Les enregistrements des conversations entre la police et Mohammed Merah se sont retrouvés dans une émission de grande écoute sur TF1. Puis, ils ont été retranscrits dans le quotidien Libération. Théoriquement, c'étaient des pièces du dossier judiciaire de l'affaire, relevant du secret de l'instruction, et qui n'avaient donc pas du tout vocation à apparaître dans les médias aussi rapidement. Mais voilà, le secret de l'instruction est un secret de polichinelle, au moins en ce qui concerne les affaires un minimum médiatique. Pour servir les intérêts de personnes dans la chaîne judiciaire, des pièces de dossiers sont régulièrement confiées aux journalistes pour publication. Et dans l'affaire Mérah, à peine les enregistrements ont-ils atteint le Palais de justice que TF1 a eu l'opportunité de mettre la main dessus. Dès lors, on pouvait s'attendre à ce que d'avantage d'éléments ne sortent dans les médias, le ministre de l'Intérieur Manuel Valls était le premier à en être conscient.

Idéalement, quand le secret de l'instruction est violé, il devrait y avoir une enquête pour identifier le maillon fautif. Seulement, les journalistes ne vont évidemment pas révéler le vilain petit canard qui se croit au-dessus des lois. Ils se retrancheront derrière le secret des sources. Ces derniers temps, la protection des sources est devenue un marquant important de la liberté de la presse, l'idée étant que si les sources sont protégées, les journalistes pourront plus facilement dévoiler des scandales. Il est d'ailleurs question qu'il y ait une nouvelle loi renforçant (encore) le secret des sources.

Le secret des sources se heurte donc de plein fouet au secret de l'instruction. On peut partir du principe que si le journaliste a le droit de ne pas révéler ses sources, cela ne doit pas empêcher les autorités de chercher quand même les coupables quand des informations légitimement tenues secrètes par la loi sont révélées à des personnes indues. La juge d'instruction de Nanterre Isabelle Prévost-Desprez a ainsi été mise en examen pour violation de secret de l'instruction, sans qu'il n'ait été besoin qu'un journaliste dénonce qui que ce soit.

Mais la plupart du temps, les enquêtes ne donnent rien, ou il n'y a pas d'enquête du tout. C'est donc bien le secret de l'instruction qui est malmené. Dit comme cela, ce ne semble pas si grave, puisque ça donne l'impression d'une plus grande transparence du système judiciaire. Fort bien, mais le secret de l'instruction a comme rôle de participer à la préservation de la présomption d'innocence. Le débat devient donc un choix entre liberté de la presse et présomption d'innocence. La presse est-elle libre de bafouer la présomption d'innocence ? Si elle n'est y plus tenue, reste-t-il une quelconque présomption d'innocence ? Comme toujours, la liberté des uns s'arrête là où s'arrête celle des autres. En promouvant ces deux principes, on tire sur les deux bouts d'une seule corde, et à vrai dire, on se montre assez hypocrite. Si l'on doit débattre de ces questions, il serait bon qu'on commence par reconnaître l'antagonisme de ces grandes valeurs.