Voilà des années que la société anticipe le moment où la génération née du baby boom, ces années où le taux de natalité a explosé après la deuxième guerre mondiale, quittera le premier plan, devenant inactive en se mettant à la retraite, formant ainsi un papy boom d'ampleur équivalente. Le grand nombre d'enfants nés dans un nombre restreint d'années a renforcé l'impression d'une génération unifiée. Plus de soixante ans après le début du baby boom, cette génération a montré être une force de changements profonds au cours de ses différents âges. Dans les années 50, alors que la reconstruction puis la modernisation de la France était encore en cours, la présence massive d'enfants était comme un symbole d'un nouveau départ. Leurs parents étaient ceux qui avaient été en quelque sorte sacrifiés par la guerre, et qui ont du rebâtir des bases solides pour garantir la paix et la prospérité. Mais dès les années 60, les baby boomers, arrivés à l'adolescence, ont commencé à remettre en cause la société dans laquelle ils vivaient, et ont ainsi attaqué ces mêmes bases qui venaient d'être remises en place et qui avaient justement permis le retour de l'opulence. Les manifestations de mai 68 ont été le symbole de cette colère issue de la jeunesse contre le monde qui l'avait vu naître, et qui ne l'avait jusque là pas mal desservi.

Ce fut un mouvement que l'on retrouva dans la plupart des pays développés. Pourtant, les années 50 et 60 n'avaient pas vraiment été celles de l'oppression. Que ce soit aux Etats-Unis ou en Europe occidentale, les gouvernements ou administrations qui se sont succédés ont été résolument centristes économiquement et même socialement parlant. Les généraux Eisenhower et de Gaulle sont devenus les Présidents de leurs pays respectifs et les ont dirigés avec respect pour l'opposition, et surtout un grand pragmatisme dans la conduite quotidienne des affaires. C'est contre ces périodes de prospérité que la partie la plus mobilisée de la génération du baby boom que s'est élevée, parfois avec virulence.

Les années 70 ont ainsi été très chargées idéologiquement. Certains baby boomers ont été influencés par la culture hippie, mais ils furent en fin de compte en nombre limités. D'autre se sont concentrés sur les théories marxistes, condamnant toute forme de capitalisme de façon définitive, et se disputant sur les mérites comparés du stalinisme, du maoïsme et du trotskisme. Aussi puissants qu'ont été chacun de ces mouvements, avec le recul, on peut se rendre compte qu'ils n'ont rien apporté de positif à la société. La totalité des baby boomers a été dans la vie active et citoyenne dans les années 80, et à partir de ce moment, ils devinrent la principale force de la société. Dans les pays anglo-saxons, ces personnes encore jeunes ont fini par se tourner vers le libéralisme économique, qui fut interprété comme une forme de chacun pour soi. En France, le premier souci a été de se protéger face aux menaces économiques, ce qui s'est traduit par un renforcement des réglementations de toute sorte, diminuant d'autant les chances des exclus de rentrer dans la société.

Les dirigeants politiques issus de cette génération sont arrivés au pouvoir à partir des années 90 : l'élection d'un Bill Clinton quadragénaire donna une forte impression de changement, de même que celle de Tony Blair au Royaume Uni. En France, il a fallu attendre 2007 pour qu'un Président de la République soit né après guerre. De toute évidence, la génération du baby boom restera encore bien des années aux commandes des plus hauts postes. Mais quel bilan jusqu'à présent ?

Un grand tort des 30 dernières années a incontestablement été le fait que les camps politiques se sont éloignés les uns des autres, rendant plus difficile une conduite efficace des politiques publiques. La révolution conservatrice américaine s'est révélée être pleine de mépris envers les démocrates, et l'extrême gauche, toujours très active en France, ne cesse de parler en absolus qui disqualifient tout ce qui est autre. Cette division reste profonde et même fondamentale pour comprendre les sociétés actuelles. Du côté de la défense de l'environnement, cette période a été marquée par une vraie prise de conscience, mais par un refus tout aussi manifeste de tirer les conséquences de la menace pesant sur le monde. Et du point de vue des politiques économiques publiques, des pays comme la France, les Etats-Unis ou l'Italie ont laissé filé leurs déficits pendant des décennies entières, créant une dette qui handicape dès maintenant ceux qui ne font que commencer dans la vie active, et qui devront payer la facture des inconséquences de leurs parents.

Ce ne sont donc pas les baby boomers des pays occidentaux qui ont réussi à changer le monde d'une manière positive, mais plutôt ceux des pays sous domination soviétique : en faisant s'écrouler le bloc soviétique, la population des pays de l'Europe de l'est ont réussi non seulement à se créer de meilleures perspectives d'avenir, mais aussi à mettre fin à une menace grave et omniprésente de guerre mondiale qui était l'héritage direct de la seconde guerre mondiale. Et c'est là l'une des réalisations les plus remarquables des dernières décennies.