Réflexions en cours

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mardi 31 juillet 2007

Le choc des civilisations

Dans son livre publié en 1996 sous le titre Le choc des civilisations, le géopolitologue Samuel Huntington défend une thèse controversée : après l'effondrement du bloc soviétique, les tensions qui feraient l'évolution du monde ne seraient plus d'ordre idéologique, mais d'ordre culturel. Ainsi, les peuples et les Etats seraient désormais à considérer selon leurs civilisations dans leurs concurrences en terme d'influence. Samuel Huntington analyse alors les tensions qui existent entre les différentes civilisations qu'il perçoit, l'occidentale, l'africaine, l'islamique, la chrétienne orthodoxe, l'hindoue, la chinoise, la latine, la japonaise et quelques zones plus petites. La géopolitique serait alors constituée des relations entre chacun de ces blocs civilisationnels. Dès lors, la plupart des guerres actuelles ne seraient que la retranscription de ces tensions. A la lecture du livre, il faut bien avouer que certaines des thèses développées sont fantaisistes ou douteuses. Un long passage sur la prochaine guerre mondiale qui en découlerait laisse une impression étrange, tellement il y manque des précautions vis-à-vis de la prédiction de l'avenir réalisée. Néanmoins, la grille de lecture du monde offerte est souvent intéressante, et les événements qui ont eu lieu depuis lui confèrent une certaine pertinence.

Par exemple, il décrit la division ukrainienne entre les régions qui sont attirées par l'ensemble occidental et celles qui restent attachées à un lien fort avec la Russie et les autres pays slaves. Lorsque la révolution orange eut lieu en Ukraine, elle semblait être la conséquence immédiate de ces affrontements politiques. Surtout, au niveau des relations entre occident et monde musulman, le livre se montre presque prophétique : celui-ci connut d'ailleurs un regain d'intérêt après les attentats du 11 septembre 2001, et évidemment, les situations du proche et du moyen orient en sont comme des représentations. L'incompréhension qu'il y eut lors de l'affaire des caricatures danoises entre l'occident et les pays musulmans montrent que les tensions entre ces ensembles sont à l'évidence fortes. Samuel Huntington se demande également, de façon pessimiste, quelle sera l'évolution entre les relations entre la Chine, qui devient plus forte de jour en jour et veille à accroître son influence planétaire, et un occident qui est menacé au moins économiquement par un tel développement, et refuse l'idée que les armées chinoises reprennent un jour le contrôle de Taiwan : le jour où cela arrivera, que se passera-t-il ? Du reste, les civilisations n'entretiennent pas toutes des relations difficiles les unes avec les autres. Par exemple, le Japon semble fortement occidentalisée et insérée dans la mondialisation forgée par les occidentaux. Il ne faut pourtant pas se méprendre : si de nombreux pays non occidentaux semblent avoir adopté un mode de vie similaire et les même technologies, d'un point de vue culturel, les peuples garderaient toujours un socle fort de valeur héritée des anciennes sociétés, et cela les distingueraient nettement des autres civilisations.

A la thèse développée par Samuel Huntington, il y a de nombreuses objections. Par exemple il est pour le moins simpliste de découper le monde en des civilisations à l'intérieur desquels les intérêts seraient convergents. Au sein de l'occident ou de l'islam, il y a pourtant de nombreuses divisions. La guerre civile irakienne en est un exemple frappant. D'autre part, cette idée d'affrontement de civilisations peut donner l'impression qu'il s'agit là d'un nouveau nationalisme qui s'étendrait sur des régions plus vastes que celles des territoires nationaux. Cette méfiance de l'autre qui en découle ne va clairement pas dans le sens de la paix entre les peuples, et à trop s'appuyer sur une telle analyse, l'on peut être tenté de la devancer, ou même d'en faire une prophétie auto-réalisatrice. La "guerre contre le terrorisme" opérée par les néo-conservateurs américains montre que l'application d'une doctrine géopolitique guerrière est de nature à embraser le monde. C'est bien pour cela que d'autres essaient à tout prix d'éviter un tel choc des civilisations. L'action de Jacques Chirac sur le plan international trouve sa raison d'être dans sa volonté d'empêcher ces conflits qui seraient à venir. Il n'est alors pas étonnant qu'une fois l'Elysée quitté, il souhaite se consacrer au dialogue entre les peuples.

Le choc des civilisations est donc une nation à prendre avec des pincettes. Si le concept propose une analyse intéressante et pertinente de ce qu'il se passe dans le monde, il ne doit pas être transformé en une vision du monde inéluctable. Il s'agit en fait de l'équilibre à trouver entre optimisme et pessimisme.

jeudi 5 juillet 2007

Le devoir d'ingérence

La nomination de Bernard Kouchner a gouvernement a pu étonner, au vu du clivage partisan qui empêchait normalement une personnalité politique de gauche d'entrer dans un gouvernement de droite. Mais au vu de la proximité qu'il y a entre le nouveau ministre des Affaires étrangères et le nouveau Président de la République en matière de politique internationale, la surprise est déjà moins grande. Pendant toute la campagne électorale, Nicolas Sarkozy a annoncé vouloir ne plus s'appuyer sur la "realpolitik", où l'on cache les dossiers qui fachent pour "vendre des avions". Il préfère ainsi aborder de front les autres chefs d'Etat, y compris sur leurs affaires internes qui posent problème notamment en matière de droits de l'homme. Dès lors, il n'est plus question de feindre une amitié avec la Russie comme l'a fait Jacques Chirac, l'heure est plutôt à discuter avec Vladimir Poutine de la condition des Tchétchènes. Nicolas Sarkozy promet ainsi de ne pas enterrer les dossiers délicats, en ouvrant l'information sur l'assassinat du juge Borrell quitte à fâcher la , ou bien en prenant en main la question du Darfour, où la France n'a rien à gagner. De son côté Bernard Kouchner a longtemps été un partisan de l'ingérence humanitaire, déclarant qu'il était souhaitable que l'on intervienne lors des drames qui se passent chez les autres, sous peine de faire de faire tout simplement de la non assistance à personnes en danger. Dans le domaine des affaires étrangères, les deux hommes sont donc sensiblement sur la même ligne, et jusqu'ici leur collaboration a bien fonctionné, alors que de nombreuses initiatives ont été lancées.

En rejetant la bassesse de la realpolitik, Nicolas Sarkozy pose la France dans ce qu'elle considère être sa spécificité, celle d'être à part dans le concert mondial, puisqu'elle est la patrie des droits de l'homme. L'idée est donc d'assumer cela dans les actes dans la politique internationale. Si le degré d'ingérence augmente, il reste tout de même limité : après tout, il est très peu probable que le gouvernement français reconnaisse le Dalaï Lama comme dirigeant du Tibet. Mais la question de la moralité en matière de relations internationales est quand même posée. Le concept de droit d'ingérence donne à un pays qui n'est pas concerné par une affaire extérieure la possibilité de s'y imiscer pour y faire cesser des souffrances. S'il reste à la discretion de chaque Etat, cela devient une porte ouverte à chacun pour élargir sa propre influence et mépriser la légitimité des autres Etats. C'est même un prétexte courant pour envahir un pays voisin : une minorité y serait opprimée, il faudrait alors faire cesser cela. Pour pallier à cette faille, il faudrait avoir un mandat international pour pouvoir interférer dans des affaires intérieures. C'est alors la cmmunauté internationale, voire l'humanité dans son ensemble qui estime qu'elle est agressée en un point précis par un gouvernement particulier et qui appelle à l'aide. Pour ne pas avoir eu cet appui international, les Etats Unis voient niée toute légitimité à leur présence en Irak. Car, si une fois l'absence d'armes de destruction massive dans ce pays établie, les responsables américains ont essayé de faire valoir qu'ils avaient débarassé l'Irak d'un dictateur sanguinaire, le reste du monde goûte peu un système où chaque puissance pourrait intervenir à sa guise pour se défaire d'un régime qui n'est pas à son goût. C'est précisemment de là que vient l'accusation d'impérialisme envers les Etats-Unis.

Si la question relève vraiment du domaine de la moralité, alors il faut parler de devoir d'ingérence. En passant d'un droit à un devoir, l'idée de libre arbitre, d'incertitude est effacée, il y a alors une véritable obligation d'agir qui s'impose à chacun. Néanmoins, sur ces questions graves aux conséquences tragiques, une intervention nécessitée par une obligation morale ne peut pas toujours être une solution. Elle est déjà difficilement compréhensible par tous, dans la mesure où la notion même de droits de l'homme n'est pas unanimement partagée à travers le monde. De plus, une intervention n'équivaut pas forcément à une solution, avec ou sans l'usage de la force. Quand bien même l'Irak a été débarassée de Saddam Hussein, cette élimination n'a fait que mettre à jour d'autres problèmes dont les conséquences deviennent dramatiques : la guerre civile ravage désormais le pays. Elle était auparavant contenue par la terreur du dictateur, en changeant de régime l'Irak est ainsi allée de Charybde en Scylla. Les situations peuvent avoir des aspects très variables, mais il faut garder à l'esprit que l'impératif moral peut parfois faire du mal là où il voudriat faire du bien. C'est une vision évidemment cynique des choses, mais il faut la garder à l'esprit, pour pouvoir garder en réserve l'option d'actions faites en délicatesse, une délicatesse certes peu flatteuse, mais parfois efficace.
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