Au Parti Socialiste, on travaille sur le projet pour 2012. Les conventions s’enchaînent, des textes sont pondus, le dernier étant celui sur "l’égalité réelle". Cette fois-ci, on peut distinguer clairement une ligne directrice, une vision claire des choses. Absolument tous les problèmes ont la même solution : plus d’Etat, davantage de réglementations, et surtout plus d’argent public !

On l’ignorait, mais dans le monde du PS, il semble bien qu’il pleut de l’argent. Et lorsqu’il sera de retour au pouvoir, le PS veut faire pleuvoir de l’argent partout, car c’est une solution de bon sens une fois que l’on a constaté que chaque problème venait de "pas assez de moyens". Et de fait, alors qu’on se posait la question de l’opportunité de l’Etat Providence, le PS répond en le renforçant et en le systématisant, montrant tout du long une idéologie déresponsabilisant l’individu.

L’Etat paiera pour financer "massivement" la construction de crèches, pour augmenter les effectifs d’enfants en maternelle, pour généraliser la "pédagogie personnalisée" tout au long de la scolarité, pour permettre la baisse radicale du nombre d’élèves par classe, pour les primes aux enseignants, pour que les premiers cycles universitaires bénéficient de conditions de formation équivalentes à celle des classes préparatoires, pour l’Aide au Départ en Vacances de 200 euros minimum, pour qu’il y ait des hôpitaux de proximité partout en France, etc.

Un long passage de ce projet est consacré à l’éducation, démontrant une philosophie qui se veut généreuse. Le Parti Socialiste ne veut plus de redoublements, considérant donc qu’il vaut mieux faire passer en classe supérieure un élève qui n’a déjà pas le niveau de sa classe actuelle. De toute façon, les notes chiffrées sont vilipendées, considérées comme facteur de "stress et de compétition". Et elles ne sont pas vraiment nécessaires, quand l’accent doit être mis sur des enseignements "plus transversaux, plus ouverts sur les activités artistiques, culturelles et sportives". Le but n’est pas de troubler les élèves en essayant de leur faire apprendre des choses importantes. Non, l’important, c’est bel et bien que 80 % d’une classe d’âge atteigne le "niveau" du bac (quoi que cela recouvre), et que 50 % soit au niveau licence. Ce qui compte, ce sont les objectifs ambitieux d'"expansion éducative", sans même se demander du bien fondé de pratiquer une telle massification par rapport aux débouchés. D’ailleurs, ce qui fonctionne bien est mal vu : la réussite des grandes écoles et des classes préparatoires fournit une concurrence "stérile" au détriment des universités, et du coup, tout devra s’en rapprocher.

En matière économique, c’est plus flou. Un passage est à citer entièrement : "La hausse des salaires est souvent présentée comme une menace pour l’emploi, qui pousserait les entreprises à la délocalisation ou rendrait inemployable les salariés aux plus faibles qualifications. Cette analyse est erronée. Comme les autres pays développés, la France souffre aujourd’hui d’une insuffisance de demande." C’est bien ce passage qui est économiquement aveugle. Oui, chaque salaire représente un coût pour l’employeur, ce que le PS ne semble même pas reconnaître. Et d’autre part, si la France souffre d’une insuffisance de demande, ce n’est pas de consommation, qui se porte pas mal, mais bien d’investissements, ce qui explique d’ailleurs le manque de compétitivité chronique de nos entreprises.

Mais le projet du PS ne considère pas l’entreprise comme un employeur, une possibilité de croissance. L’initiative privée n’a pas cours, dans sa philosophie elle est même considérée comme une déviance qu’il faut au mieux maîtriser, au pire réprimer. Et dès lors, la solution passe par des investissements publics dans les activités, via un Pôle Public d’Investissement Industriel financé massivement. Mais attention, ce ne doit pas pour autant être le prétexte de rechercher la "pseudoperformance". Dans cet ordre d’idée, les pôles de compétitivité ne doivent pas être trop focalisés sur l’innovation à vocation économique.

Par contre, en matière de politique sociale, c’est tout de suite la fête. Remarquant que les aides non demandées par les travailleurs pauvres équivalent à un milliard d’euros, la convention sur l’égalité réelle se propose de mobiliser ce milliard d’euros non dépensé (mais qui n’existe donc pas) pour financer des réponses aux problèmes des personnes en difficulté. Pour combattre le chômage, des moyens seront donnés à des organismes tels que les associations pour croître et insérer le plus grand nombre de personnes.

Un plan de cinq ans de construction de logements sociaux à très bas prix (financé par l’opération du Saint Esprit) permettra de diminuer le nombre des sans-abris des deux tiers, les exigences en matière de logements sociaux seront relevées (à 25 % des logements d’une ville), et l’on bétonnera dans la plus grande joie grâce à la politique d’"intensification de la ville". Pour aider les jeunes, il ne sera plus demandé à personne de caution personnelle pour louer un appartement, ce sera au loueur de souscrire une garantie contre les impayés de loyer. Et comme il ne faut pas que ça fasse augmenter les loyers, ceux-ci seront encadrés, et les appartements non occupés seront encore plus taxés. Grâce à tout cela, il sera parfaitement inutile (et non rentable) d’investir dans un appartement à louer, de toute façon, l’Etat ou les collectivités locales s’occupent de tout.

Et cela n’en finit pas. En matière de sécurité, le projet du PS rabâche sa vision du délinquant comme victime de la société, car "La violence de notre société est la première cause de l’insécurité." Ce n’est donc pas de sa faute. La réponse pénale doit donc se limiter à des travaux d’intérêt général, pendant qu’on résout le reste en construisant une "société plus solidaire et moins brutale".

Et alors que ces propositions s’empilent tranquillement, le thème le plus ignoré est celui des financements, évoqués seulement à mots couverts. Il y a bien sûr toutes les nouvelles taxes qui seront créées pour ceux qui ne respecteraient pas les nouvelles réglementations, mais cela veut dire que si elles sont respectées, ce ne serait pas un vrai moyen de financement. D’une manière générale, il n’est jamais question (et pour cause) de maîtrise de la dépense publique, de recherche d’économies, ou même d’une quelconque amélioration de la productivité en quelque endroit que ce soit. Il faut donc augmenter les impôts, sur les riches, le capital, le patrimoine, en espérant que les comptes soient bons (les conséquences sont balayées d’un revers de main). Le trou de la Sécurité Sociale est ainsi considéré comme un thème anxiogène vu à court terme, mais le PS rétablira les comptes quand même par "une mise à contribution raisonnable de l’ensemble des revenus de la nation". Cela ressemble fort à une augmentation de la CSG. Celle-ci est pourtant vouée à disparaître, pour être fusionnée à l’impôt sur le revenu.

Au bout du compte, il n’y a aucun chiffrage. Comme il est de tradition dans les programmes politiques optimistes, les finances publiques sont restaurées par le magique retour de la croissance permis par la politique menée. Et l’on sent que les socialistes eux-mêmes n’y croient pas, puisqu’ils se font forts d’obtenir de l’Union Européenne que les dépenses liées à l’éducation, aux infrastructures ou aux services publics ne soient pas comptabilisées pour l’appréciation du respect des critères du Pacte de stabilité, rendant donc précisément caducs ces critères. Il est ainsi bien précisé que l’orthodoxie budgétaire prévue par le Pacte de stabilité et de croissance limite les moyens de la France pour "garantir un haut niveau de protection sociale". Il faudra donc que les partenaires européens acceptent qu’on n’en tienne pas compte. Vu la situation actuelle de la France et de l’Europe, ça laisse présager une belle partie de rigolade.

Dans l’ensemble, c’est donc le grand arrosage inconsidéré d’argent public, la farandole des vœux pieux et la reprise en main par l’Etat de toute la société. On a du mal à croire que ce soit un PS post-1983 qui ponde un texte pareil. On ne sera à ce titre pas étonné que c’est le très à gauche Benoît Hamon qui en fut le principal artisan. Conscients du côté totalement irréaliste d’un tel programme, plusieurs figures du PS telles que Manuel Valls, François Hollande ou Pierre Moscovici ont tenu à garder leurs distances avec. Le texte sur l’égalité réelle ne fut lui-même adopté que par à peine 29 % des adhérents du PS. D’après Benoît Hamon, ce sera au candidat du PS pour la présidentielle d’être compatible avec de telles propositions. Pourtant, dans cet océan de mauvaises idées que représente ce programme, la plus mauvaise serait certainement de l’appliquer. Ses effets seraient dévastateurs. Mais au-delà de ça, pour une "égalité réelle", faut-il vraiment une liberté sacrifiée ?

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