Antoine Zacharias était le PDG de l'entreprise de BTP Vinci. Il avait une grande réputation dans sa tâche, et avec l'âge, il avait prévu de préparer sa succession. En début d'année, il a donc nommé Xavier Huillard au poste de directeur général de l'entreprise, afin qu'il puisse rester président du conseil d'administration sans responsabilités exécutives directes. Mais après la prise de contrôle des Autoroutes du Sud de la France, il a voulu s'octroyer une prime de huit millions d'euros, alors que son salaire, sa prime de départ, ses avantages en nature et sa pension de retraite étaient déjà incroyablement élevés. En tant que gestionnaire de l'entreprise, Xavier Huillard l'a refusé et a dénoncé cette prétention. Qu'à cela ne tienne, Antoine Zacharias supporte mal la contradiction et désire alors changer de successeur pendant qu'il a encore le contrôle de l'entreprise. Il souhaite nommer Alain Dinin, qui est à la tête de Nexity, quitte à ce que Vinci rachète 6 % de cette entreprise sans vraiment en avoir l'intérêt.

Tel est le cas Zacharias, où un grand patron fait prendre des décisions stratégiques à son entreprise dans son seul intérêt personnel. Ce genre de situations est déjà arrivé de nombreuses fois auparavant, et à chaque fois au prix de scandales mérités. Mais cette fois ci, le conseil d'administration a su prendre ses responsabilités : sous l'impulsion de la résistance de Xavier Huillard, une majorité a réussi à se créer contre le rachat des actions Nexity, et ce malgré la présence d'amis ou de clients d'Antoine Zacharias, tel que Alain Minc, un habitué de ce genre d'opérations. Désavoué, Antoine Zacharias a aussitôt démissionné. Voilà en tous cas un exemple où la gouvernance d'entreprise (qui définit la façon dont l'entreprise est gérée) a permis l'adoption de décisions saines. En effet, une grande critique des directions est que le conseil d'administration, émanation des actionnaires de l'entreprise, est perçu comme une chambre d'enregistrement de leurs décisions. Les membres du conseil manquent souvent d'éléments pour faire leur travail de contrôle, et/ou sont souvent dépendants d'une manière ou d'une autre du PDG, en en étant client, subordonné, membre de sa famille, ou en l'ayant à son propre conseil d'administration.

L'économiste John Kenneth Galbraith (décédé très récemment) avait depuis longtemps mis en évidence le fait que les décisions se prenaient davantage au sein du management de l'entreprise (la technostructure) plutôt que du côté des propriétaires de capitaux. En conséquence, le contrôle de ces décisions est grandement lacunaire. Dans les systèmes politiques, la séparation des pouvoirs est prônée pour éviter tant les erreurs que les abus, grâce à des contrôles réciproques et des intérêts délimités. L'idée peut aussi jouer dans l'entreprise : le management doit pouvoir être contrôlé. Et après de nombreux scandales s'étant pour certains terminés en faillites monumentales (affaires Enron, WorldCom), la volonté d'assainir les processus de gouvernance d'entreprise a vu le jour, avec en particulier une mesure singulière : l'entrée d'administrateurs indépendants dans les conseils d'administration, détachés des liens et pressions du management et des actionnaires, veillant uniquement à la bonne gestion de l'entreprise. De nombreuses autres pistes sont explorées, et ont été prônées, notamment dans le cadre du rapport Bouton (PDG de la Société Générale).

Dès lors, il devient très encourageant de s'apercevoir que dans le cas précis de Vinci, le conseil d'administration a réussi à garder la tête froide en s'opposant aux décisions d'Antoine Zacharias, qui abusait de l'argent de l'entreprise par cupidité. C'est un fait remarquable, et il est à espérer que le capitalisme français progresse dans cette direction.