Le 22 décembre dernier, Ségolène Royal a rencontré Mizuho Fukushima, présidente du Parti Social Démocrate japonais, lors d'une visite de cette dernière à Paris. Selon la presse japonaise, qui fût la seule à rendre compte de cette rencontre, le contenu de l'échange était assez curieux. L'Asahi Shinbun, le quotidien japonais le plus important, raconte en effet que Ségolène Royal interrogea Mizuho Fukushima sur la condition des femmes au Japon, que la candidate socialiste considère de toutes façons mauvaise, avant de livrer son diagnostic d'autorité : cette mauvaise condition féminine pourrait venir de l'impact des mangas, les bandes dessinées japonaises. Cette analyse pour le moins surprenante et péremptoire a été reçue avec circonspection au Japon. D'une manière générale, la diplomatie japonaise s'inquiète déjà d'une dégradation des relations avec la France si Ségolène Royal venait à être élue, d'après l'Asahi Shinbun.

L'inexpérience de Ségolène Royal au niveau des relations internationales est connue, mais le manque de retenue dont elle fait preuve n'en reste pas moins étonnant. Ce récit nous montre qu'elle juge les autres pays à l'aune de ses propres préjugés, sans se pencher sur les différences culturelles et leurs origines. Et cela ne peut être que préjudiciable pour quelqu'un qui doit représenter la France au plus haut niveau à l'étranger. Et en l'occurrence, si l'on peut bien parler de préjugés déconnectés de la réalité, c'est qu'il ne s'agit pas là de son premier jugement de valeur sur le Japon, vu comme un pays totalement dévasté d'un point de vue culturel par ses bandes dessinées et ses programmes télévisés. Il arrive ainsi en bonne place des exemples négatifs dans le livre qu'elle a écrit en 1989 sur ce qu'elle considère les mauvais programmes télévisés, Le Ras-le-Bol des Bébés Zappeurs.. Elle y décrivait des dessins animés japonais "violents", "nuls", "laids", et surtout coupables de dévoyer la jeunesse française après avoir déjà mise à mal celle nipponne. Car le Japon y est décrit comme le pays des crimes horribles, alors que la criminalité japonaise est l'une des plus faible au monde. Même lorsqu'elle accuse les bandes dessinées japonaises de machisme, elle semble complètement ignorer qu'une partie importante de celles-ci sont destinées aux adolescentes, et montrent des modèles féminins tout faits positifs. Dans son livre, il n'y avait pas que les séries animées japonaises qui étaient clouées au pilori, il y avait également les séries et les téléfilms américains. Et elle voyait tout cela avec l'idée que la télévision était forcément manipulatrice, et néfaste pour les enfants, ce qui en soit est déjà discutable. Pour s'en débarrasser, Ségolène Royal prônait les quotas et la censure. Si l'amendement qu'elle avait déposé à l'Assemblée Nationale a été fort heureusement rejeté, son combat contre l'animation japonaise a permis la propagation de ses propres préjugés au sein de la population française quant à cette partie de la culture japonaise.

Qu'elle n'aime pas les programmes télévisés ou les publications japonaises, libre à elle. Qu'elle souhaite en priver les autres devient franchement douteux. Mais qu'elle juge encore aujourd'hui les sociétés étrangères avec comme seul critère ses préjugés qui sont avant tout la preuve d'une ignorance montre le malaise que l'on peut avoir à l'idée qu'elle puisse être à la tête des relations internationales de la France. Ses récents voyages à l'étranger, censés forger sa stature internationale, ont en fin de compte amplifié l'inquiétude que l'on pouvait avoir sur ce sujet. Car si l'on peut avoir une idée variable du périmètre des domaines dont s'occupe un Président de la République, les relations internationales figurent invariablement au premier rang.

Photo : Asahi Shinbun