"Ils ont tellement dit que j'étais nulle que j'ai failli finir par croire que c'était vrai !" Cette phrase ironique donne le ton du dernier "livre" de Ségolène Royal (en fait une compilation d'une douzaine d'interviews) : victimisation et absence de remise en cause de sa part. Au fil des pages, elle ne fait qu'enchaîner les satisfecits envers elle-même. Elle n'hésite pas à dire qu'elle aurait pu être élue à la présidentielle facilement avec 55 % des voix si elle avait bénéficié du même soutien des médias et de son parti que son adversaire. Dans ce qu'elle a fait elle-même, rien n'était mauvais. Il semble que la France avait de la chance de l'avoir. Ségolène Royal se sent intimement destinée à diriger ce pays. Tout le drame est que certaines personnes n'aient pas voulu et l'en aient empêché.

Alors tous ceux qui ont eu le mauvais goût de se mettre sur son chemin, ou même de ne pas lui avoir déroulé le tapis rouge, font l'objet de son ire souveraine. Outre les longs passages d'auto-glorification, le livre empile donc les petites attaques envers les inopportuns. Jack Lang "geignard", Nicolas Sarkozy "infantile", et ainsi de suite pour tous ses camarades du Parti Socialiste. Au gré des attaques se dessine l'image du champ de carnages dont elle seule émerge comme pure et triomphante. Il faut dire qu'elle n'hésite pas à se comparer à Sœur Emmanuelle. Dans son esprit, sa seule victoire à la primaire interne du PS pour désigner le candidat à la présidentielle de 2007 est censé légitimer à jamais sa présence à la tête de la gauche. Avant même ce vote, elle partait déjà du principe que son bon niveau dans les sondages devait écarter tout questionnement dans son parti quant à son sujet. Et pour la suite, elle a besoin de boucs émissaires sous les formes des médias, des machistes et des autres éléphants pour justifier son incapacité à accomplir les buts qu'elles se fixent.

La primaire ne lui donnait pourtant une légitimité effective que pour se présenter à une seule élection. Après, elle redevenait simple militante socialiste. D'ailleurs, elle se souvient bien plus facilement de sa victoire lointaine que de ses défaites récentes. C'est qu'elle a tout de même deux défaites à son actif depuis sa victoire à la primaire de 2006 : son échec à la présidentielle fut cinglant, et dans la course au poste de premier secrétaire du PS, son résultat fut bien inférieur aux 60 % dont elle se revendiquait auparavant. A moitié moins, elle a du cette fois rentrer dans la minorité du parti. Dans un cas comme dans l'autre, elle ne montre dans son propos aucune préoccupation pour ce qu'il serait arriver dans le cas où elle aurait été aux responsabilités. Quand elle parle, elle se contente de dire que tout aurait été mieux, sans problème.

Au bout du compte, la question se pose de savoir si Ségolène Royal a un intérêt quelconque pour la réalité. Elle vit dans un monde dont elle est l'unique centre, l'unique raison d'exister. Certes, toutes les personnalités politiques se caractérisent par un égo démesuré, mais on atteint là un niveau stratosphérique, probablement sans égal en France. Le souci est bien que le monde de Ségolène Royal n'a que peu de points commun avec le monde réel. Au vu de ses schémas de pensée délirants, il est préférable qu'elle reste dans la position de la perdante remplie d'amertume plutôt qu'elle n'accède de véritables responsabilités, où sa vision du monde aurait des conséquences autrement plus graves qu'un simple livre d'entretiens.