Le 26 septembre 2006, un chef d'Etat se déplaçait pour la première fois dans l'émission humoristique "The Daily Show", diffusée sur le câble aux Etats-Unis. A la fin de chaque émission, un invité est interviewé par Jon Stewart. Ce jour-là, c'est Pervez Musharraf qui se présenta, n'hésitant pas à venir jusque dans une émission aussi peu sérieuse pour faire la promotion de son livre, qui sortait à l'époque aux Etats-Unis. Jon Stewart se montra tout de même surpris que celui-ci ait voulu venir dans sa modeste émission. Il y avait de quoi : Pervez Musharraf dirige le Pakistan, un pays de 160 millions d'habitants pour le moins troublé géopolitiquement parlant. Le Pakistan est en effet en conflit régulier avec l'Inde à propos de la région du Cachemire, et surtout, une partie importante du nord du pays n'est pas contrôlé par l'Etat, mais plutôt par des extrémistes islamistes qui sévissaient autrefois en Afghanistan. La façon dont Pervez Musharraf dirige le Pakistan n'est pas non plus anodine. Son accession au pouvoir est le résultat d'un coup d'Etat en 1999, et d'une manoeuvre politique non constitutionnelle en 2001. Jusqu'au 11 septembre 2001, il était considéré avec une grande méfiance par les pays occidentaux. Mais à la suite de la chute des tours jumelles, il prit la décision de ne pas s'opposer à la guerre qu'allait mener les Etats-Unis en Afghanistan, alors que les deux pays sont pourtant très proches. Ce faisant, il évite d'être une cible du courroux américain, mais devient violemment contesté par les islamistes.

Ces derniers mois, tous ces dossiers sont restés chauds. Les élections présidentielles devaient d'abord donner une véritable légitimité à Pervez Musharraf. Mais sa candidature fut contestée devant la Cour Suprème. Et devant la perspective d'un désavoeu, il a préféré instauré l'état d'urgence, limitant les libertés individuelles et mettant de côté les institutions politiques pour conserver le pouvoir. Pour ce nouveau coup d'Etat, il a utilisé comme prétexte le danger terroriste. Le terrorisme est réel au Pakistan, mais cela ne justifiait pas vraiment ce mouvement. La communauté internationale a bien évidemment réagi de façon négative, préférant les processus démocratiques sans entourloupes. Les Etats-Unis ont demandé des explications à leur allié. Mais jusqu'où peut-on remettre en cause Pervez Musharraf ? S'il est remplacé par quelqu'un qui garde la même ligne de fermeté face à l'islamisme, il ne sera pas regretté. Mais il serait hasardeux que de dire qu'il n'y a pas de risque islamiste au Pakistan.

Il est plus agréable de traiter avec des pays démocratiques dont la morale est claire. Mais le Pakistan est un exemple de ces pays clés pour l'évolution du monde où les choix à faire laissent des arrières goûts désagréables. En l'occurrence, si l'on peut encourager Pervez Musharraf à faire les choses de la façon la plus transparente possible, il est difficile de lui demander plus, dans la mesure où jouer avec le Pakistan revient à jongler avec de la nitroglycérine. Après tout, le Pakistan a eu la mauvaise idée de se doter de la bombe atomique. Veiller à ce qu'elle ne tombe pas dans les mains de personnes encore plus irresponsables n'est qu'un des aspects à prendre en compte dans sa façon d'agir avec le Pakistan.