Réflexions en cours

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samedi 20 janvier 2007

Le ras-le-bol des bébés zappeurs

Le 22 décembre dernier, Ségolène Royal a rencontré Mizuho Fukushima, présidente du Parti Social Démocrate japonais, lors d'une visite de cette dernière à Paris. Selon la presse japonaise, qui fût la seule à rendre compte de cette rencontre, le contenu de l'échange était assez curieux. L'Asahi Shinbun, le quotidien japonais le plus important, raconte en effet que Ségolène Royal interrogea Mizuho Fukushima sur la condition des femmes au Japon, que la candidate socialiste considère de toutes façons mauvaise, avant de livrer son diagnostic d'autorité : cette mauvaise condition féminine pourrait venir de l'impact des mangas, les bandes dessinées japonaises. Cette analyse pour le moins surprenante et péremptoire a été reçue avec circonspection au Japon. D'une manière générale, la diplomatie japonaise s'inquiète déjà d'une dégradation des relations avec la France si Ségolène Royal venait à être élue, d'après l'Asahi Shinbun.

L'inexpérience de Ségolène Royal au niveau des relations internationales est connue, mais le manque de retenue dont elle fait preuve n'en reste pas moins étonnant. Ce récit nous montre qu'elle juge les autres pays à l'aune de ses propres préjugés, sans se pencher sur les différences culturelles et leurs origines. Et cela ne peut être que préjudiciable pour quelqu'un qui doit représenter la France au plus haut niveau à l'étranger. Et en l'occurrence, si l'on peut bien parler de préjugés déconnectés de la réalité, c'est qu'il ne s'agit pas là de son premier jugement de valeur sur le Japon, vu comme un pays totalement dévasté d'un point de vue culturel par ses bandes dessinées et ses programmes télévisés. Il arrive ainsi en bonne place des exemples négatifs dans le livre qu'elle a écrit en 1989 sur ce qu'elle considère les mauvais programmes télévisés, Le Ras-le-Bol des Bébés Zappeurs.. Elle y décrivait des dessins animés japonais "violents", "nuls", "laids", et surtout coupables de dévoyer la jeunesse française après avoir déjà mise à mal celle nipponne. Car le Japon y est décrit comme le pays des crimes horribles, alors que la criminalité japonaise est l'une des plus faible au monde. Même lorsqu'elle accuse les bandes dessinées japonaises de machisme, elle semble complètement ignorer qu'une partie importante de celles-ci sont destinées aux adolescentes, et montrent des modèles féminins tout faits positifs. Dans son livre, il n'y avait pas que les séries animées japonaises qui étaient clouées au pilori, il y avait également les séries et les téléfilms américains. Et elle voyait tout cela avec l'idée que la télévision était forcément manipulatrice, et néfaste pour les enfants, ce qui en soit est déjà discutable. Pour s'en débarrasser, Ségolène Royal prônait les quotas et la censure. Si l'amendement qu'elle avait déposé à l'Assemblée Nationale a été fort heureusement rejeté, son combat contre l'animation japonaise a permis la propagation de ses propres préjugés au sein de la population française quant à cette partie de la culture japonaise.

Qu'elle n'aime pas les programmes télévisés ou les publications japonaises, libre à elle. Qu'elle souhaite en priver les autres devient franchement douteux. Mais qu'elle juge encore aujourd'hui les sociétés étrangères avec comme seul critère ses préjugés qui sont avant tout la preuve d'une ignorance montre le malaise que l'on peut avoir à l'idée qu'elle puisse être à la tête des relations internationales de la France. Ses récents voyages à l'étranger, censés forger sa stature internationale, ont en fin de compte amplifié l'inquiétude que l'on pouvait avoir sur ce sujet. Car si l'on peut avoir une idée variable du périmètre des domaines dont s'occupe un Président de la République, les relations internationales figurent invariablement au premier rang.

Photo : Asahi Shinbun

jeudi 18 janvier 2007

Une nouvelle arche de Noé pour sauver la biodiversité ?

La protection de l'environnement est, à juste titre, une préoccupation croissante de l'humanité. Les dérèglements climatiques sont déjà une réalité, ainsi que des changements environnementaux d'autres natures, comme la destruction d'écosystèmes naturels. Ainsi, la déforestation amazonienne est d'ores et déjà une calamité qui sera difficile à réparer. Cela a des répercussions dramatiques, en premier lieu sur la disparition d'espèces animales et végétales, et ce dès aujourd'hui. Le programme EDGE (Evolutionarily Distinct & Globally Endangered) créé par la société zoologique de Londres fait sonner l'alarme à propos des espèces animales en voie de disparition pour mieux les protéger. 100 espèces sont particulièrement observées, et classées en fonction de leur degré d'extinction. Certaines sont déjà particulièrement suivies, d'autres semblent s'éteindre dans l'indifférence. Au moins pour ces espèces, ce programme se mobilise d'abord pour alerter l'opinion internationale sur ce drame, ensuite pour étudier leurs habitats naturels, pour enfin mettre en place des plans de protection adaptés.

Du reste, il n'y a pas besoin d'aller dans des terres éloignées et vierges pour trouver des espèces menacées. La pêche et la chasse, professionnelles ou non, sont à l'origine de baisses de populations importantes pour certaines espèces animales. Le changement de l'environnement joue également un rôle, et même le très commun moineau voit ses effectifs décliner en Europe, sans qu'il y ait un constat clair sur les raisons précises de cette disparition. D'une manière générale, on peut se poser la question sur ce que fait l'homme pour protéger la biodiversité. La démarche du programme EDGE est heureuse, mais le défi semble dépasser de loin une centaine d'espèces. On peut même être pessimiste quand on voit le nombre d'espèces déjà disparues, celles qui sont menacées, et la faiblesse des efforts faits pour leur préservation quand il semble y avoir une pente naturelle qui favorisent les facteurs négatifs.

Cela rentre dans le débat global de l'écologie, et sur ce que chacun fait pour protéger l'environnement. Au vu des tendances actuelles, on peut croire qu'il faudra encore du temps pour ne serait-ce que stabiliser la situation. On peut toutefois espérer qu'un jour lointain, les conditions seront plus favorables, après notamment une reconstitution des espaces naturels et une éventuelle fin des émissions de gaz polluants. Certes, encore une fois nous entrons là dans le très long terme, et il faut une bonne dose d'espoir pour croire cela possible. Mais la probabilité n'est pas nulle, et peut être pouvons nous veiller dès aujourd'hui à ce que la situation ne soit pas irréversible. Pouvons nous imaginer dès aujourd'hui, tout en étudiant la vie et l'environnement de ces espèces, de garder une trace génétique de leur passage ? En d'autres termes, pourquoi ne pas faire en sorte que les espèces au bord de l'extinction puisse être réintroduites une fois que les conditions de leur retour seront réunies ? Il faudrait pour cela créer une nouvelle Arche de Noé, qui pourrait se traduire par la conservation dans des programmes zoologiques (dans des espaces totalement contrôlés par l'homme), ou au pire, en passant par les sciences du vivant en laboratoires. Cela parait effrayant, mais peut être faut-il se poser la question tant qu'il reste quelque chose à sauver.

Photo : Nick Garbutt/Nature Picture Library

mardi 16 janvier 2007

Vivre avec Milgram

En 1963, Stanley Milgram, chercheur en psychologie de l'Université de Yale, publie les résultats de ses expériences. Leurs résultats sont devenus célèbres. Il demandait à des personnes normales (prises de façon individuelle) de poser des questions à un cobaye (en fait un acteur), et de leur infliger une sanction si celui-ci ne répondait pas la bonne réponse. Cette sanction se traduisait par des chocs électriques d'importance croissante. La violence des chocs électriques (qu'il faut actionner par des boutons) était clairement expliquée à l'interrogateur, de telle manière à ce qu'il soit conscient de ce qu'il fait. L'acteur donnant de mauvaises réponses, il simulait la douleur des chocs électriques qui allaient croissant. Au bout d'un moment, l'acteur commençait à se plaindre de la souffrance occasionnée, mentionnant le fait qu'il était cardiaque et que ça devenait vraiment dangereux. L'interrogateur commençait alors à montrer des preuves d'une nervosité extrême, mais le chercheur le poussait à continuer malgré tout l'expérience. A la fin de l'expérience, une fois arrivée en haut de l'échelle des chocs possibles (choc mortel), l'acteur ne répondait plus. L'expérience a montré qu'une grande majorité des personnes passées par l'expérience, malgré leurs doutes et leur nervosité, allait jusqu'au bout de l'expérience. Tous les participants ont en tous cas infligés des chocs dangereux. Une fois l'expérience terminée, le participant était rassuré sur la nature de l'expérience, censée montrer les effets de l'autorité sur les actes de quelqu'un. Plus la légitimité de l'autorité est forte, et plus l'obéissance est forte, qu'elle qu'en soit les conséquences (ici, la mort d'un homme innocent). Plus celle-ci est proche physiquement, plus l'obéissance est grande. Si plusieurs personnes font l'expérience en même temps, le comportement de groupe fait augmenter le taux d'obéissance. Si l'expérience consiste à donner l'ordre à quelqu'un d'autre sans infliger soi-même les chocs, le taux augmente, si l'on doit toucher physiquement l'acteur pour permettre à l'expérience de continuer, le taux diminue spectaculairement.

A la fin du film relatant l'expérience, Stanley Milgram conclue que si un seul professeur peut faire tuer quelqu'un par une personne normale juste en faisant jouer sa légitimité de savant, un gouvernement peut faire faire à peu près n'importe quoi à une majorité de citoyens, surtout en cas de comportement moutonnier. L'expérience cherchait à savoir comment la Shoah avait pu être exécutée, et à ce niveau là la démonstration est convaincante. En tous cas il est effrayant de penser à l'éventail de manipulations possibles que laissent entrevoir ces résultats. On peut toutefois se dire que l'effet peut être relativisé : un gouvernement n'arrive pas à faire tout ce qu'il souhaite sans aucune résistance. Les manifestations fréquentes qu'il y a en France pour des sujets bien plus légers (lors des conflits avec tel ou tel ministre) montre que le gouvernement n'est forcément tout puissant. Et ceux qui n'obéissent pas jusqu'au bout peuvent suffire à faire capoter tel ou tel plan machiavélique.

Toujours est-il que si Stanley Milgram fut critiqué à l'époque pour l'aspect iconoclaste (voir à la limite de l'éthique, vu le traitement fait à ses cobayes) de ses recherches, elles n'en restent pas moins extrêmement intéressantes pour comprendre la psychologie humaine. Peut-être est-ce là une façon de vivre avec l'effroi provoqué par la portée de ces résultats ? A ce niveau là, il peut y avoir encore de nombreuses découvertes à faire sur nos façons de pensée, et elles ne seront peut être pas toutes agréables à entendre, surtout si l'on considère toujours être des gens reposants sur une raison infaillible.

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