Lorsqu'Angela Merkel et la CDU ont commencé à s'inquiéter au sujet des fonds souverains, pendant l'été dernier, il n'a pas fallu beaucoup de temps pour que cette inquiétude se partage de l'autre côté du Rhin, en France. C'est notamment lors d'un sommet entre la chancellière allemande et le président français que le sujet est apparu, tous deux arrivant facilement à s'entendre sur la nécessité d'améliorer la transparence des fonds spéculatifs et des fonds souverains, laissant entrevoir une méfiance envers des forces financières immenses aux motivations obscures. Car les fonds souverains sont justement des fonds d'investissement détenus par des Etats, des Etats à la puissance économique telle qu'elle leur permet d'avoir une épargne à investir à l'étranger. Il n'est en effet pas inhabituel de voir des gouvernements investir dans les entreprises de leur propre pays. C'est le propre des nationalisations, totales ou partielles, accomplies dans le but d'implémenter de nouvelles politiques sociales, de contrôler des secteurs habituellement détenus par le secteur privé, ou de constituer des champions nationaux dans la compétition économique internationale. Mais pour un Etat, investir directement dans des entreprises étrangères est plus inhabituel.

Les fonds souverains ne sont pas vraiment nouveaux, mais c'est l'ampleur que certains d'entre eux prennent et leurs choix d'investissement qui attirent de plus en plus l'attention. Et de même que l'intervention de l'Etat peut être faite pour aider un champion national, on peut imaginer sans mal qu'elle peut être faite pour faire avancer les intérêts stratégiques d'un pays, qu'ils soient économiques ou mêmes liés à des questions d'influence ou de sécurité. Certains pays comme la Chine ou l'Arabie Saoudite donnent l'impression, par leurs idéologies d'Etat et leur vision affirmée de la défense de leurs intérêts nationaux, qu'ils peuvent avoir des stratégies pour faire prévaloir leur puissance économique de par le monde. Profitant chacun de balances commerciales largement excédentaires, ces deux pays disposent de liquidités abondantes qu'ils choisissent d'investir dans les économies du monde entier, à travers des fonds souverains. Cette puissance financière alliée au patriotisme économique laisse la porte ouverte à de nombreuses craintes. Dès lors, ce serait abaisser sa garde que de laisser ces fonds souverains agir comme ils le souhaitent et de les laisser prendre le contrôle d'entreprises stratégiques.

Les Etats-Unis, l'Allemagne ou la France ont donc raison de prendre la menace des fonds souverains au sérieux. Car si le capitalisme libéral est censé être un jeu où ne règnent que les lois de l'offre et de la demande, et le critère de compétitivité, il serait naïf que de croire que des Etats pourraient s'abstenir de donner dans l'interventionnisme si cela peut favoriser leurs intérêts stratégiques de long terme, quitte à ce que cela nuise aux performances économiques à court terme de leur investissements. Si les pays occidentaux n'ont pas forcément les moyens d'avoir leurs propres souverains pour peser d'eux-mêmes dans ce domaine, ils peuvent au moins veiller aux investissements réalisés par les fonds souverains étrangers pour en étudier les implications, et ils peuvent aussi ne pas s'interdire d'intervenir pour défendre ponctuellement les intérêts de leurs propres entreprises.