La semaine dernière, Alain Méar, l'un des membres du CSA, a estimé en commission de l'Assemblée Nationale que 500 000 foyers pourraient être en zone d'ombre de la télévision numérique terrestre à terme. Cela signifie que lorsque la transition de la télévision analogique à la numérique sera complète sur l'ensemble du territoire français, ces foyers ne pourront plus capter les signaux analogiques sur lesquels ils se reposaient, et n'auront pas à disposition de signaux numériques. Le diffuseur TDF porte plutôt ce chiffre à 1,3 millions. En fait, la loi prévoit une couverture de 95 % de la population à terme. Les 5 % restants seront condamnés à ne plus pouvoir recevoir la télévision que par une parabole. Les ménages les plus modestes devraient pouvoir recevoir une aide de l'Etat pour faire cette coûteuse dépense, mais cette transition risque d'être de toute façon assez difficile. Aujourd'hui, ce sont les discours optimistes qui prévalent, en mettant des taux d'équipement en télévision numérique déjà importants, mais le plus dur est encore à venir.

En effet, ces statistiques considèrent que si une télévision dans le foyer est connectée à une source de télévision numérique (TNT, câble, satellite ou ADSL), alors ce foyer est prêt. Mais ce sont l'ensemble des postes de télévision qui doivent être reliés au numérique, et ça ne se fera pas tout seul. Après des décennies où les normes sont restées les mêmes, le parc de télévision est colossal. Tout n'a pas encore été jeté, et de très nombreux foyers ont deux voire trois téléviseurs, parfois plus. Et si un foyer modeste a deux téléviseurs, il ne sera aidé que pour l'achat d'un seul adaptateur.

De plus, le changement technique en lui-même n'ira pas forcément de soi pour tout le monde. Si la qualité d'image du numérique est meilleure, les éventuelles détériorations de la transmission ont un impact beaucoup nuisible, avec des effets mosaïque bloquant rapidement l'image totale. Pour beaucoup de monde, tous ces changements vont se faire dans l'incompréhension. Il suffit, pour s'en convaincre, de voir comment cela se passe pour ceux qui tentent de passer au numérique dès aujourd'hui : la multiplicité des cas particuliers (immeubles, sites montagneux et protégés par exemple) fait que ce changement n'est pas évident. En 2002, la transition à l'euro dut se faire rapidement et après plusieurs années de campagnes de sensibilisations intensives, mais quelques années après le souvenir n'est pas forcément joyeux dans la population.

En ce qui concerne celui qui arrive pour la télévision, les premières extinctions du signal analogique arrivent pour 2010, et de timides publicités commencent tout juste à pointer leur bout du nez. C'est assez léger. Que se passera-t-il, quand des centaines de milliers de personnes, en rentrant un jour de leur travail, se rendront compte que leurs téléviseurs n'affichent tout d'un coup plus rien ? Ils risquent de mal vivre cette remise en cause de la télévision, le premier loisir des Français. Il vaudrait mieux ne pas prendre à la légère ce soucis bien prévisible.