C'est à peu près le but de tous les ministres de la culture qui se sont succédés : démocratiser la culture, pour que se résorbe une partie du déficit en capital culturel qu'a une grande partie de la population vis-à-vis de la population. Actuellement, la principale mesure à l'étude pour y arriver serait d'instituer la gratuité des musées. Une telle mesure serait évidemment coûteuse, et de surcroît elle ne serait peut-être pas justifiée. En effet, pour les plus grands musées français, les rentrées financières représentées par la vente de billet permettent non seulement l'entretien de ces musées, mais aussi le financement d'autres musées ou monuments non rentables à eux seuls. De plus, ces lieux attirent de nombreux touristes étrangers, qui représentent avant tout une source d'argent pour la France, plutôt qu'un public à qui il faudrait faciliter l'accès à la culture. Surtout, les musées ont d'ores et déjà une grande panoplie de réductions en tous genres pour rendre peu coûteux la visite au public. De nombreux musées, comme le Louvre ou le musée d'Orsay, sont déjà totalement gratuits le premier dimanche du mois, et le Château de Versailles, qui est également un lieu de culture, est gratuit pour tous les mineurs. Christine Albanel, l'actuelle ministre de la culture, doit bien le savoir, puisqu'elle était présidente de l'établissement public du musée et du domaine national de Versailles avant d'entrer dans le gouvernement. Forte de cette expérience, elle a choisi une voie sage en ne faisant qu'expérimenter cette gratuité pendant un semestre dans des musées de petite taille, qui attirent avant tout un public local.

Dans le cadre d'une politique culturelle, il faut bien distinguer les natures des réticences du public vis-à-vis de la culture. Il y a deux situations qui empêchent l'accès à la culture : d'une part elle est considérée comme trop cher, d'autre part, il y a souvent un grand manque d'envie de se cultiver, dans le sens de la culture telle que l'entend l'élite qui déplore le manque de culture du reste de la population. Dans le domaine de la culture, les élitistes aimeraient bien que leur passion soit partagée par tous. Ils imaginent que le faible accès à la culture résulte soit d'un manque de l'offre, soit d'un manque de moyens. C'est parfois vrai, mais cela a des limites. Tout le monde ne souhaite pas forcément regarder des opéras, des pièces de théâtre d'art expérimentales ou contempler des œuvres d'art moderne. De la même manière, les musées devenus gratuits, ne représenteront pas forcément une destination privilégiée de loisirs pour la population. Nombreux sont ceux qui déplorent le niveau des programmes de télévision, mais ils oublient souvent que depuis une quinzaine d'années maintenant, Arte propose chaque soir des programmes culturels ou d'un niveau élevé. Seulement, son audience tourne la plupart du temps autour des 5 % de parts de marché. Et sur les autres chaînes du service public, passer de la musique classique, des classiques du théâtre ou de l'opéra se traduit presque invariablement par une désaffection du public. L'intérêt pour les documentaires est variable, selon la façon dont ils sont réalisés. Si la diffusion de tels programmes est nécessaire pour laisser une liberté de choix, son manque de succès montre néanmoins la limite du fait de vouloir "cultiver" de force la population en ne lui laissant pas le choix de ses distractions.

C'est quelque chose dont il faudrait tenir compte lorsque l'on parle de politique culturelle. Si la diversité de la création culturelle est souhaitable, cela ne suffit pas à justifier certaines subventions publiques vers des œuvres qui ne trouvent grâce qu'auprès d'une infime minorité du public. Il est par exemple étonnant que les pouvoirs publics achètent des monochromes pour les compter ensuite au patrimoine national, ou subventionnent certaines pièces de théâtre sans tenir compte de leur affluence. Dans ces temps de réduction de la dépense publique, le mieux est encore de concentrer le budget de la culture vers l'accès au patrimoine commun qui s'est formé au fil des siècles, plutôt que de faire vivre artificiellement une création qui n'intéresse parfois que les créateurs. A ce titre, le rôle des bibliothèques est tout à fait fondamental, pour que ceux qui souhaitent accéder à la connaissance n'en soit pas empêchés. Il est également possible, dans le but justement de démocratiser la culture, d'adopter des mesures peu coûteuses qui bénéficieraient au public, comme la fin du prix unique du livre. Aujourd'hui, les livres qui ne sortent pas en livres de poches ont des prix peu attrayants pour une majorité du public. Peut-être la concurrence entre les différents distributeurs pourrait contribuer à diminuer le prix des livres, et donc que les volumes écoulés soient plus élevés ?

Photo : Didier Plowy/MCC