Bien que personne ne semble prêt à l'assumer, la guerre des monnaies a bien lieu. Pour commencer, la Chine refuse toujours de laisser s'apprécier le yuan. Elle a de bonnes raisons pour cela, toutes relèvent directement de son intérêt d'Etat si chèrement défendu. D'abord, une monnaie sous évaluer lui permet d'inonder les marchés occidentaux de ses exportations à bas prix, saignant à blanc les industries locales, et faisant rentrer des sommes immenses grâce à une balance commerciale énormément bénéficiaire. Ensuite, laisser le dollar être à un haut niveau par rapport au yuan lui permet de préserver la valeur de ses grandes quantités de bons du trésor américains qu'elle a acheté justement avec les sommes provenant de cette balance commerciale excédentaire. Bref, la Chine est puissante, elle le sait, elle gagne sur tous les tableaux et n'a jamais été enclin à une quelconque empathie envers les autres économies. Elle considère que son heure est arrivée, et il est temps qu'elle en profite. Comme d'habitude, elle réagira de façon outragée à quiconque essaiera d'exprimer une réserve sur la façon dont elle conduit sa politique économique.

Viennent alors les Etats-Unis. Le congrès essaie justement de faire quelque chose contre la faiblesse du yuan, mais il est contenu par une administration Obama bien prudente sur la question. Plutôt que de s'attaquer de front à la Chine, la solution trouvée a été de dévaluer de fait le dollar, en faisant tourner la planche à billets. La Fed créé donc de la monnaie ex nihilo en grande quantité pour racheter des bons du trésor, provoquant un afflux de dollar dans l'économie. La conséquence est double. A très court terme, cet afflux d'argent peut éventuellement faire redémarrer la machine économique américaine, encore à la peine. Mais cette augmentation de la masse monétaire sans augmentation équivalente de la production créera immanquablement de l'inflation. La Fed est prête à cela, car l'inflation américaine est actuellement très faible. Ensuite, cela fait également baisser le cours du dollar, facilitant les exportations américaines... et faisant diminuer la valeur des bons du trésor détenus par les Chinois.

Il y a bien un risque que l'ampleur de cette relance purement monétaire finisse par créer une nouvelle bulle économique, comme les faibles taux d'intérêt opérés au début des années 2000 par Alan Greenspan a permis la formation de la bulle immobilière dont on subit actuellement les conséquences de l'éclatement. Mais pour l'instant, cette politique monétaire est dans les intérêts des États-Unis. Seulement ce schéma oublie tous les autres pays du monde. Ils voient ainsi leurs monnaies s'apprécier rapidement face au dollar, sans qu'elles se déprécient pour autant face au yuan. Il leur est donc encore plus difficile d'exporter (les marchés sont souvent libellés en dollar), et ils sont toujours aussi vulnérables aux importations provenant de Chine. Les pays en développement s'alarment d'ores et déjà d'une politique dont les conséquences leur sera si défavorable. La zone euro est dans l'embarras. Interrogé sur la question, Olivier Blanchard, le chef économiste du FMI, se contente de dire que la BCE devrait peut-être faire la même chose que la Fed. Mais il sait certainement qu'une telle politique a peu de chance de trouver grâce auprès des monétaristes allemands.

Le plus marquant dans tout cela, c'est de constater l'inutilité de fait des tentatives passées pour réguler ce genre de questions. Les membres du G20 ne peuvent que constater leurs isolements respectifs. De telles coopérations ne peuvent fonctionner si certains participants conçoivent leur intérêt personnel comme prioritaire sur toute autre question. Le système monétaire de Bretton Woods était basé sur une conception de la monnaie où chacun devait être gagnant (en l'occurrence, en faisant que le dollar soit aussi bon que l'or comme référence monétaire). Il s'est écroulé lorsque les Etats-Unis n'ont plus voulu jouer le rôle auquel ils s'étaient eux-même proposés, et ont mit fin unilatéralement à la convertibilité or du dollar. Par la suite, quand les pays européens se sont inquiétés des effets de ce choc, le Secrétaire américain au Trésor, John Connally, leur déclara "le dollar c'est notre monnaie, mais c'est votre problème". Rien n'a changé depuis.