Comment faire pour qu'une équipe réussisse dans son travail ? Le professeur Yves Enrègle, psychanalyste, repreneur d'entreprise, et enseignant en management, a développé un exemple étonnant d'équipe qui fonctionne : le village gaulois d'Astérix et Obélix. Il y trouve l'inspiration pour 5 archétypes de personnalités, toutes nécessaires pour que le travail en équipe soit un succès, alors qu'il est parfois bien difficile de se supporter les uns les autres. Dans ses cours ou dans son livre (Du conflit à la motivation), ce professeur enseigne qu'une entreprise (mais l'exemple peut s'appliquer à bien d'autres situations où il faut qu'il y ait des relations humaines de collaboration) repose d'abord sur le duo Astérix et Obélix. Obélix ne se pose pas beaucoup de questions, mais il entend bien accomplir sa tâche du mieux possible, et donnera tout pour faire ce qui lui est demandé. C'est le producteur, il se distingue par sa force, traduite en capacité de travail, et son côté "rentre dedans". Il suit le plus souvent les directions données par Astérix, le stratège. Au niveau de la capacité de réalisation, celui-ci est bien inférieur que son volumineux ami, mais ses idées, sa réflexion oriente Obélix dans ce qu'il faut faire.

Bien sûr, il y a régulièrement des frictions entre les deux : Obélix peut à raison se sentir mal considéré par Astérix, surtout si celui-ci change souvent de directions au gré des idées fulgurantes qui lui traverse l'esprit à un rythme soutenu. Le stratège, qui raisonne de façon abstraite, en avance, dans des idéaux, se confronte parfois au côté terre à terre du producteur, qui saura lui rappeler certaines exigences en matière de possible. Surtout si le producteur ne reconnaît qu'une légitimité limitée au stratège... Les deux évoluent ensemble, mais il ne peut y avoir un lien d'autorité entre eux, sous peine de voir l'attelage se disloquer. C'est dans ces moments qu'il est nécessaire de faire intervenir l'organisateur qui disposera lui de l'autorité. Arrive ainsi Abraracourcix, qui devra trouver des compromis rationnels entre les bonnes idées d'Astérix et les exigences d'Obélix. Il n'a pas beaucoup d'idées, n'est pas non plus au coeur de la bataille, mais par contre il a ce côté technocratique rationnel qui doit permettre de faire la part des choses, et l'autorité dont il dispose lui permet de trancher au mieux pour qu'Astérix et Obélix redeviennent bons amis (et puisse accomplir de fait les missions qu'on leur confie).

Malheureusement, ce n'est pas suffisant pour que les tensions soient toutes réglées. En effet, la raison est parfois bien faible pour déminer certains conflits, et l'organisateur peut ne pas être suffisant pour régler un problème. Sa légitimité peut également être remise en cause par ses villageois, et son autorité contestée au vu de sa faible implication dans la bagarre. La raison ne suffit pas toujours, et Abraracourcix lui aussi tombe souvent du bouclier où son titre l'a érigé. Dans ces moments, l'intervention du mobilisateur positif est nécessaire. Celui-ci voit son autorité reposer davantage sur son charisme incroyable plutôt que sur la rationalité. En fait, il est même au-dessus de ce critère : il semble surnaturel dans la mesure où les autres ont foi en lui et dans les miracles qu'il réalise. C'est bien là la description de Panoramix, le druide, aux fantastiques secrets, vu comme un être de sagesse et de magie qui sera vénéré par tout à chacun. Son intervention dans le débat apaise souvent les difficultés, et chaque personne respectant religieusement l'avis du druide retourne alors sur le droit chemin que celui-ci montre.

Pourtant, Panoramix n'est qu'un homme. Sa magie repose en partie sur l'illusion, et s'il est trop souvent sollicité il encourt le risque de ne plus être vu avec autant de ferveur, surtout s'il apparaît englué comme les autres dans les basses querelles, y apportant si souvent la bonne parole qu'il semble être familier de ces scènes. Pour qu'il reste efficace, il faut qu'il demeure l'ultime recours, sous peine de voir ses décisions de plus en plus remises en cause, d'apparaître en fin de compte bien ordinaire. La force de ses interventions repose sur leur rareté, et c'est bien lorsqu'il est parti à la forêt des Carnutes que tout le monde se dit que le druide, lui, aurait la solution, et fait qu'on le croit dès son retour. Pour qu'il garde son rôle à jouer, le mobilisateur positif doit parfois se tenir en retrait et garder son aura charismatique supérieure. Il sera alors temps d'amener le mobilisateur négatif dans le débat, qui peut tout simplement être vu comme un bouc émissaire. Celui-ci fera l'unanimité... contre lui. S'il est bien un domaine où chaque villageois est d'accord, c'est qu'Assurancetourix leur casse les oreilles. Dis comme cela, il apparaît comme une nuisance, mais il est au contraire indispensable, car c'est contre lui que l'unité se reformera, et chacun sera alors rassemblé pour un combat d'une toute autre importance, la résistance face aux Romains. Le barde doit donc être scrupuleusement gardé au sein de l'équipe malgré les désagréments qu'il apporte, car il rend possible la cohésion de celle-ci.

Astérix, Obélix, Abraracourcix, Panoramix et Assurancetourix ont donc chacun un rôle à jouer, et c'est leur travail en équipe qui a permis au village gaulois de garder son indépendance. Ainsi, une équipe forte et soudée devra avoir en son sein un producteur, un stratège, un organisateur, un mobilisateur positif et un mobilisateur négatif pour pouvoir faire face à toutes les situations. L'exemple est amusant et bien plus intéressant lorsque l'on pense à tous les schémas où cette structure se révèle pertinente, pour analyser un succès ou un échec.