Les maires sont nombreux, mais pourtant très recherchés. Actuellement, chaque candidat potentiel à l'élection présidentielle recherche les 500 signatures d'élues nécessaires à valider une candidature officielle. Et si les favoris n'ont aucune difficulté à trouver ces signatures en s'appuyant sur les maires adhérents de leur parti, les autres connaissent davantage de problèmes pour y arriver. Ce sont les candidats issus de partis extrémistes, des partis mono-thématiques ou bien les illustres inconnus qui peinent actuellement à gagner leur ticket d'entrée à l'élection. Car les circonstances ne sont pas favorables pour eux : après le choc du 21 avril 2002, la tendance est clairement au vote utile. Et maintenant que le risque qu'un parti extrémiste arrive au second tour est avéré, les grands partis politiques passent clairement des consignes auprès de leurs élus pour ne pas apporter leur soutien à des personnalités extérieures. Les petits candidats (ou outsiders, si l'on trouve l'adjectif "petit" dépréciatif) se plaignent donc de l'obstacle qu'est devenue cette procédure, limitant de fait la représentativité et la démocratie, et se montrent comme étant bâillonnés. Si celui qui vitupère le plus sur ce point est Jean-Marie Le Pen, ce n'est pas celui qui a le moins de chance d'être présent au premier tour. En effet, en 2002, il s'était trouvé assez d'élus pour appuyer les candidatures de deux personnalités d'extrême droite. En revanche, le risque est réel pour les autres.

Au premier lieu, il y a la question des illustres inconnus. On en trouve un à chaque élection présidentielle qui arrive à être présent au premier tour contre toute attente, mais qui ne dépasse pas le 1 % de vote. Cette règle des 500 signatures est là déjà pour éliminer les candidatures fantaisistes, pour ne garder que des choix de sociétés clairement différents (et dans la mesure possible, crédibles ou cohérents). Déjà en 2002, avec 16 candidats qui s'étaient hissés au premier tour, il y avait un vrai problème de clarté, et entre certains candidats il n'y avait que des micro-différences. A quand l'équivalent de l'élection gouvernatoriale californienne de 2003, où plus d'une centaine de candidats (dont une bonne part farfelue) avaient réuni les maigres conditions d'entrée dans la course ?

La question se pose autrement pour les partis mono-thématiques. Leur existence peut se justifier lorsque les autres partis politiques ne prennent pas en charge une certaine question. L'idéal, c'est qu'au bout d'un moment la thématique en question soit réappropriée par chaque mouvement généraliste. Si c'est le cas, leur utilité est moindre. Mais en tous cas, on peut se demander quel est le rôle que doit jouer un parti comme Chasse, Pêche, Nature et Traditions, et cela pour n'importe quelle élection. Car il s'agit davantage d'un lobby, et un tel mouvement en agitant comme seul étendard la défense de la chasse, n'agit manifestement pas en faveur du seul intérêt général.

Au fur et à mesure que la restriction s'opère, on peut se demander jusqu'à quel point il doit y avoir une diversité de candidatures. Au plus poussé se pose la question du bipartisme. Aux Etats-Unis, il y a certes plus de deux partis, mais le système est décrit comme bipartiste car ce sont toujours soit les démocrates ou les républicains qui dominent les organisations politiques. Comme le constitutionnaliste Maurice Duverger l'a montré, c'est la conséquence du scrutin majoritaire à tour unique : celui qui a la majorité des voix après un tour est élu, sans avoir nécessairement 50 % des voix. Cela pousse très rapidement les différents camps à limiter les divisions pour que le candidat qui soit élu soit au moins un minimum proche des positions que l'on défend. Ainsi, si en France on disait traditionnellement qu'au premier tour on choisit et au second on élimine, aux Etats-Unis le choix se fait lors des primaires, et l'élimination dans l'élection générale. Pour une élection présidentielle américaine, il peut y avoir une dizaine de candidats à l'investiture de l'un des deux grands partis. Les autres partis sont vus comme une nuisance par les grands. En l'an 2000, la candidature verte de Ralph Nader a été ainsi accusée d'avoir privé Al Gore des quelques voix qui lui aurait assuré l'élection face à George Bush. La procédure peut aussi être contournée : aux dernières élections sénatoriales américaines, le sénateur Joe Lieberman n'a pas reçu l'investiture démocrate de la part du Connecticut. Les citoyens démocrates de cet Etat lui avaient préféré Ned Lamont, plus à gauche. Mais le sortant décida de rester dans la course, en se présentant en tant qu'indépendant. Il fut en fin de compte réélu grâce au vote d'une minorité des démocrates et d'une majorité des républicains (le candidat républicain ayant été réduit à faire de la figuration). Quoi qu'il en soit, le système bipartiste a une logique propre, où les primaires permettent de faire le tri.

Son application est-elle souhaitable en France ? Il est douteux que cela soit possible. La Vème République, qui a fait ses preuves, veut une rencontre entre un homme et un peuple depuis la révision constitutionnelle de 1962. Mais le Général de Gaulle ne voulait certainement pas non plus que l'élection présidentielle devienne une foire au n'importe quoi avec pléthore de candidatures. L'idéal serait donc d'avoir un nombre réduit de candidats, représentatifs de grandes tendances d'opinion. Pour éviter les divisions, il faudrait qu'il n'y ait qu'un candidat pour chacune de ces grandes tendances. Pour les sélectionner, il faut bien trouver un moyen. Primaires à l'italienne, ouverte à tous les citoyens ? Pourquoi pas. Ces primaires peuvent déjà se dérouler dans le cadre des partis politiques. Mais si le Général de Gaulle les détestaient, les voyant déconnectés de la population et concentrés à se préoccuper uniquement de leurs caciques, il s'est fortement appuyé sur son propre "rassemblement" dans ses combats. Pour qu'il puisse y avoir primaire au sein d'un parti, il faut donc que celui-ci soit fortement ouvert à la population, et qu'en même temps chaque citoyen se convainque qu'il s'agit là d'un moyen de participer à la démocratie et à la vie citoyenne. Car avec un nombre réduit de candidats forts, le débat démocratique y gagnera en puissance.