Il s'y voit déjà. François Bayrou est persuadé que le prochain Président de la République Française, ce sera lui. Il le croyait déjà lors de la présidentielle de 2002, mais cette fois-ci, c'est la bonne, se dit-il. Il peut d'autant plus le penser qu'actuellement, il profite de la vague médiatique qui le découvre dans le rôle du trouble-fête d'une élection qui se jouait, pensait-on, entre le PS et l'UMP. Il a des mérites : ses convictions en faveur de la construction européenne sont fortes et reconnues, il est particulièrement audible sur la réduction de la dette, et le centrisme qu'il affiche est de nature a rassurer ceux qui craignent des bouleversements incontrôlés. Il a beaucoup critiqué le gouvernement depuis 2002, alors qu'il prétendait faire partie de la majorité en début de législature. De ce fait, il apparaît comme un opposant pour ceux qui n'apprécient pas la politique actuelle, et donc comme quelqu'un pour qui la gauche peut voter. Et ce alors que Ségolène Royal déçoit dans son propre camp, et peine a convaincre les Français, l'accueil fait par les Français de son programme en 100 points étant pour le moment mitigé. Elle a aussi perdu en crédibilité au mois de janvier, à la suite de sa série de flottements, qui ne semble pas tout a fait close à vrai dire. Actuellement, Ségolène Royal parait faible pour vaincre Nicolas Sarkozy, il y a donc une tentation de penser que le candidat centriste parviendrait à agglomérer la gauche, et une partie du centre et de la droite, suffisamment en tous cas pour faire pencher la balance, et faire battre Nicolas Sarkozy, ce qui semble être la priorité pour un bon nombre d'électeurs de gauche. François Bayrou concentre donc ses attaques sur le candidat de la droite, afin de gagner des voix à gauche et à droite, et ainsi gagner au bout du compte.

Une telle victoire est-elle possible ? Si rien n'est à exclure, François Bayrou aurait tout de même tort de clamer victoire trop tôt. Déjà, accéder au deuxième tour ne signifie pas une victoire automatique. C'etait en effet le calcul effectue par Alain Poher en 1969, il n'en a pas moins été battu au second tour par Georges Pompidou. La gauche ne s'était pas beaucoup mobilisée en faveur du Président du Sénat d'alors, le mot d'ordre communiste étant "Blanc bonnet et bonnet blanc". A ce titre, la posture de François Bayrou tient difficilement. En effet, s'il a refusé de faire intégrer l'UDF en tant que parti à l'UMP, les différences sont assez ténues entre ces deux partis. Le programme électoral de l'UDF n'est pas du tout incompatible avec celui de l'UMP, alors qu'il l'est avec celui du PS. Au niveau local, UDF et UMP restent alliées partout en France, il serait bien difficile pour l'UDF de faire basculer tous ces accords vers la gauche. De nombreux ténors de l'UMP viennent de l'UDF, et sont centristes avant d'être gaullistes, la proximité idéologique est donc forte entre les soutiens de Nicolas Sarkozy et ceux de Francois Bayrou. En fait, ces cinq dernières années, la porte est toujours restée ouverte pour que l'UDF puisse participer au gouvernement, à la prise de décision. Elle le sera tout autant en cas de victoire de Nicolas Sarkozy, elle le reste tout autant pendant la campagne, comme le prouvent les ralliements d'André Santini et de Christian Blanc.

Mais François Bayrou a décidé de jouer l'opposition frontale comme stratégie. Il souhaite faire un gouvernement d'unité nationale ou la droite et la gauche seraient également présentes. Cela, après s'en être violemment pris à la droite en son ensemble, qui accepte elle de gouverner avec lui. Et après avoir notablement épargné la gauche, qui refuse pourtant toute alliance avec l'UDF, alors que celle-ci, en tant que parti de centre-droit, ne peut être un partenaire souhaitable pour des socialistes qui rejettent férocement ce qui est à leur droite en général. François Bayrou n'a donc pas vraiment de marge de manoeuvre pour faire un tel gouvernement d'unité nationale. Surtout que l'exemple allemand montre que ce n'est pas le cas de figure le plus simple à gérer. Si François Bayrou avait vraiment voulu mettre en application ses idées, il n'aurait pas manque l'occasion que la création de l'UMP lui laissait en 2002. Il aurait fait comme Jean-Louis Borloo, et il se serait mis aussitôt au travail pour aider les Français dans leurs difficultés. Le bilan de ce dernier n'est pas mince, entre les procédures pour sortir du surendettement, une politique forte de construction de logements et la baisse du chômage. Mais François Bayrou a préféré se contenter de rester un opposant ambigu, pour mieux préserver ses chances pour cette élection présidentielle. Il est bien tard de vouloir faire aboutir l'union a droite, alors qu'il aurait pu aider le faire en 2002. Quant à la faire avec la gauche, c'est illusoire.

Du reste, les difficultés qui ne manqueront pas d'être soulevées en cas d'une victoire de François Bayrou ne seront vraiment étudiées que s'il se révèle être vraiment en situation au fil du temps. Et passer au second tour ne sera pas si facile que ça en fait. D'abord, il lui faudra s'extraire du niveau atteint par Jean-Marie Le Pen, toujours sous évalue pendant la campagne. Jusqu'a la fin de la campagne, il ne sera pas aise de le défaire. En outre, François Bayrou devra surpasser l'un des deux principaux candidats. Nicolas Sarkozy semble pouvoir s'appuyer sur un socle fort d'électeurs, et dans les enquêtes d'opinion actuelles, ses "fondamentaux" sont bons. Ceux de Ségolène Royal le sont moins, et elle est plus basse dans les sondages. Néanmoins, ce serait un tort que de la sous estimer. Surtout que si elle devait trop baisser, un réflexe "vote utile" interviendrait parmi les sympathisants socialistes, traumatises par l'absence du candidat du PS au deuxième tour de l'élection présidentielle, qui l'empêcherait de descendre trop bas. Enfin, le chemin reste long pour François Bayrou, Ségolène Royal ayant encore deux fois plus d'intentions de vote que lui, une différence de 13 points n'est pas aisée à réduire a néant. Si François Bayrou profite donc incontestablement de la vague médiatique qui se fait autour de lui, il est encore loin d'être au niveau d'un favori.