Xavier Darcos n'est peut être pas très original ou subtil en se lançant dans une n-ième réforme de l'Education Nationale, cette fois-ci portant sur la structure de l'enseignement au lycée, il n'en est pas moins que sa dénonciation de "la culure de la grève" repose sur une base solide. D'une manière générale, c'est même toute une culture de la protestation à outrance qui handicape la France, et qui finit par fournir un vacarme de fond pénible et continuel, parfois même tragique lorsqu'il arrive que des voix justes et utiles ne puissent plus être entendues, faute de pouvoir s'en extraire. Le principe en est simple : chacun se sent le devoir de porter ses préoccupations sur la place publique, et fera tout soit pour défendre ses propres avatages particuliers, soit pour en obtenir de nouveaux, jusqu'à l'irrationnel. Ce sont les professeurs qui font grève car leur ministre de tutelle ne parlent pas d'eux en voulant les flatter. Ce sont les agriculteurs qui réclament des aides publiques dès que les prix du marché sont trop bas, ou que les récoltes sont trop faibles. Ce sont les chercheurs qui s'effraient à l'idée que la recherche puisse être financée par le secteur privé. Ce sont les médecins qui veulent augmenter les prix des consultations. Ce sont les ouvriers du livre qui veulent préserver leur monopole et leur contrôle d'un système de distribution. Ce sont les notaires qui veulent que toute transaction immobilière passe entre leurs mains pour toucher leur pourcentage. Ce sont les motards qui ne veulent plus d'arbres le long des routes car ils ont trop tendance à rentrer dedans...

Bref, c'est bel et bien toute une culture consistant à crier contre tout ce qui est considéré comme une menace, même lointaine, même exagérée ou délirante, qui forme le fond du débat en France. L'intérêt général est vite oublié, même s'il est parfois invoqué de façon alambiquée dans les discours, seuls les intérêts particuliers s'exprimes. Ceux qui doivent pourtant agir malgré tout ça sont les hommes politiques. Ce sont eux, en théorie, les garants de l'intérêt général. Mais que peuvent-ils accomplir s'ils sont les seuls à s'en soucier ? Pour pouvoir agir et changer les choses qui ne vont pas, le politicien doit pouvoir avoir des responsabilités. En démocratie, il doit obtenir les suffrages de ses concitoyens, qui l'élisent et contrôlent son travail. Si chacun les jugent en fonction de ses propres intérêts, alors on pourrait penser que tous les intérêts particuliers des électeurs sont aussi ceux du politicien.

Inévitablement, ces différents intérêts particuliers viendront à rentrer en conflit les uns avec les autres. L'intérêt du médecin pour augmenter le prix de ses consultations n'est pas celui de ses patients, au budget limité. L'intérêt des usagers des transports en commun pour des transports de qualité n'est pas celui du cheminot, prêt à tout pour défendre son droit de faire grève. Le politicien ne peut donc satisfaire tout le monde en même temps, et ne peut donc bien accomplir son travail pour lequel il est élu et rémunéré. S'il y avait un politicien corporatiste, voulant défendre son métier et ses conditions de travail, il aurait plus à gagner à obtenir que la population pense davantage à l'intérêt général, que de souhaiter que son régime de retraite soit maintenu ou que son enveloppe parlementaire soit grossie. Mais aujourd'hui, l'homme politique est une cible facile, soit parce qu'il fait des choix difficiles, soit parce qu'il n'en fait pas en promettant tout à tout le monde. Dans les deux cas il n'est qu'un miroir : l'insatisfaction de la société ne fait que se retourner vers elle-même. En tous temps, en tous lieux, on a les dirigeants que l'on mérite. Et si l'on s'intéressait davantage à l'intérêt général, non pas l'intérêt général interprété comme étant une extension de soi-même, mais au vrai intérêt général, celui dans lequel on peut aussi avoir à perdre si cela peut faire gagner la société dans son ensemble ?