Il aura fallu que l'Irlande traverse une crise économique grave pour se rendre compte du rôle que jouait l'Union Européenne dans son économie. Ce fut grâce son aide que l'économie irlandaise avait pu décoller après des décennies de relative pauvreté, et aujourd'hui, l'Irlande doit à nouveau s'appuyer sur les institutions européennes pour garder le cap dans la tempête de la crise économique mondiale. Le fait de pouvoir notamment compter sur une monnaie solide comme l'euro, alors que le secteur financier irlandais était particulièrement mis à mal, est en effet un facteur déterminant. D'une manière générale, le contexte économique a permis de mettre en valeur tout ce qui reliait l'Irlande à l'Union Européenne, ce qui a permis au peuple irlandais d'avoir une connaissance factuelle des mécanismes européens, au lien de se contenter de rumeurs floues et fausses diffusées par ses opposants. C'est ce qui a fait la différence vendredi dernier, lors du nouveau référendum sur l'adoption du Traité de Lisbonne.

Celui de juin 2008 avait été marqué par une campagne morne, peu passionnée et sujette à tous les délires, avec comme argument opposé par les euro-sceptiques que les nouvelles institutions européennes allaient mettre à mal les particularismes irlandais. Par exemple, l'idée d'une armée européenne dans laquelle l'Irlande devrait s'engager obligatoirement et suivre les ordres aveuglement avait été utilisée sans scrupules par les opposants du Traité, alors qu'il n'en fut factuellement jamais question. C'était en quelque sorte la répétition du syndrome qui avait frappé la France en 2005, lorsqu'elle fut abreuvée de mensonges comme celui de l'improbable plombier polonais.

L'échec de juin 2008 fut donc douloureux à la fois pour l'Europe et pour l'Irlande. Au vu du quasi consensus qui s'était fait dans les autres pays quant au texte de Lisbonne, il ne fut plus possible de le changer qu'à la marge, et espérer que les enjeux soient mieux compris lors d'un nouveau vote en Irlande. La situation économique donc, en conjonction avec le risque que l'Irlande soit mis de côté par les politiques européennes en cas de non ratification, a permis d'élever le niveau du débat. Cela s'en est fortement ressenti sur vote de vendredi. Le taux de participation a augmenté de six points, et le "oui" est passé de 46,6 % à 67,1 %. Le nouveau résultat, positif, est donc à la fois spectaculaire par son ampleur, mais indéniablement plus légitime. Ce n'est pas seulement les partisans du Traité qui ont été plus nombreux à se déplacer aux urnes, des électeurs ont également changé d'avis en passant du "non" au "oui", le nombre de votes défavorables baissant de plusieurs centaines de milliers. C'est donc une victoire incontestable pour les constructeurs de l'Union Européenne, les institutions du Traité de Lisbonne lui permettant un meilleur fonctionnement.

Ne reste plus que les obstacles représentés par les seuls Présidents polonais et tchèques, mais ceux-ci n'ont pas l'autorité nécessaire pour retarder indéfiniment la mise en place d'un Traité concernant 500 millions de personnes. Le chemin pour arriver à des institutions dignes de l'Union Européenne aura été parcouru lentement, et avec plusieurs fâcheuses interruptions, mais la destination finale est plus proche que jamais.