Des moines bouddhistes ont commencé à défiler le mois dernier en Birmanie en signe de protestation contre le régime qui dirige le pays, une junte militaire obsédée par la conservation du pouvoir et la fermeture du pays au reste du pays, en faisant l'un des moins développés de la planète. Comme lors des précédentes protestations, la junte n'a pas tardé à riposter de façon violente, se soldant par la mort de nombreux manifestants, probablement des centaines voire plus, qui étaient pourtant totalement pacifistes. Le régime dictatorial qui opère en Birmanie règne depuis plus d'une quarantaine d'années. Les précédentes révoltes avaient fait suffisamment vaciller le pouvoir pour que des élections libres soient organisées, mais celles-ci, après une victoire massive de l'opposition menée par Aung San Suu Kyi, furent annulées, et depuis la dictature continue. Les liaisons avec la Birmanie sont actuellement pour la plupart coupées, laissant envisager un bain de sang que la junte ne souhaite pas voir trop exposée, au monde entier peut être, à son peuple plus sûrement. Le reste du monde, bien que connaissant ce drame se déroulant en temps réel, est réduit à une certaine impuissance.

Comment pourrait-on intervenir ? Depuis la guerre en Irak, le fait d'intervenir militairement au nom du devoir d'ingérence pour protéger un peuple contre son dictateur apparaît comme une mauvaise idée. De plus, la contestation de la junte suit essentiellement la voie de la non-violence, même si elle doit affronter un régime qui est loin de suivre de tels standards. Pour l'heure, chaque démocrate peut soutenir, au moins par les pensées, le peuple birman, dans son combat et ses souffrances. Des pétitions peuvent être signées, des manifestations devant les ambassades de la Birmanie peuvent être organisées et les prises de paroles contre la répression violente peuvent se succéder, mais la probabilité que tout cela influe sur les agissements de la junte est nulle. Bien sûr, le regard réprobateur de la communauté internationale peut la gêner dans une certaine mesure. Mais d'une façon très mesurée quand même, vu que la situation ne serait pas aussi grave si un simple coup de projecteur aurait suffit par le passé à limiter les dégâts. Le régime en place tente à peine de dissimuler sa nature, c'est surtout vers son propre peuple que se dirige sa volonté de faire régner la terreur et l'obscurantisme. Il est aussi possible d'organiser des pressions diplomatiques sur le gouvernement birman, de limiter le commerce et l'exploitation des ressources du pays par les groupes occidentaux qui ne font que conforter à leur place les soutiens de la dictature ou bien d'organiser des sanctions économiques envers la Birmanie. Mais d'une part, cela a peu de chances de faire changer d'orientation une junte qui préfère avant tout garder un contrôle absolu envers son peuple, dut-il être l'un des plus miséreux au monde. D'autre part, et cela commence à devenir une habitude, la Chine représente à nouveau un obstacle aux tentatives de concertation multilatérale contre de tels drames.

Il reste quand même une douloureuse question qui réapparaît à la lumière de ces événements : comment une telle dictature est-elle possible ? Après tout, ceux qui sont à sa tête ne sont que des hommes, aux capacités physiques semblables à celles des oppressés. Pour pouvoir conserver des tels pouvoirs, ils doivent s'appuyer sur un nombre minimal de personnes qui acceptent de les servir et de leur demeurer loyal. En l'occurrence, il s'agit de l'armée. Les soldats semblent suivre aveuglement les ordres qui leur sont donnés, et pourtant, ils sont issus du reste de la population, dont ils connaissent en conséquence la condition. Il n'y a pas de systèmes de castes dans les sociétés bouddhiques, le régime militaire n'affiche pas vraiment de doctrine idéologique forte qui légitimerait sa présence à la tête du pays, les généraux au pouvoir ne sont pas vraiment des chefs charismatiques capables de manipuler la population, il ne semble même pas y avoir de menace extérieure à la Birmanie, même fantasmée, qui pourrait former une justification au pouvoir militaire. Qu'est-ce qui fait, alors, que les soldats acceptent de maintenir une telle situation, se laisse entraîner par ses généraux quand il faut accomplir un coup d'Etat contre un régime démocratique et commettre des atrocités envers leurs semblables ? Les dictatures sont malheureusement nombreuses à travers le monde, et de telles situations ne sont pas rares. En fait, l'une des conditions même de la démocratie est d'avoir une armée qui accepte de recevoir des ordres de la part des civils qui ont reçu légitimement le pouvoir de la part du peuple. L'un des voisins de la Birmanie, la Thaïlande, connaît également des coups d'Etat réguliers opérés par l'armée quand celle-ci n'apprécie plus les dirigeants en place. Une telle habitude est troublante, mais n'en est pas encore à un tel degré de despotisme que celui qu'a atteint la Birmanie. Le fait que le chef d'Etat birman actuel, Than Shwe, soit devenu dictateur après avoir grimpé dans la hiérarchie militaire rang par rang sous le règne des dictateurs précédents, laisse songeur. Ce schéma, somme toute classique, montre que dans une dictature, aussi dures les souffrances du peuple soient-elle, une partie de celui-ci a intérêt à ce que cette dictature perdure, malgré les liens qui devraient l'attacher à ceux qui souffrent.