Surprise en passant devant des écoles primaires de certains quartiers. A côté de l'entrée, sous verre, avec les papiers sur les menus de la cantine et l'élection des parents d'élèves, on trouve un texte en arabe. Heureusement, on en trouve une traduction un peu en dessous. Il explique aux parents les modalités pour inscrire ou réinscrire leurs enfants à l'Enseignement de Langue et Culture d'Origine (ELCO). En se renseignant sur Internet, on découvre ce que recouvre ce sigle discret. Il s'agit de donner des cours de langue et de culture étrangère aux enfants d'origine immigrée dans les locaux de l'école primaire publique. Ces cours sont assurés par des professeurs étrangers, rémunérés par les pays d'origine, avec un contrôle quasi nul de la part de l'Éducation Nationale, faute d'inspecteurs compétents en la matière. Lorsque les ELCO ont été mis en place dans les années 70, c'était à l'époque de l'immigration massive voulue par l'Etat. Celui-ci croyait que les immigrés repartiraient à terme dans leurs pays d'origine, et les ELCO avaient pour but de maintenir leurs enfants dans leur culture d'origine pour que ce retour se passe facilement. Des telles conventions avaient ainsi été signées avec plusieurs pays dont provenait l'immigration, leur donnant ainsi une délégation d'éducation.

Mais cela ne s'est pas passé ainsi. Dans leur très grande majorité, les immigrés ont choisi de rester en France. Pourtant, les ELCO n'ont pas cessé. Et bien loin d'aider les enfants à retourner dans le pays d'origine de leurs parents, ils contribuent surtout au développement de ces cultures en France. Leur logique est devenue totalement communautariste. Comme le montre le fait que l'on s'adresse aux parents avec leur langue d'origine, ils participent à la coexistence de plusieurs sociétés au sein d'un même pays, ne partageant pas la même langue et la même culture. Plutôt que de favoriser l'assimilation des enfants au sein de la communauté nationale, on les rejette indéfiniment dans d'autre cultures, les marginalisant de fait. Et c'est une politique opérée par l'Éducation Nationale, dans les école publiques et laïques.

La République sous-traite consciemment une partie de la formation de ses futurs citoyens à des pays étrangers. Voilà le genre de folies dont on peut difficilement s'étonner ensuite de payer les conséquences. Et de fait, les alertes ont été données de nombreuses fois, c'est même un thème récurrent des rapports sur l'intégration. En décembre 2003, le rapport de la commission Stasi sur la laïcité constatait par exemple que "sur fond de droit à la différence, on a glissé vers le devoir d'appartenance" et que "cet enseignement relève d'une logique communautariste". Il notait que ce dispositif allait "souvent à l'encontre de l'intégration des jeunes issus de l'immigration", ainsi que de la promotion de la langue française. La commission Stasi recommandait la suppression progressive des ELCO.

Encore à l'heure actuelle, dans un rapport que le Haut Conseil à l'Intégration s'apprête à remettre ce mois-ci au gouvernement, la question des ELCO est longuement abordée. Celui-ci note que les effectifs des élèves ne cessent de croître, notamment ceux d'origine algérienne ou turque. Il raconte également que, de façon quasi-unanime, les acteurs et partenaires de l'école "s’interrogent sur la pertinence du maintien d’un tel dispositif et considèrent, à juste titre, que les changements d’objectifs assignés à ces enseignements, l’usage qui peut en être fait par des familles ou des enseignants, les défauts de pilotage ont des conséquences négatives sur l’intégration des élèves qui en bénéficient." Le rapport poursuit en mettant en avant le risque "d’assister à un éloignement des valeurs républicaines alors que la mission de l’école est de les porter auprès des élèves pour qu’ils se les approprient. Susceptibles de renforcer les références communautaires, les ELCO peuvent conduire au communautarisme alors que la République qui doit être enseignée ne peut pas être un conglomérat de groupes. Certains interlocuteurs craignent même que certains ELCO deviennent des « catéchismes islamiques »."

A l'instar de la commission Stasi, le Haut Conseil à l'intégration préfère que l'enseignement de l'arabe soit assurée par des cours de langue vivante ordinaires, par des professeurs de l'Éducation Nationale. Pour les ELCO, sa conclusion est la suivante : "Depuis son premier rapport de 1991, le HCI a toujours préconisé la suppression des ELCO tant ils lui paraissent contraires à l’objectif d’intégration. Il renouvelle ici cette recommandation qu’il considère comme l’expression d’une volonté forte d’intégrer les populations immigrées à la société française".

Cela fait donc deux décennies que la suppression des ELCO est demandée pour favoriser l'intégration, mais cette promotion du communautarisme est toujours autant institutionnalisée. Si l'Éducation Nationale est consciente du problème, il semble que les diplomates soient réticents à leur suppression pour maintenir de bonnes relations avec les pays avec lesquels ces accords ont été conclus. Mais pour quel résultat ? Il y a déjà suffisamment de forces qui gênent l'assimilation des populations d'origine étrangère pour qu'il y ait une politique publique qui agisse consciemment en faveur du communautarisme.