Quelqu'un a laissé traîner des morceaux de béton dans la cour du Palais Royal, à Paris. Etant donné qu'ils sont visiblement incrustés dans le sol, pour que le lieu devienne un peu plus présentable il faudrait faire des travaux pour les remplacer, voire les détruire. Car cela fait tout de même une vingtaine d'années que cette situation déplorable perdure. Quelqu'un s'est récemment exprimé pour réclamer cette destruction, et c'est justement celui qui a mis ces morceaux de béton là où ils sont. En théorie, c'est d'ailleurs censé être une oeuvre d'art : la plantation de colonnes rayées dans un grillage sous lequel s'écoule de l'eau a été le plus beau coup de la carrière de Daniel Buren, il fut d'ailleurs fort bien rémunéré lorsqu'il le réalisa en 1986. Evidemment, l'escroquerie fit couler de l'encre, mais un artiste peut se rassurer à bon compte en se disant que c'est là le lot de tous les innovateurs. Mais vingt ans plus tard, l'installation vieillit mal et n'a jamais convaincu en dehors de ceux qui croient que tout est de l'Art, les mêmes qui se réjouissent de l'aspect extérieur du Musée Pompidou.

Daniel Buren, au nom du droit moral du créateur, réclame la destruction des "Deux plateaux", le nom de l'installation. Il a bien raison. Mettre du gazon à la place suffirait à réhausser un lieu initialement majestueux. Plutôt que la démolition, on pourrait aussi bien essayer de revendre aux enchères les colonnes en questions aux rares personnes qui les apprécient. Au moins, elles rembourseraient une petite partie du prix qu'elles ont coûté. Malheureusement, il semble que l'Etat ait oublié l'état désastreux de ses finances, outre les critères purement esthétiques, puisque le ministère de la culture a annoncé avoir un plan de réhabilitation de l'"oeuvre" qui coûterait pas moins de 3,2 millions d'euros. Au moins cela apporte un précieux enseignement sur le fait que ce ministère est bien loin d'être sous-financé pour se permettre de telles dépenses inconsidérées. Et donc que son budget peut représenter une source d'économie à l'avenir.

Car il ne faudrait pas confondre audace et arnaque. Ce n'est pas parce qu'un créateur fait dans l'art contemporain qu'il doit oublier de respecter le public, et croire que laideur est forcément synonyme d'originalité géniale. Certes, des oeuvres peuvent casser des codes, des habitudes pour rajouter quelque chose, sublimer ce qui existe déjà. Mais le résultat se juge au temps, et alors que les pyramides de verre dans la cour du Louvre sont désormais acceptées (outre la valeur de leurs éclairages et de leur sobriété, elles ont une véritable utilité dans l'architecture des lieux), les colonnes Buren restent après deux décennies toujours aussi conspuées. Il faudrait en tirer les conséquences. Et se demander si le rôle de l'Etat est vraiment de soutenir la création en achetant n'importe quoi sur le compte des finances publiques.