On peut difficilement dire que la campagne de Dominique Voynet ait été beaucoup suivie. Il y a pourtant un point sur lequel elle s'est exprimée, où ses concurrents n'ont pas de prises de position très connues : les langues régionales. Elle fait de leur défense l'un de ses chevaux de bataille, en promettant entre autres de modifier l'article 2 de notre Constitution pour en reconnaître l'usage et la nécessité. Certes, ces dernières années, les langues régionales ont disparu du débat public, mais il y avait encore eu une polémique à ce sujet lorsque des associations bretonnes avaient réclamé la possibilité d'enseigner le breton en classe, comme c'est déjà le cas dans les écoles diwan. Avec les langues régionales, c'est toute la question des identités régionales qui se pose. Actuellement, le débat tourne plutôt autour de l'identité nationale française. Mais est-ce incompatible ? Pas forcément. Evidemment, ces notions varient en fonction des époques, et des évolutions en matière de moyens de communications. Ainsi, en des temps très éloignés, la plupart des gens ne connaissaient que les environs de leur village, étant agriculteurs sédentaires, ils n'avaient que peu besoin de voyager. Ils passaient leur vie dans un univers qui était assez peu étendu, le fief pouvant être par exemple de la taille de la moitié d'un de nos départements actuels. Pour les commerçants ou pour les élites locales, l'horizon était la région, guère plus. Au moyen-age, la France était marquée par la féodalité, la faiblesse des pouvoirs du roi laissant peu de place à un échelon véritablement supérieur à celui de la seigneurerie. C'est avec la centralisation de la France, marquée par Louis XIV, que cela a commencé à changer, mais ce furent bien les jacobins, qui lors de la Révolution Française, entreprirent de favoriser l'émergence d'une forte identité commune à tous les Français, s'opposant en cela aux girondins, plus favorables aux initiatives locales. En forçant les écoles à n'enseigner que le français, l'Etat s'engageait à construire génération après génération la France en tant que nation.

Il est dit que le XIXème siècle est le siècle de l'émergence des nationalismes. Dans le cas de la France, marquée par la Révolution et les guerres napoléoniennes, ce fut surtout une prise de conscience d'un destin commun entre les différentes identités régionales qui la compose. A vrai dire, le problème des langues régionales n'en est un que lorsqu'elles servent à solidifier des nationalismes locaux, qui demandent l'indépendance d'une région pour quitter l'ensemble qu'est la France. Dans le cas d'une région de la métropole, la difficulté est évidente, la question de l'intégrité du territoire français étant posé. Du reste, dans la plupart des cas, de telles revendications émanent de minorités locales, faisant d'autant plus de bruits qu'ils sont peu nombreux et qu'ils se démarquent d'une population attachée de façon évidente à leur identité française. Car on peut aimer tant sa localité, que sa région et son pays. Et d'ailleurs, l'un des grands enjeux de notre siècle est justement de favoriser la prise de conscience d'une communauté de destins au sein des peuples européens : on peut se sentir par exemple à la fois très breton, très français et très européen.

D'un point de vue purement utilitariste, on peut douter à vrai dire que l'apprentissage des langues régionales puissent être une priorité. Déjà, cela s'adresse avant tout à une population qui est à peu près certaine de rester toute sa vie dans une seule région, ce qui de nos jours se fait plus rare, au vu de la mobilité demandée dans la France, voire même dans le monde. De plus, en matière de linguistique, les Français auraient beaucoup à gagner à mieux connaître davantage de langues étrangères, à commencer par celles de nos voisins européens. Alors les langues régionales doivent évidemment faire partie d'un patrimoine culturel. Mais un enseignement obligatoire ou une action publique forte n'est peut être pas le meilleur moyen d'opérer cette sauvegarde. Outre l'action des centres régionaux et des linguistes, c'est surtout sur les initiatives associatives ou sur la transmission orale dans le cercle des proches qu'il faut compter pour que survivent les langues régionales. Il est inutile de trop en demander à l'Etat qui n'est concerné que de façon lointaine, qui a des priorités bien plus importantes, alors q'un grand nombre des citoyens ne se sentent pas concernés par le sujet. Or l'identité régionale manifesté par la pratique d'une langue locale demande surtout une forte adhésion de ceux qui la font vivre, il est inutile de compter sur une démarche forcée.