainqueur. C'est un trucage manifeste, alors que Alassane Ouattara l'avait emporté.

Quand bien même il y aurait eu des problèmes lors du scrutin de ces départements, cela ne signifie pas que l'ensemble des électeurs puissent se voir dénier le droit d'être pris en compte. La moindre des choses aurait été de les faire voter à nouveau ! Mais le vrai problème ici c'est qu'ils votent intrinsèquement à l'inverse du sens souhaité. De surcroît, la fermeture des médias internationaux est la preuve de la forfanterie, la censure à grande échelle d'informations de politique courante n'étant utilisée que lorsqu'un pouvoir a quelque chose à cacher. Et ici, c'est tout simplement le résultat de l'élection.

Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara ont tous deux prêté serments. Il y a donc deux Présidents, même si Alassane Ouattara est celui qui a été reconnu par la communauté internationale (notamment par l'ONU, l'Union Européenne, l'Union Africaine, la France ou les Etats-Unis). Le Premier ministre, Guillaume Soro, le reconnaît également, même si le chef de l'armée semble rester fidèle à Laurent Gbagbo. L'ancien Président sud-africain Thabo Mbeki est arrivé en Côté d'Ivoire pour tenter une médiation. Il faut espérer que cela ne se transforme pas en guerre civile à nouveau, et que Laurent Gbagbo accepte de se retirer. S'il venait à rester au pouvoir, il ne pourrait se prévaloir d'un autre titre que celui de dictateur.

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