Cela fait combien de temps que l'on n'entend plus parler de vrais sujets ? L'actualité politique n'est plus faite que de polémique. Chacun joue à s'indigner pour tout et n'importe quoi. Nicolas Sarkozy dis que s'il y a eu des dysfonctionnements dans une affaire justice, il doit y avoir des sanctions. On s'indigne. La cour de cassation mexicaine décide de rejeter le pourvoi de Florence Cassez. On s'indigne. Christian Jacob dit que Dominique Strauss-Kahn ne représente pas la France des terroirs en ayant passé ces dernières années à Washington. On s'indigne. Michèle Alliot-Marie passe ses vacances en Tunisie. On s'indigne. Les raisons ne manquent pas, et nous sommes inondés d'un flot de polémiques interminables. Dans cette optique, l'indignation est une posture facile et valorisante. En donnant l'impression que l'on ne peut tolérer quelque chose contraire à sa vision des choses, on essaie de montrer que l'on est d'une probité exemplaire. Et ça marche dans tous les sens : celui qui s'indigne aujourd'hui sera celui qui provoquera l'indignation le lendemain. Il suffit d'être deux pour s'indigner éternellement du comportement de l'autre dans une joute oratoire particulièrement vaine.

Depuis des années maintenant que l'on vit à ce rythme là, on a bien du s'indigner sur à peu près tout, et dans les termes les plus exagérés. On ne compte plus ainsi les références aux "heures les plus sombres de notre histoire", les propos qualifiés de "nauséabonds", les faux scandales, etc. Il y a deux dangers dans cette facilité à l'exagération permanente. Le premier est évidemment le fait que l'on perd de vue les vrais dossiers. Lorsqu'une vraie question est mise sur la table, elle n'est plus traitée que par quelques petites phrases au détour d'interviews. La question de la TVA sociale, abordée récemment par un député, fut évacuée très rapidement dans l'actualité française. Elle mérite pourtant que l'on s'attarde dessus, on peut être pour ou contre, mais c'est au moins une vraie idée nouvelle.

Le deuxième danger est la perte de repères que tout ce cirque entraine. C'est la sempiternelle histoire de l'enfant qui criait "au loup" pour s'amuser, et qui n'arrive plus à alerter la population lorsqu'un loup attaque vraiment. Au bout d'un moment, toutes ces indignations sonnent faux et perdent en crédibilité. On ne s'y intéresse plus, elles nous épuisent. Lorsqu'il se passera quelque chose de vraiment grave, tous les mots auront déjà été épuisés, et il ne se trouvera plus personne pour faire réagir. L'offre d'indignation, à force d'augmenter, dépasse ce qu'il nous est possible de recevoir, et forcément, ce déséquilibre fait en quelque sorte chuter le cours de l'indignation. Ce qui serait bien, ce serait que les journalistes politiques arrêtent de croire qu'une interview est réussie parce qu'un homme politique sort une petite phrase assassine en réaction d'une autre petite phrase assassine. Ce n'est pas éviter la langue de bois, c'est plomber le discours politique. Ensuite, on apprécierait si les hommes politiques eux-mêmes étaient capables de limiter leurs indignations aux vrais sujets importants. On doit pouvoir se parler calmement, c'est quand même plus efficace et intéressant.