Le 31 mai dernier, la chaîne payante CFoot a cessé d'émettre. Conçue comme un moyen de pression sur Canal Plus dans le cadre des enchères sur les droits du championnat de football de Ligue 1, la chaîne n'était pas viable économiquement, on le savait avant même qu'elle ne se créée. Les déficits importants ont bien été au rendez-vous, mais la surprise fut l'arrivée des Qataris d'Al Jazira Sport, qui ont utilisé leurs revenus colossals issus du pétrole pour mettre la main sur certains droits sportifs. De son côté, Canal Plus n'a pas renchéri. La chaîne créée par Al Jazira (sur deux canaux), appelée BeIN Sport, proposera les matchs de second choix de la Ligue 1, de la Ligue des Champions et du Championnat d'Europe des Nations. BeIN Sport a payé cher pour récupérer les droits de tous ces matchs, mais comme toujours, on peut se demander s'il y aura vraiment beaucoup de fans de foot qui choisiront de s'abonner à la fois à Canal Plus et à BeIN Sport, seul moyen d'en rater le moins possible. La facture finale est salée pour le supporter, et s'il faut choisir, il préférera certainement les grandes affiches, et elles sont dans l'escarcelle de Canal Plus.

Surpris par l'arrivée d'un tel concurrent, Canal Plus vilipende déjà BeIN Sport. Son principal reproche est que ce n'est pas un projet économiquement rationnel, et il est difficile de le nier. Les perspectives de rentabilité sont très douteuses, mais pour les Qataris, l'essentiel semble d'acheter une influence sur le milieu sportif européen. La Fédération Française de Football y voit également son intérêt, puisqu'il s'agit là d'une nouvelle manne d'argent inespérée. Pourtant, pour le bien du football, la manœuvre pourrait s'avérer défavorable. Une grande compétition internationale de football a commencé, et l'on n'en entend très peu parler, si on compare avec les éditions précédentes. Il faut remonter à loin pour retrouver une époque où un Euro intéressait si peu les Français... Si on compare avec un pays comme l'Allemagne, qui bien avant la compétition, ne vit plus pour que pour sa Mannschaft, la différence est frappante.

Alors bien sûr, l'essentiel de cette perte d'intérêt du public provient de la faillite morale de notre équipe nationale, mise en évidence en 2010, comme si les difficultés sportives ne suffisaient pas. Mais en attribuant une grande partie des droits télé de cet Euro à BeIN Sport, une chaîne à péage, l'UEFA n'a pas aidé. Elle a sciemment sacrifié la visibilité de l'événement sportif qu'elle organise au profit de l'argent. Mais combien de personnes ont eu le temps de s'abonner à une chaîne qui vient à peine de se lancer ? Le chiffre ne sera pas communiqué. Bien des rencontres comme le Grèce/République Tchèque de cette fin d'après-midi ne seront vus que par très peu de Français.

Il n'est pourtant pas forcément nécessaire de payer son écot aux Qataris pour voir tous les matchs de l'Euro 2012. En effet, des millions de foyers français ont une parabole pointée sur les satellites Astra (où sont diffusés les chaînes Canal Plus et CanalSat), et ceux-là peuvent regarder l'ensemble de la compétition sur les deux chaînes publiques allemandes, ARD et ZDF, qui la retransmettent. En outre, les versions HD de ces chaînes sont gratuites, il suffit de faire une recherche progressive des chaînes pour trouver celles qui ne sont pas relevées par défaut par le décodeur. En fin de compte, s'abonner à BeIN Sport, c'est uniquement payer le droit d'entendre des commentateurs parler français, tel une radio payante. Décidément, c'est économiquement irrationnel pour tout le monde.