Malgré les dernières simagrées du Président tchèque, le Traité de Lisbonne sera bientôt définitivement adopté par l'ensemble des pays européens, ce qui permettra son application. Ses applications les plus visibles et immédiates seront dans les nominations à venir. On attend ainsi le nouveau Traité pour nommer la prochaine Commission, mais un autre changement notable sera que la présidence du Conseil Européen ne se fera plus sur une base tournante de six mois, mais sera dans les mains d'une personnalité fixe pendant deux ans et demi. Anticipé depuis longtemps, ce changement est loin d'être neutre. La présidence du Conseil Européen est quelque chose d'importante pour définir la dynamique de l'Union Européenne. Il suffit de voir le contraste produit entre la présidence française de 2008, où Nicolas Sarkozy était au four et au moulin pour faire avancer les différents dossiers, et celle tchèque qui a suivi, où il ne se passa rien du tout. C'est pourquoi le choix de ce président fixe est sensible. De plus, en tant que premier occupant de la fonction, il donnera forcément le ton dans la pratique quant au rôle effectif de tous les présidents de Conseil Européen par la suite.

Dès lors, deux logiques s'affrontent. Elles ont été résumées par le Président français lors d'une récente interview : "faut-il un président fort et charismatique ou un président qui facilite la recherche du consensus et qui organise le travail ?" Les grands pays de l'Union préféreraient la première solution. Un président disposant d'ores et déjà d'une grande notoriété et de capacités d'entraînement dans son sillages d'autres forces permettrait de faire enfin sortir l'Union des consensus mous et complexes, de gagner du temps sur chaque projet, et donc de faire progresser l'Europe d'une manière générale. Avec un peu de chance, il pourrait donner une identité à la machine européenne, toujours accusée de tout et de n'importe quoi.

Les petits pays sont réticents face à cette perspective. Ils craignent d'être les laissés pour compte d'une telle évolution, les consensus ayant jusqu'à le présent le mérite de tenir compte de leur avis, quand l'accélération des prises de décisions risque de se faire en réduisant fortement leur influence. Le fait qu'un président fort ait besoin de notoriété indique aussi qu'il a peu de chance d'être issu d'un petit pays peu médiatique sur la scène internationale.

Et c'est dans cette problématique que se pose le dilemme Tony Blair. L'ancien Premier ministre a le mérite d'être libre, mondialement connu et d'être un homme d'action. Au premier abord, l'hypothèse est séduisante. Mais les désavantages sont nombreux. Pour commencer, s'il peut être considéré comme très pro-européen sur la scène politique britannique, il l'est bien peu en comparaison des gouvernements du reste de l'Europe. Il a en fin de compte bien peu fait progressé la cause européenne dans son propre pays. Son soutien de la guerre en Irak, outre le fait que ce fut une erreur manifeste, témoigne de son problème avec le multilatéralisme en général. En tant que travailliste britannique, il est de gauche, contrairement à la tendance politique de l'Europe qui est à droite, mais il est aussi rejeté par les socialistes européens. Il faut aussi compter qu'il risque de lancer l'Union Européenne dans un libéralisme économique encore plus marqué, quand le besoin actuel est surtout de moraliser l'économie et la finance.

Au final, Tony Blair n'est pas le bon candidat. Malheureusement, il y a peu d'hommes d'Etats en Europe ayant tant la surface médiatique voulue que les idées nécessaires pour faire vraiment redémarrer la construction européenne. Ce peut être aussi l'occasion d'en révéler un, en donnant une importante promotion à une personnalité localement significative, et surtout prometteuse.