Si l'on veut avoir une perspective historique sur les siècles passés, il est plus simple de les faire commencer une dizaine ou une quinzaine d'années après leur véritable début. Dans ce cas, on peut remarquer que depuis la Renaissance, chacun d'entre eux a été marqué par la puissance d'un pays particulier. Le XVIème siècle fut ainsi le siècle de l'Espagne. Charles Quint, héritier du trône d'Espagne et élu et empereur du Saint Empire Romain Germanique, a favorisé les destinées de son pays de manière éclatante. Sa domination du continent européen et les conquêtes en Amérique témoignèrent du rôle majeur qu'il joua à cette époque. Son fils, Philippe II, dirigea l'Espagne à son apogée. Mais le déclin de l'Espagne fut aussi rapide que fut son ascension.

Le XVIIème siècle vit la prédominance de la France. Après avoir été stabilisé par Henri IV, le pays fut dirigé d'une main de maître par Richelieu d'abord, puis par un Louis XIV renforcé par la Fronde. La centralisation et l'art de la raison d'Etat ont permis à la France de gagner beaucoup en territoire, mais aussi en influence à l'étranger. Louis XIV réussit ainsi à mettre les Bourbon sur le trône d'Espagne, et à la fin du règne du roi soleil, la culture française débordait largement du territoire hexagonal.

Le XVIIIème siècle ne lui bénéficia pas autant. Le règne de Louis XV fut assez désastreux, et à travers la guerre de sept ans, la France perdit ses possessions en Amérique du nord. Les difficultés financières qu'elle connaissait la menait à la révolution, alors que le Royaume Uni s'enrichissait par le commerce et l'industrie (il fut en effet le premier pays à voir commencer la révolution industrielle). Ce pays bénéficia d'une nouvelle stabilité politique, fruit de la Glorieuse Révolution du siècle précédent, qui permit l'émergence d'une monarchie représentative. Même si le Royaume-Uni perdit le contrôle des Etats-Unis, il restait une puissance militaire redoutable, et fut l'adversaire le plus solide et le plus déterminé lors des guerres révolutionnaires et napoléoniennes. Son statut de grande puissance était alors éclatant, et ne pouvait lui être contesté.

Si le Saint Empire Romain Germanique fut dissous au début du XIXème siècle, le Congrès de Vienne vit la naissance non seulement d'une certaine stabilité européenne due à l'équilibre des puissances, mais également à la Confédération Germanique. Et c'est là-bas que se produiront les changements les plus importants du XIXème siècle. Alors que l'Europe entière voit se développer les nationalismes, la Prusse bismarckienne arrive à faire l'unité de l'Allemagne autour d'elle. Quant l'ancien empire était affaibli depuis des siècles, le deuxième Empire allemand, créé en 1870, se pose en puissance militaire redoutable, et l'efficacité de son administration favorise un développement rapide. Dans la deuxième moitié du XIXème siècle, l'Allemagne se distingue par rapport aux puissances précédentes par la force de ses croissances démographique et économique. La naissance de champions allemand dans la chimie et la métallurgie en est un excellent exemple.

Du fait de l'explosion des nationalismes, le XXème siècle s'ouvrit sur une effroyable boucherie européenne. L'affrontement des trois précédentes puissances mondiales notamment (France, Royaume Uni et Allemagne) marqua leur déclin commun. Toutes les puissances européennes se retrouvèrent affaibli, et au cours des deux guerres mondiales, ce fut à chaque fois les Etats-Unis d'Amérique qui tirèrent les marrons du feu. Le dollar devient la nouvelle monnaie dominante, à travers la guerre froide la puissance militaire américaine est devenue sans équivalent, et la culture américaine est un instrument de domination en soi. L'effondrement du bloc soviétique marqua la victoire du modèle capitaliste américain, et quoi qu'on en pense, c'est bien le système financier anglo-saxon qui fait la pluie et le beau temps sur l'économie mondiale.

Et maintenant ? Qu'est-ce qui nous attend pour le XXIème siècle ? Les Etats-Unis aimeraient bien garder leur statut, les néo-conservateurs avaient même fondé un think tank intitulé Project for a New American Century. A l'heure actuelle, on peut se dire qu'ils réussiront peut-être. Ce ne sera de toute façon pas le siècle d'un quelconque pays européen. A travers le monde, l'Europe est considérée comme vieillissante, presque un objet du passé. Elle est toujours hébétée par ce qui lui arrivé au XXème siècle (deux atroces guerres mondiales, et une longue séparation en deux blocs), l'influence militaire et diplomatique des pays européens est désormais assez anecdotique, et sa culture est en friche. Le Japon, puissance marquante pendant les années 80, traverse sa propre crise interminable.

En fait, tous les signaux pointent vers la Chine. La force de sa population, son économie florissante, sa mentalité travailleuse lui assurent un rôle désormais majeur sur la scène internationale. On en vient même à craindre qu'il n'y ait plus que deux pays qui comptent, les Etats-Unis et la Chine. Celle-ci ne s'est pour l'instant aucunement engagée vers la démocratie. Pour elle, la raison d'Etat qu'est la montée de la puissance chinoise compte avant tout. Elle cherche à obtenir le statut qu'elle considère mériter, et nous en sommes encore au commencement.

Et après ? Il est évidemment impossible de prévoir de tels mouvements plus d'un siècle à l'avance. Il y a néanmoins une opportunité. Isolés, les pays européens n'arriveront à rien face à des puissances telles que les Etats-Unis, la Chine ou l'Inde. Si nous voulons avoir une quelconque influence, et reste une puissance mondiale, il faudra le faire en étant unis. Après 50 années, la construction européenne a accompli de grandes choses, mais reste incomplète. Les obstacles sont désormais essentiellement culturels, et ne doivent pas être négligés. Cela reste un formidable projet. Si l'on raisonne sur les tendances longues de l'Histoire, on se rend compte que le temps est une ressource pour nous. Il faudra alors mettre à profit les décennies à venir, pour faire en sorte que le XXIIème siècle soit le siècle de l'Europe. On ne le verra peut-être pas nous-mêmes, mais cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas s'y mettre dès maintenant.