Le secrétaire général de la CFDT, François Chérèque, n'est pas de bonne humeur. Il avait approuvé la réforme des retraites de 2003, lorsque François Fillon était ministre des Affaires sociales, alors que celle-ci allongeait la durée des cotisations nécessaires pour toucher une retraite à temps plein, passant de 37,5 ou 40 à 42 ans à terme. La logique était que pour ceux qui ont commencé à travailler tôt, il serait possible de partir en retraite à taux plein avant 60 ans, l'âge légal, à condition d'avoir fini de cotiser 42 années. Tant François Fillon et François Chérèque considéraient que cet accord était juste, car au bout du compte, ce serait bien 42 ans pour tout le monde. Ce n'est pas encore le cas, car en 2003, il n'y a eu que le départ du passage de 37 ans et demi à 40 ans pour les fonctionnaires. La loi prévoyait que les partenaires sociaux se retrouvent en 2008 pour faire le bilan, et surtout pour enclencher le départ du passage de 40 à 41 ans de cotisation pour tout le monde pour une retraite possible à l'âge de 60 ans ou plus, le passage aux 42 ans devant intervenir plus tard. Seulement, une obscure circulaire passée fin juillet fait que des salariés devront désormais cotiser 172 trimestres, soit 43 ans, pour partir en retraite à taux plein avant 60 ans, s'ils ont commencé à travailler jeune. En augmentant dans le dispositif "carrières longues" d'un, deux, trois ou quatre trimestres la durée obligatoire de cotisation pour ceux nés respectivement en 1949, 1950, 1951 ou 1952, le gouvernement renie ses engagements passés, met fin à l'aspect juste de la loi de 2003, et fait de François Fillon, l'actuel Premier ministre, un homme qui manque à sa parole.

Bien sûr, le dispositif "carrières longues" s'est révélé bien plus coûteux que prévu. C'est la conséquence d'une faille qui s'est révélée grave : les salariés qui ont commencé à travailler très jeune (à partir de 14 ans par exemple) et qui n'ont plus de papiers de l'époque pour le prouver se sont vus accorder la possibilité de se faire reconnaître les trimestres travaillés à l'époque, à condition que l'employeur déclare avoir employé ledit salarié à ce moment. Autant le reconnaître immédiatement, les déclarations sur l'honneur peuvent avoir une valeur juridique, mais elles n'empêchent visiblement personne de mentir. Nombreux furent les salariés qui se sont ainsi inventés une jeunesse au travail, s'arrangeant avec d'anciennes connaissances pour obtenir une fausse déclaration à qui cela ne coûtait rien, et ont profité de la généreuse et naïve loi pour partir immédiatement en retraite, sans avoir cotisé les 42 ans prévus. Pour les caisses de retraites, c'est une perte en matière de cotisations, et une dépense supplémentaire en matière de pensions à payer. La charge est lourde.

Mais cela ne justifiait certainement pas ce passage de facto à 43 ans de cotisations pour certaines salariés, car aucun ne devrait cotiser plus de 42 ans pour toucher une retraite à temps plein. Le mouvement entraîne une dégradation brutale du contrat, dont les victimes sont en fin de compte les salariés qui ont respecté les règles. Ils ont commencé à travailler tôt, dans des métiers souvent difficiles et rarement bien rémunérés et les voilà contraint à rester pour travailler jusqu'au bout. C'est tout simplement injuste, et même immoral. Il y a des leaders syndicaux irresponsables, qui disent toujours non à tout. François Chérèque n'est pas de ceux là, et lorsque la CFDT se met en colère, il faut généralement y faire attention, car cela veut dire que le problème est sérieux. Cette circulaire faisant passer la durée de cotisation obligatoire au dessus de 42 ans est une funeste erreur, qui fera d'autant plus de mal à la droite par la rancœur qu'elle entraîne qu'elle n'est pas issue d'une loi clairement débattue publiquement.