La piñata est une sculpture mexicaine en papier mâché remplie de confiseries, sur laquelle les enfants tapent les yeux bandés à l'aide d'un bâton dans le but d'en faire sortir le butin. C'est aussi le jeu que les journalistes semblent particulièrement apprécier, sous l'intitulé plus courant de "lynchage médiatique". La mécanique reste la même : choisir une cible, proclamer un scandale et taper dessus aveuglement tant qu'elle ne sera pas totalement réduite à l'état de confettis. Cette pratique habituelle prend un nouvel exemple dans le sort réservé au ministre des Affaires sociales, Eric Woerth. Son tort est d'avoir une femme qui travaillait pour Liliane Bettencourt, la première fortune de France, alors qu'il était lui même ministre du budget. Il ne lui est donc pas reproché d'avoir fait quelque chose : en fait, il apparaît qu'il n'est jamais intervenu que ce soit en bien ou en mal sur les affaires de particuliers. Il lui est reproché d'être. En l'occurrence, d'être marié à sa femme. Celle-ci, ayant une longue expérience dans la gestion de fortunes dans une banque privée, ayant fait les études adéquates, n'aurait donc plus pu exercer son métier parce que son mari serait devenu ministre. A l'heure où l'égalité entre les hommes et les femmes est censé être d'actualité, le seul destin qu'elle aurait pu assumer semble bien être celui de femme au foyer.

Eh voilà, cela suffit pour que quelques organes de presse prennent cela comme angle d'attaque face au ministre en charge de mettre en place actuellement la réforme des retraites, et en fassent un douteux feuilleton de l'été. La bastonnade frénétique et aveugle ne cessera qu'au moment où la victime acceptera de rendre ses tripes, sous la forme d'une démission. Tout est bon pour cela, et aucun secret de l'instruction ou présomption d'innocence ne sauraient se mettre sur la route d'une si joyeuse chasse à l'homme. Elisabeth Guigou, qui avait pourtant fait voter autrefois une loi sur la présomption d'innocence, affirme même désormais que la suspicion est intenable et appelle à la démission d'Eric Woerth. Mais ne se rend-elle pas compte que cette "suspicion" n'est qu'un jugement, le sien en l'occurrence ?

Il arrive parfois que les lynchâges médiatiques ne fonctionnent pas, et que les journalistes, hébétés, découvrent qu'ils n'ont pas toujours ce qu'ils veulent. C'est un peu l'impression que l'on a pu avoir à la manière dont certains journaux ou magazines parlaient du pape ces derniers temps, croyant bizarrement que la démission de celui-ci était quelque chose dans l'ordre du possible, comme s'il relevait de la même catégorie que leurs victimes ordinaires. Aux Etats-Unis, une collaboratrice de ministère de l'agriculture avait été poussée à la démission suite a des propos qualifiés d'intolérables par les médias, avant de découvrir que ceux-ci avaient été dument tronqués, provoquant l'embarras de l'administration Obama, trop prompte à lâcher face à la vindicte journalistique. Le quatrième pouvoir est fier de sa force, mais il est bien moins contrôlé que l'exécutif ou le législatif...